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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 1

Hervé Niquet et la Nouvele Sinfonie

Par Réjean Beaucage / 3 septembre 2003

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Le samedi 13 septembre, à 20 heures, à la Salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau (300, boul. de Maisonneuve Est à Montréal, info : (514) 987-6919), La Nouvele Sinfonie présentera, sous la direction de son fondateur Hervé Niquet, Les ballets de Jean-Féry Rebel. Hervé Niquet a étudié le clavecin, la direction d'orchestre, la composition et le chant lyrique. Nommé chef de chant en 1980 à l'Opéra de Paris, il fonde en 1988 son propre ensemble, Le Concert Spirituel, qui ranime l'institution célèbre qui a existé sous les règnes de Louis XV et Louis XVI et avec lequel il explore le répertoire français des XVIIe et XVIIIe siècles. L'ensemble a une cinquantaine d'enregistrements dont la qualité ne se dément pas. Nous avons demandé à Hervé Niquet de nous parler de La Nouvele Sinfonie, et du programme qu'ils livreront ensemble ce mois-ci à Montréal.

La Nouvele Sinfonie est un orchestre baroque de 40 musiciens qui jouent sur instruments d'époque. Le terme « sinfonie » signifie au début du 17e siècle « orchestre ». Il est devenu un terme générique pour les œuvres où il n'y a que la sinfonie. J'ai voulu créer cet orchestre à Montréal pour aborder un répertoire qui est très peu joué sous cette forme en Amérique du Nord. On joue peu la musique française de cette époque en gros effectif. Les gens n'ont donc pas l'habitude d'entendre ce que pouvait être le son d'un orchestre à l'Académie royale de musique au 17e siècle. En France, je ne fais pas ce répertoire de musique sinfonique pure des 17e et 18e siècles et c'est quelque chose que je voudrais développer avec La Nouvele Sinfonie. De plus, j'ai rencontré au Canada énormément de gens avec qui j'ai envie de jouer. Il y a là un vivier de talents absolument incroyable parmi la nouvelle génération et je crois que l'on peut être reconnaissant à ceux et celles qui ont participé à leur éducation ! Toutes les conditions sont donc réunies à Montréal pour faire avec La Nouvele Sinfonie un répertoire qui ne se fait nulle part ailleurs en Amérique du Nord. L'orchestre est très semblable à celui que l'on a pu voir lors du premier concert montréalais l'année dernière. Il y a toujours 40 musiciens (4 grandes flûtes, 4 hautbois, 4 bassons et des cordes, percussions et clavecin). Il n'y aura cette fois-ci que quatre musiciens de France dans l'orchestre.

Il est évidemment plus simple de lire une partition que de faire un concert. D'abord, ça coûte moins cher, et puis il y a moins de risques, moins de fatigue et on entend vraiment dans sa tête ce que l'on voudrait que ce soit. Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est de réfléchir sur la musique, c'est pourquoi j'aime tisser des relations avec des chercheurs, qu'ils soient à Montréal, à l'Université McGill par exemple, ou au Centre de musique baroque de Versailles, qui cherche précisément à fédérer toutes ces recherches. Par exemple, pour le premier programme de La Nouvele Sinfonie, Les Sinfonies pour l'entrée de la reine d'Espagne à Marseille (1710), de Charles Desmazures, j'avais fait les recherches, puis les partitions avaient été gravées par un québécois (Michel Léonard). Cette fois-ci, l'orchestre sert de lecteur pour l'édition monumentale des œuvres de Rebel que prépare le Centre. Il y a donc un véritable suivi scientifique autour de la préparation de cette édition et on discute beaucoup d'instrumentarium, d'organologie et des problèmes éditoriaux concernant nos sources. Par exemple, il y a trois ballets de Rebel, Terpsichore, Fantaisie et Les plaisirs champêtres, pour lesquels nous n'avons pas les parties d'alto et c'est le Centre de musique baroque qui les a restituées. C'est un problème particulier parce que nous trouvons habituellement des partitions complètes. Je fais beaucoup de recherche à la Bibliothèque Nationale où je trouve très souvent tout le matériel d'orchestre et ça m'a permis de faire récemment des Campra pour lesquels nous avions même les coups d'archet et les appuis prosodiques, ce qui est quand même très rare. En ce qui concerne les ballets de Rebel, il les éditait sous forme réduite ; ça se vendait beaucoup mieux, mais c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas retrouvé les parties d'alto. J'ai retrouvé à Dresde les parties du ballet Les caractères de la danse, d'autres ont été retrouvées en Suède, bref, il y a énormément de sources et il suffit de chercher.

