Montréal, le 13 mars 2008
Monsieur Gérald Tremblay
Maire
Hôtel de ville de Montréal
275, rue Notre-Dame est
Montréal, Qc
Monsieur le Maire,
Je réagis à l’annonce du changement de vocation de la chapelle historique du Bon Pasteur et souhaite vous démontrer à quel point il est important que cette vocation demeure et que la Chapelle puisse fêter son 20e anniversaire la saison prochaine par une saison importante fort bien remplie…. et tout ça pour 250 000$ !!
Il y a plus de vingt ans, le Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal dont j’étais alors Secrétaire générale et directrice commandait à la firme Pluram une étude sur l’état du réseau des salles de spectacles et de concerts sur son territoire. Le constat avait été fait que les habitants de l’Île de Montréal devaient se rendre au centre-ville pour profiter des séries de concerts organisés par les quelques sociétés déjà bien ancrées dans l’histoire de notre ville et la raison était la suivante : les compagnies de spectacles ne veulent pas élire domicile dans les banlieues faute de lieux adéquats, salles de répétitions et autres, et faute de salle de spectacles digne de ce nom. Fort des conclusions de cette étude, le Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal a pérennisé son programme de soutien à la tournée sur son propre territoire, programme que nous appelions alors Jouer dans l’Île et qui est devenu le Conseil des arts en tournée. De son côté, la Ville de Montréal a développé plus avant son concept de réseau des Maisons de la culture que vous connaissez aujourd’hui. Tous les habitants de l’Île de Montréal, sans distinctions, profitent de ces deux programmes et vous devez en être félicités.
La vocation des Maisons de la culture était double, dans notre esprit : la première, développer la culture dans la population. Cela voulait dire développer l’envie de voir la production des artistes contemporains par la fréquentation de spectacles de théâtre, de musique, de danse, par la fréquentation d’expositions de peinture, de sculpture, par la fréquentation de certains films non présentés dans les cinémas commerciaux. Et ce, dans leur environnement immédiat c’est-à-dire dans leur propre quartier. La deuxième vocation était de présenter des jeunes artistes en début de carrière et leur permettre ainsi de combler le temps d’arrêt qui existe dans leur vie professionnelle, à la fin de leurs études dans nos conservatoires et universités, au moment où ils commencent leurs activités professionnelles mais ne sont connus ni du public ni des organisateurs de spectacles et de tournées.
Cet arrêt est encore plus navrant en 2008 à cause du nombre sans cesse croissant de jeunes qui sont intéressés par les disciplines artistiques qui graduent des conservatoires et universités et qui prétendent à un travail rémunérateur dans ce secteur d’activités. Ils n’ont pas de lieu où
présenter leurs concerts. Certains jeunes musiciens ont même senti le besoin de se constituer en société musicale afin de s’assurer eux-mêmes la possibilité de commencer une carrière musicale après quelques années de vaches maigres. C’est ainsi que sont nées plusieurs sociétés actuelles de concert de musique baroque, entre autres. Et les Maisons de la culture sont pour elles un lieu de diffusion de début de carrière. N’oublions pas que les Maisons de la culture ne sont pas des lieux spécialisés. Elles ont une programmation diversifiée théâtre, musique, danse et arts visuels et, par conséquent, ne peuvent pas accueillir tous les jeunes et surtout pas tous les concerts de tous ces jeunes.
Lorsque la Ville de Montréal a consenti à ce que la Chapelle historique assure une plus grande possibilité de diffusion pour les jeunes musiciens (et les moins jeunes, il faut bien le dire) en devenant un lieu de diffusion réservé à la musique classique, nous avons applaudi à tout rompre. Plusieurs jeunes ont pu commencer leur carrière à la Chapelle parce que son directeur a vu juste et leur en a donné la chance. Depuis quelque temps, les étudiants du Conservatoire y jouent pendant la phase de restauration de l’immeuble qui sera inauguré dans les mois qui viennent. J’ai pu y découvrir des talents immenses impossibles à repérer s’ils ne peuvent jouer quelque part et être entendus. Aujourd’hui, ils n’ont plus à y venir puisqu’ils sont maintenant dans les circuits officiels et jouent dans la cour des grands.
Il ne faut donc pas retirer à ces jeunes, à nos jeunes, la possibilité de jouer à la Chapelle mais leur en ouvrir de nouvelles. Il faut aussi conserver la qualité « musicien professionnel » de son directeur ou de sa directrice qui doit s’investir dans la vie musicale montréalaise et internationale afin de repérer ces jeunes et souvent ces moins jeunes que nous ne pouvons entendre autrement. Je pense à l’intégrale des Sonates de Beethoven que Christian Leotta nous a présentée il y a quelques années. Cette série de concerts (8) n’avait pas été à l’affiche depuis les années 50 alors que Wilhelm Kempf logeait à l’affiche de Pro Musica, à la salle du Plateau. Je pense à Ponticello, ce quatuor de jeunes violoncellistes montréalais qui commencent une carrière internationale. Ils ont joué à la Chapelle. Il leur faut une salle de concert intime, doté des équipements essentiels à toute vie professionnelle de concert. Il leur faut les conseils d’un professionnel doté d’une bonne expérience de cette vie musicale professionnelle avant de passer dans les mains d’un agent de tournée.
