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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 1

John Zorn : le jazz de J à Z

Par Marc Chénard / 3 septembre 2003

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Même si le dicton populaire nous dit que c'est le trois qui fait le mois, pour John Zorn, cependant, ce sera le deux. En effet, ce musicien-compositeur-producteur et enfant chéri (ou terrible, selon le point de vue) de la musique américaine postmoderne fêtera ses 50 ans ce mois-ci. Dans sa propre cour à New York, l'anniversaire ne passera pas inaperçu, car on a prévu un mois d'activités autour de lui au bar Tonic (voir note), le fief qu'il a lui-même créé en 1998 peu après sa brouille avec la direction de la Knitting Factory.

Iconoclaste des uns, héros des autres

Après 30 ans de carrière, Zorn est l'un des rares musiciens gravitant dans l'orbite du jazz qui a réussi à se faire un nom sans pour autant diluer sa vision artistique. Par le passé, ceux et celles qui ont atteint la célébrité, ou le stardom comme disent les anglais, ont souvent accepté de jouer le jeu du grand commerce. Mais rien de tout cela avec Zorn : du bruitisme le plus échevelé à ses rencontres tonitruantes avec les Bill Laswell, Fred Frith, Mike Patton et autres, de ses nombreuses trames sonores (ses Filmworks) au jazz moderne de Masada (conjuguant le klezmer de ses racines juives au free-jazz d'Ornette Coleman ), John Zorn est un touche-à-tout, sans conteste, et il a toujours maintenu une espèce de ligne dure qui lui a permis de se faire connaître non pas seulement dans son créneau d'élection, celui des musiques dites d'avant-garde, mais aussi de rejoindre un public plus large que celui des seuls connaisseurs.

Derrière son succès, il y a, d'une part, un certain élément de chance, notamment d'être vu au bon endroit, au bon moment, par un producteur de spectacles ou de disques -- une race qui n'est certainement pas en pénurie à New York ; d'autre part, il ne faut pas dédaigner le fait que ce musicien, dont les initiales sont étonnamment les mêmes que la première et dernière lettre du mot jazz a certainement travaillé d'arrache-pied à se créer une image.

Compte tenu de son âge, Zorn a grandi dans l'Amérique de l'abondance, gavé d'une culture populaire en pleine explosion, qui basculait du jazz, au R&B, en passant pas le rock et toutes ses variantes. La passion musicale lui a pris très tôt et, adolescent, il écoutait de tout, si bien qu'il a avoué même dans une entrevue avoir volé régulièrement des microsillons (et nous sommes encore à l'époque de vinyles, ne l'oublions pas), les camouflant sous sa chemise et ce, sans jamais avoir été pris sur le fait. Devenu adulte, il a une connaissance du disque telle qu'il a déjà réussi à identifier tous les morceaux qu'on lui soumettait lors d'un test d'écoute publié dans le magazine Downbeat (et le choix musical était d'un éclectisme inouï).

Durant les années 80, cet artiste aux grandes ambitions a gravi assez rapidement les échelons, enregistrant avec des petits indépendants locaux, puis effectuant une entrée chez le label suisse Hat Art pour ensuite passer sous contrat avec le label Nonesuch, une griffe tout aussi connue dans le monde classique que dans celui du jazz. Par ailleurs, son passage à l'émission de télé du samedi soir, Night Music, (animée par cet autre saxo alto certainement plus pop, David Sanborn) a certainement été un de ses meilleurs coups de chance.

Le tournant

Pourtant, ce sera au cours des années 90 que la consécration lui sera accordée lorsqu'il fonde non pas une seule compagnie de disques, mais bien deux : Avant, puis Tzadik (mot hébreu qui, soit dit en passant, signifie homme juste). Sa manœuvre la plus habile a été de mettre sur pied sa première étiquette (Avant) non pas aux États-Unis, mais au Japon. Bien avant cette date, Zorn avait tissé des liens très étroits avec plusieurs musiciens parmi les plus audacieux et, compte tenu de la forte agressivité de sa musique, pour ne pas dire de sa violence, son mélange détonnant faisait vibrer la corde sensible d'un jeune public nippon coincé dans un mode de vie sévèrement réglementé.

Aux États-Unis, en revanche, nombre de jazzmen ont tenté de s'autoproduire, question d'assumer pleinement la production et la diffusion de leurs œuvres. Cependant, comme le système américain a toujours mal valorisé le travail de ses artistes, beaucoup de ces tentatives étaient vouées à l'échec. Zorn, par contre, a réussi son coup puisqu'il a été le premier Américain à se doter d'une maison de disques à l'étranger. Ce faisant, il a pu continuer à fidéliser son public japonais et à créer de ce fait un certain degré d'exotisme chez lui, car les disques Avant, disponibles en importation seulement, se sont toujours vendus à fort prix sur notre continent.

Toujours chez lui, un jeune auditoire, friand de rock et de musiques électroniques de tous styles, appréciait tout autant son image d'adolescent hostile qui provoquait volontiers son public en ne manquant pas de rabrouer la racaille journalistique à qui il avait tourné le dos pendant de nombreuses années. Avec tous ces éléments en place, il lui ne restait plus qu'à franchir le dernier pas, soit de mettre sur pied son étiquette américaine, Tzadik, dont le premier grand coup a été la publication des 10 disques réalisés en studio de son quartette Masada, suivi d'une série plus récente d'enregistrements en concert. Par ailleurs, il s'est aussi fait le promoteur de beaucoup d'autres artistes de son milieu, comme l'attestent ses séries consacrées aux compositeurs et une autre à la Radical Jewish Culture. Il va sans dire que cette dernière a grande faveur en Amérique du Nord et a indéniablement contribué à sa visibilité, mais elle n'est qu'un facteur parmi d'autres. Plus près de chez nous, le Festival international de musique de Victoriaville a certainement fait sa part pour le promouvoir puisqu'il a foulé ses planches à 12 reprises depuis 1988, et ce, avec des ensembles adoptant toutes les configurations imaginables.

Zorn mur à mur

Vous vous pointez à New York ce mois-ci ? Il y aura du John Zorn mur à mur tous les soirs du mois au bar Tonic. Depuis cinq ans, ce club est devenu le lieu le plus branché des musiques nouvelles et créatives de New York (et d'ailleurs, puisqu'il accueille des groupes européens). Au programme, donc : ses ensembles de premier plan comme Masada (versions acoustique et électrique), Painkiller et Bar Kokhba, ses musiques de films, des duos avec des anciens acolytes (Fred Frith, Derek Bailey), de nouveaux (Susie Ibarra, Leo Smith), ses pièces concepts inspirés d'un jeu militaire (Cobra), ou de sports (Lacrosse, Rugby, Hockey), un solo absolu et deux nouvelles œuvres présentées en grande première.

Information : Tonic, 107, rue Norfolk (entre les rues Delancy et Revington, dans le Lower East Side). Programmation complète et détaillée disponible au : www.tonicnyc.com


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