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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 2

Bernard Labadie - Une ère nouvelle à L'Opéra de Montréal

Par Wah Keung Chan / 10 octobre 2003

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Lorsque le nouveau directeur artistique de l'Opéra de Montréal (OdM) a annoncé le contenu de la saison 2003-2004 en avril dernier, la seule déception fut la diminution du nombre de productions de six à cinq. La programmation des Nozze di Figaro, Thaïs, La Bohème, Le Château de Barbe-Bleue, Erwartung et la version française de La Veuve joyeuse semble avoir plu aux critiques. On trouvait quelque chose pour presque tous les goûts : des oeuvres nouvelles, des oeuvres en français et des chanteurs locaux et canadiens dans le répertoire classique. Déjà connu comme directeur des Violons du Roy, Labadie apporte à l'OdM ses neuf ans d'expérience comme directeur artistique de l'Opéra de Québec. Bien qu'il ait été aux commandes depuis plus d'un an et demi, c'est avec Thaïs que Labadie appose vraiment son sceau sur la compagnie. Lorsque LSM a parlé à Labadie à la suite de l'annonce, il a fait part de ses priorités à long terme : commander et créer des oeuvres nouvelles, présenter de l'opéra baroque et mettre sur pied des programmes d'éducation.

« Cette saison est un point de départ. Elle indique clairement les voies que je veux explorer, tout en montrant qu'il y aura de nouvelles orientations et de nouveaux projets à réaliser. Nous ne désirons pas nous aliéner les amateurs plus âgés, mais nous devons absolument attirer un nouvel auditoire. Lorsque la double mise en scène de Robert Lepage (Erwartung de Schoenberg et Le Château de Barbe-Bleue de Bartók) a été présentée à Toronto, le spectacle a attiré un nouvel auditoire. Le programme pour les 18-30 ans semble fonctionner. Nous devons couvrir l'ensemble du spectre pour attirer aussi les adolescents, par exemple. »

Quels sont ses objectifs ? « Je désire élargir le répertoire de manière à offrir des oeuvres plus anciennes et aussi des oeuvres nouvelles. Depuis 15 ans, il n'y a eu qu'un seul opéra baroque, Poppea, et une seule commande, le Nelligan d'André Gagnon au début des années 1990. Chaque saison, nous voulons présenter au moins une oeuvre du répertoire français, soit une oeuvre peu connue, soit un opéra du grand répertoire. Par exemple, le répertoire baroque français, comme celui de Lully, est très riche.

« J'aimerais élargir l'univers esthétique dans lequel l'Opéra de Montréal a évolué. Depuis quelques années, on observe beaucoup de nouvelles tendances et d'approches inédites en opéra, où l'on a recours à des disciplines comme les arts visuels, le théâtre, le cinéma et le multimédia. Or, l'OdM n'a pas suivi cette évolution. Je ne pense pas que nous devrions privilégier une façon de faire en particulier. Il y aura des productions traditionnelles de grande qualité, mais, en même temps, je crois que le public est prêt à être guidé dans de nouvelles avenues et c'est ce que j'entends faire -- sans pour autant perdre de vue le noyau de notre auditoire. »

Répertoire

« À un certain moment, j'aimerais commander des oeuvres. Les commandes de nouveaux grands opéras sont rares, parce que cela coûte très cher. On voit beaucoup plus d'opéras de chambre ou d'opéras pour enfants, comme le Pacamambo de Chant Libre, qui était extrêmement intéressant. Ce serait merveilleux de nous lancer à tous les cinq ou six ans dans la production d'un nouveau grand opéra.

« Nous voulons que les nouvelles productions présentent de nouvelles visions. La Salle Wilfrid-Pelletier est une grande salle et nous avons habituellement besoin de collaborateurs. Les dimensions de la salle posent cependant des problèmes. À Montréal, nous devons démonter le décor et vider la scène après chaque représentation. Le décor doit donc être construit d'une certaine façon. À Québec, nous n'avons pas ce problème et nous pouvons retenir le Grand Théâtre durant toute la série, si bien que les décors n'ont pas à être enlevés rapidement. Ils sont donc moins coûteux à construire. Comme on le fait au théâtre, les décors sont jetés à la fin des représentations. La différence pourrait diminuer les coûts de quatre ou cinq fois, et il pourrait être plus économique de reconstruire les décors que de les entreposer. J'aimerais trouver des solutions montréalaises aux problèmes qui se posent à Montréal.