Et parlons donc du public qui a la chance de les entendre gratuitement. Jusqu’à ce que je prenne ma retraite, je ne mesurais pas à quel point cette gratuité est importante pour ceux qui comme moi n’ont pas travaillé dans un monde hautement organisé syndicalement. Je n’ai pas la capacité financière de payer les billets des concerts que j’entends à la Chapelle.
Enfin, j’ai beaucoup de difficulté à penser que la diminution des frais encourus par l’organisation des concerts de la Chapelle est la cause de ce changement de régime. Tout d’abord parce qu’il est évident que la réorganisation proposée ne justifiera pas une diminution de budget mais exigera une augmentation du budget actuel. Certains modèles sont déjà dans certains esprits : l’Espace libre qui, à ses débuts en 1980, abritait trois compagnies de théâtre, Carbone 14, le Nouveau Théâtre expérimental et Omnibus. Elles ne sont plus que deux depuis que Gilles Maheu et Carbone 14 ont quitté l’Espace libre pour assurer en 1995 la direction de l’Usine C qui comporte plusieurs salles et qui a une programmation diversifiée mais qui reste toujours dirigée par une seule compagnie et son directeur. Il s’y trouve toujours deux structures administratives, celle de l’Usine C et celle de la compagnie de Gilles Maheu. Autres exemples : la Maison-Théâtre, l’Agora de la danse et autres lieux de diffusion spécialisé ont de fortes équipes de gestion qui n’ont pas de lien avec la gestion des compagnies qui font partie intégrante de ces lieux. Serait-ce le modèle que vous envisagez ? Si oui, le budget de la Chapelle devra être augmenté.
Pour gérer ce lieu à plusieurs petites compagnies, il faudra envisager l’engagement d’un directeur ou d’une directrice des opérations du lieu afin que les directeurs des compagnies à qui vous confierez la Chapelle puissent continuer à faire le travail qu’ils font actuellement dans des conditions souvent fort pénibles puisqu’ils n’ont pas les moyens financiers d’engager le personnel requis par leurs propres activités administratives. Et c’est toujours cet aspect que l’on sacrifie quand on travaille dans des petites compagnies. Et ne pensez pas que les compagnies mettront en commun leurs effectifs administratifs. L’expérience nous a prouvé que cette formule n’a d’avenir que lorsque les budgets respectifs sont élevés.
Alors je vous demande pourquoi complexifier la structure actuelle de la Chapelle. Ce n’est certes pas pour augmenter le nombre d’activités. Il ne peut pas y avoir plus d’activités à la Chapelle qu’il y en a aujourd’hui. Ce n’est certes pas pour diversifier la programmation. À l’analyse, la programmation de la Chapelle couvre à peu près toutes les formes de musique de chambre. Serait-ce pour diminuer la musique de chambre et augmenter les musiques du monde ? Elles sont déjà bien servies par les Maisons de la culture. Serait-ce pour donner un lieu de plus au Festival de Jazz ? C’en est trop.
Monsieur le Maire, vous vous devez de conserver la Chapelle dans sa vocation actuelle. Elle est pleinement justifiée dans le contexte de la chimie musicale de Montréal de même que dans le contexte de l’administration de la vie culturelle de Montréal. Il ne faut pas modifier des opérations qui se portent bien et même très bien. Il ne faut pas arrêter la programmation de la Chapelle. Elle vous coûte moins que rien. Si quelques compagnies souhaitent avoir un lieu, il faut ajouter au parc de petites salles que nous avons déjà, pas en retrancher.
Et que l’on permette au directeur actuel, Guy Soucie, de concrétiser la programmation du 20e anniversaire de la Chapelle avec un budget augmenté pour bien marquer votre souci de permettre aux jeunes musiciens de pratiquer leur art dans les conditions les plus professionnelles qui soient dans leur ville, sur la rue Sherbrooke.
Dans l’espoir que vous donnerez suite à toutes les protestations du milieu musical et culturel que vous saurez faire vôtres, je demeure
Lyse Richer
Vice-présidente de Chants libres
Musicologue et pianiste
c.c. les membres du comité exécutif de Montréal
les maires et mairesses d’arrondissement
les conseillers de l’arrondissement Ville-Marie
Journal La Presse
Journal Le Devoir
Directeur La Chapelle historique du Bon Pasteur