Ce qui me passionne, à vrai dire, c'est le répertoire français. Poulenc ou Ravel me sont aussi indispensables que Lully, Rameau ou Desmazures. Jean-Féry Rebel (1666-1747) est malheureusement aujourd'hui un grand inconnu, mais il a connu la célébrité à son époque. Il a quand même été directeur de l'Académie royale de musique, qui deviendra l'Opéra de Paris, et c'était certes l'un des postes les plus enviés du Royaume. Il a aussi été directeur du Concert spirituel, la plus grosse association de concerts en France au 18e siècle. Rebel a eu énormément de succès avec ses ballets, dont la majorité ont d'ailleurs été composés pour Françoise Prévost, la grande étoile de la danse de l'époque. Il était « à la mode », couru, riche et influent. Son opéra Ulysse a eu un succès énorme, mais c'est vraiment avec les ballets qu'il a fait carrière.

Sa musique est très surprenante et l'on entend d'ailleurs dans Le Chaos l'un des plus beaux clusters de l'histoire de la musique ! Rebel était un innovateur et il a un peu bousculé l'écriture du ballet. Dans Le Chaos, les instruments symbolisent les éléments et ces derniers émergent l'un après l'autre du chaos originel, symbolisé par le fantastique cluster évoqué plus tôt. C'est un grand ballet, extrêmement puissant et violent, mais qui se termine dans l'harmonie la plus parfaite. Le ballet Les éléments n'a probablement pas été conçu pour être lié au précédent, mais évidemment les thèmes se rejoignent parfaitement et il s'agit dans ce cas-ci d'un magnifique feu d'artifice dans lequel Rebel utilise tous les moyens musicaux à sa disposition pour obtenir des effets absolument flamboyants. Dans Les caractères de la danse, comme l'indique le titre, Rebel enchaîne en dix minutes toutes les danses de l'époque les unes après les autres, mais avec une grande sensualité. Pour Les plaisirs champêtres, évidemment, c'est le ciel bleu, la chaleur du soleil, l'herbe qui craque sous les pieds et le vent dans les cheveux ! Enfin Caprice, Terpsichore et Fantaisie sont de petits ballets allégoriques qui sont... tellement français ! Ils sont apparemment légers, mais pourtant très profonds et tellement élaborés. Un peu comme un chou à la crème Chantilly, c'est extrêmement délicat à faire et ça n'a l'air de rien, mais c'est d'une suavité... Que du plaisir !

 

NDLR : La Nouvele Sinfonie devait donner deux concerts cette année à Montréal, mais cette extraordinaire collaboration entre des musiciens français et québécois, dèjà soutenue par la banque française BNP Paribas, n'a malheureusement pas attiré la sympathie du Conseil des arts des lettres du Québec... Cela compromet donc la présentation d'un opéra baroque qui était prévue pour le mois de mai prochain. Une tournée européenne de La Nouvele Sinfonie, avec Le Concert Spirituel, était prévue pour novembre 2004 et est donc remise en question. Il est incroyable de constater qu'une telle entreprise, qui met en relation les chercheurs de l'Université McGill et du Centre de musique baroque de Versailles, qui créé chez nous un orchestre comme il n'y en a pas d'autre en Amérique et qui permet à nos musiciens de collaborer avec une sommité internationalement reconnue, ne trouve pas d'appui auprès des institutions chargées d'assurer l'épanouissement des artistes d'ici. Le 20 janvier 2003, Hervé Niquet recevait des mains d'Olivier Poivre d'Arvor, directeur de l'Association française d'Action Artistique le Prix AFAA de la musique classique, pour la création à Montréal de La Nouvele Sinfonie.

 


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