« Les grandes salles requièrent une distribution, une mise en scène et une scénographie particulières. J'aimerais présenter le répertoire jusqu'à Rossini dans de plus petites salles. Je ne vois pas pourquoi tout l'opéra devrait être coulé dans un même moule. » Cela serait-il rentable ? « Pas maintenant. C'est pourquoi nous n'aurons pas d'opéra baroque cette année. Nous devons vendre plus de 2000 billets par représentation. »

Et Wagner ? « J'aimerais monter du Wagner ici. J'ai souvent entendu les noms de Wagner et de Strauss depuis un an. Ce répertoire exige de grandes voix et coûte cher. Nos subventions cette année sont inférieures de 160 000 $ à ce que nous avions il y a 10 ans. À l'heure actuelle, l'OdM n'obtient pas sa juste part. »

L'insuffisance budgétaire et des difficultés de collecte de fonds sont à l'origine de la réduction de six productions à cinq, tout comme du départ de l'ancien directeur général, Kim Gayner, maintenant remplacé par David Moss, lequel possède une solide expérience en collecte de fonds. Heureusement pour l'OdM, Labadie est très actif dans le lobbying et la collecte de fonds. « C'est quelque chose qu'un artiste ne peut éviter. Même en Europe, le financement des arts est très politique : les chefs et directeurs artistiques sont très présents à tous les niveaux dans les rencontres avec les gouvernements et les entreprises. Je veux appuyer le directeur général. Toutefois, ce sont les artistes qui peuvent le mieux démontrer à quel point il est important qu'une société appuie sa vie culturelle et ses artistes. »

« Par exemple, nous avons besoin aujourd'hui d'autant de temps de répétition qu'à l'époque de Mozart, alors que les coûts des répétitions continuent d'augmenter. Pour que les arts fleurissent, la société doit faire des choix en ce sens. Nous devons faire davantage pour collecter des fonds auprès des particuliers et des entreprises, mais cela ne doit pas remplacer le financement par l'État. Les régimes fiscaux nécessaires ne sont pas en place au Canada. »

Éducation

À l'Opéra de Québec, le succès remporté par le programme « Dessine-moi un opéra ! » se poursuivra en 2004 avec L'Elisir d'amore
La flûte enchantée à l'Opéra de Québec, 2000
Photo : Louise Leblanc

Durant les années Labadie, l'Opéra de Québec a innové pour faire connaître l'opéra à un jeune public. « J'ai lancé le concours "Dessine-moi un opéra ! " dans les écoles primaires de Québec pour faire participer les enfants au processus de production de l'opéra. Sur le plan visuel, il est étonnant de voir les possibilités. Nous projetons aussi les dessins des enfants pour montrer quel usage on peut en faire. Je veux également développer un certain répertoire qui plaira aux enfants. Certaines solutions viendront avec l'Atelier lyrique. C'est pourquoi nous avons un nouveau directeur musical, Jean-Marie Zeitouni. Tout le concept de l'Atelier sera révisé. Son but principal est de former et de soutenir les futurs chanteurs professionnels, de leur permettre d'évoluer à leur propre rythme. Pour l'instant, nous avons ajouté une deuxième répétitrice, Lyne Fortin, qui travaillera avec Cesar Ulloa. Nous chercherons à recruter les meilleurs chanteurs disponibles, à les former et à choisir un programme convenant à l'Atelier lyrique, et non l'inverse. Nous souhaitons que l'Atelier soit plus présent à Montréal et fasse le lien avec la grande scène. Nous avons réduit de moitié la tournée avec les Jeunesses Musicales du Canada. Nous ne participerons qu'à la tournée d'automne. Nous espérons que dans trois ans, l'Atelier ait sa propre production avec orchestre, de manière à ce que les chanteurs travaillent davantage avec des chefs. » Certaines de ces décisions donnent déjà des résultats : dès sa première année comme stagiaire, Michèle Losier a été une Cherobina brillante dans la récente production des Nozze di Figaro.

Comment Labadie prend-il ses décisions concernant la distribution ? « Tout dépend du répertoire. Nous n'engageons pas des chanteurs parce qu'ils sont des Canadiens ou des Québécois, mais parce qu'ils sont bons. Et cela dépend du répertoire. Nous devons encourager le talent local, mais le premier critère demeure la qualité. »

De quelles autres compagnies d'opéra Labadie s'inspire-t-il ? « J'admire les gens du Glimmerglass Opera. Leur salle de 900 places simplifie la distribution et les productions ne sont pas terriblement coûteuses. Ils prennent des risques et les gens suivent -- il est maintenant difficile d'obtenir des billets. Ils ont développé leur propre style. »

Labadie est lui aussi habitué à développer son propre style. Combien d'années compte-t-il demeurer à l'OdM ? « Après 9 ans à l'Opéra de Québec, j'ai pensé que c'était le temps d'un changement. En principe, je pense que ce sera la même chose à Montréal. » Labadie en est à sa deuxième année d'un contrat de trois ans. Si tout va bien, nous pourrions débuter son nouveau cycle de 10 ans. [Traduction d'Alain Cavenne]


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(c) La Scena Musicale 2002