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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 5

Création de l'opéra Hermione et le Temps de Denis Gougeon

Par Propos recueillis par Réjean Beaucage / 9 février 2004

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60e anniversaire du Conservatoire de musique et d'art dramatique du Québec

Le compositeur Denis Gougeon remportait le 9 décembre dernier le prix Jan V. Matejcek de la SOCAN, remis au compositeur canadien dont les oeuvres ont été le plus joué en concert et à la radio au Canada. On peut mesurer le succès de la musique de Denis Gougeon en considérant qu'il a remporté ce prix pour la troisième année consécutive ! Prolifique et polyvalent, il était l'un des rares compositeurs québécois à ne vivre que des fruits de son talent, jusqu'à ce que la Faculté de musique de l'Université de Montréal lui offre en juin 2001 un poste de professeur de composition à temps partiel. Il n'est pas étonnant que le directeur du Conservatoire de musique et d'art dramatique du Québec, Nicolas Desjardins, ait pensé à lui pour la composition d'un opéra mettant à profit toutes les ressources du Conservatoire de Montréal (l'oeuvre pourrait être reprise par d'autres composantes du réseau des conservatoires). On parle avec lui de la création de l'opéra Hermione et le Temps.

LSM : Quels projets vous occupent présentement ?
DG: Je travaille actuellement à un concerto pour accordéon qui devrait être créé par le NEM et Joseph Petric l'été prochain au Domaine Forget. J'ai un autre projet pour le Manitoba Theatre for Young People, en collaboration avec un metteur en scène de Toronto et un théâtre jeunesse d'Australie. Il s'agit d'un spectacle de 90 minutes pour lequel je dois composer la musique. Mon travail de professeur de composition à temps partiel me laisse quand même la liberté d'être compositeur à temps plein, ce qui est assez extraordinaire.

LSM : Vous avez composé beaucoup de musique pour la scène ces dernières années, des musiques de théâtre, des ballets...
DG: La musique de scène, c'est essentiellement avec Denis Marleau et le Théâtre Ubu. J'ai collaboré aussi avec Brigitte Haentjens pour Marie Stuart au Théâtre du Nouveau Monde (1999), mais je ne travaille pour la musique de scène que dans la mesure où ce sont des projets que j'aime beaucoup. Je travaille souvent avec Denis Marleau, avec qui j'ai une belle complicité. Je ne ferais pas que de la musique de scène : je suis avant tout un musicien de concert. À ce titre, j'ai eu le plaisir, l'an dernier, d'assister à la création de ARTE ! une oeuvre qui m'a été commandée pour marquer le 100e anniversaire de l'Orchestre symphonique de Québec (une pièce pour choeur et orchestre, ce qui est relativement rare au Québec). Cependant, je trouve important de toucher à différents modes d'expression. Et puis ces réalisations ont quand même eu un certain succès, comme Le piano muet, que j'ai fait avec un texte de Gilles Vigneault pour la SMCQ Jeunesse et dont le livre-disque (Atma/Fides) a reçu un Coup de coeur de l'Académie Charles-Cros ! Ce sont des collaborations privilégiées.

LSM : La musique vocale semble être un véhicule privilégié pour vous exprimer.
DG: Je crois que c'est vrai. En 2002, j'ai fait une oeuvre assez importante, en terme de durée, Clere Vénus, sur des poèmes de Louise Labé pour Marie-Danièle Parent. Elle a été créée en 2002 durant le festival MusiMars et immédiatement mise sur disque (pour une monographie consacrée à Denis Gougeon, une production de Radio-Canada. La parution est imminente). En 1999 avait lieu la création à l'Opéra de Munich d'un ballet intitulé Emma B., dont j'ai fait la musique pour un grand orchestre comptant deux voix. J'en ai fait un autre en 2000 pour le Ballet National de Norvège (Liaisons dangereuses), avec un orchestre de 35 musiciens et deux voix. Il est donc vrai que la voix est souvent présente.

Hermione et le Temps
DG: L'opéra Hermione et le Temps est une commande du directeur général du Conservatoire de musique et d'art dramatique du Québec, qui a pensé à commander une oeuvre pour les deux classes de finissants en musique et en théâtre. C'est un opéra, mais peut-être davantage un long singspiel dans lequel on parle beaucoup, puisqu'il fallait prendre en compte, bien sûr, la présence des comédiens. Au départ, il y a eu la collaboration avec Normand Chaurette, quelqu'un avec qui je m'entends très bien. (J'avais composé la musique pour sa pièce Le passage de l'Indiana pour le Théâtre Ubu.) Grand auteur, grand traducteur de Shakespeare, musicien (pianiste) et grand connaisseur d'opéra, c'est la personne idéale pour fabriquer un libretto sur mesure, quelqu'un qui soit capable de considérer les contraintes particulières de la commande. Plutôt que de faire une oeuvre originale qui aurait demandé une somme de travail énorme, il a choisi d'en adapter une rarement jouée ici, Le Conte d'hiver de Shakespeare. Ce conte, fantaisiste mais aussi très dramatique, peut parfaitement être joué par des jeunes.

Lors du travail sur la dramaturgie, Normand et moi avons décidé d'articuler la pièce selon le concept suivant : consacrer tout ce qui est essentiellement intérieur et les mouvements réflexifs des personnages à la musique et au chant, et donner ce qui fait avancer l'action aux personnages théâtraux. Il y a par exemple deux rois-comédiens qui sont doublés par deux rois-chanteurs. C'est ainsi pour chaque personnage. Suzanne Lantagne fait un travail admirable à la mise en scène, de même que Louise-Andrée Baril, chargée de la préparation musicale. Je me suis donné la contrainte de faire chanter les comédiens dans les choeurs, et ça marche très bien. Les chanteurs se produisent en solo, en duo et en trio, ce qui offre une grande variété de numéros et rend peut-être le travail plus agréable aux jeunes.

LSM : En ce qui concerne la musque, de quel genre de contrainte deviez-vous tenir compte ?
DG: La salle du Théâtre d'Aujourd'hui a une fosse de 8 pieds sur 25. J'ai placé des chaises et j'ai constaté qu'on pouvait y placer 12 personnes : c'est donc le nombre de musiciens pour lequel j'ai écrit la musique ! Raffi Armenian dirigera l'ensemble, qui comprendra un piano électronique (il serait impossible de faire autrement), trois bois, trois cuivres, des percussions et un quatuor à cordes, mais avec contrebasse. Je crois que ça fera un bel équilibre avec les voix. Je ne veux pas enterrer les chanteurs et dois garder en tête qu'ils sont en formation. Je n'ai pas fait de concessions en écrivant des pièces faciles : elles pourraient tout aussi bien être chantées par des professionnels. Je savais qu'ils auraient du temps pour travailler et je connais assez bien la voix pour ne pas leur rendre la vie impossible.

LSM : Est-ce que la contrainte agit comme un stimulant à la création ?
DG : On ne le sait jamais d'avance ! Dans le jeu de la collaboration, tout est possible, et d'ailleurs, dans les faits, il y a toujours des contraintes ! Je ne m'attends pas vraiment à ce qu'un mécène me propose d'écrire ce que je veux, dans la liberté la plus totale. Heureusement, je n'ai pas besoin de ça pour être créatif. L'idée est d'avoir des collaborateurs en qui on peut placer toute sa confiance. Je savais que le Conservatoire, qui n'a pas l'habitude des collaborations de ce genre entre la musique et le théâtre, prendrait en charge tout l'aspect « production ». Ça a demandé beaucoup de travail logistique de leur part, mais la volonté était là et on se sentait bien appuyé dans cette démarche. En ce qui me concerne, la collaboration avec Normand Chaurette est le coeur de la chose. Selon les canevas musicaux préétablis, il me proposait des choses auxquelles je réagissais. C'est comme ça que le tout s'est monté.

On ne vise pas de révolutionner l'art lyrique avec cet opéra, mais plutôt à répondre à une commande précise. Les mots de Normand, qui a réalisé une grande adaptation de l'oeuvre de Shakespeare, offrent beaucoup de matière aux jeunes sur le plan de l'expression. Musicalement, il y a des défis intéressants, mais le but reste de réaliser une « belle oeuvre », non pas de renverser les traditions. Je tenterais peut-être cela dans le cadre d'un projet personnel. Cette fois-ci, on se contente de faire de la musique, d'avoir plaisir à la faire et à la partager avec de jeunes interprètes.

Normand Chaurette

En 1976, le texte radiophonique Rêve d'une nuit d'hôpital lui vaut le premier prix du ive Concours d'oeuvres dramatiques de Radio-Canada ainsi que le Prix Paul-Gilson de l'Association radiophonique des programmes de langue française. De 1979 à 1983, il produit 65 textes radiophoniques sur des musiques sacrées, des préfaces à des textes dramatiques, quatre traductions, et des textes critiques pour la revue Jeu. Depuis 1988, il se consacre exclusivement à l'écriture. Il a obtenu le Prix Chalmer pour Les Reines en 1993 et le Prix du Gouverneur général du Canada, catégorie théâtre, pour Le Passage de l'Indiana (pièce créée en 1996 dans le cadre du cinquantième Festival d'Avignon) et pour Le petit Köchel en 2001. En 2002, l'Opéra de Montréal créait la version française de l'opéra Thérèse Raquin de Tobias Picker, d'après le roman d'Émile Zola, sur un livret de Gene Scheer traduit par Normand Chaurette.

 

 

 

Hermione et le Temps

musique : Denis Gougeon
livret : Normand Chaurette d'après William Shakespeare
direction musicale : Raffi Armenian
préparation musicale : Louise-Andrée Baril
mise en scène : Suzanne Lantagne
assistance à la mise en scène : François Gadbois
décors et accessoires : Magalie Amyot
costumes : Marc Sénécal
éclairage : François Roupinian

Du vendredi 13 au samedi 21 février 2004
au Théâtre d'Aujourd'hui
(3900, rue Saint-Denis, Montréal). Info : 514 282.3900.


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(c) La Scena Musicale 2002