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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 1

Mirela Tafaj : Une voix qui ira loin

Par Joseph So / 3 septembre 2003

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La merveilleuse voix de la soprano Mirela Tafaj est sa carte professionnelle. Depuis l'ouverture des pays de l'Est européen, Mirela Tafaj (prononcez Taff-fail), née en Albanie, est la plus récente parmi un certain nombre de belles voix qui se réclament du Canada comme de leur nouveau pays. C'est dans le rôle de Musetta pour la compagnie Opera Ontario qu'elle a fait ses débuts canadiens, la saison dernière, devant un auditoire qui l'a chaleureusement reçue, tout comme les critiques le firent. Les amateurs d'opéra de Montréal ont eu la chance de l'entendre à la soirée gala de l'Opéra de Montréal, en décembre dernier, puis ensuite dans un récital à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, en mars.

Grâce à une jolie voix naturelle et à son talent d'imitatrice, la jeune Mirela chantait régulièrement dans les réunions familiales hebdomadaires. Sans avoir jamais suivi de leçons de chant et dès sa sortie de l'école secondaire, elle apprit quelques arias, passa une audition et fut acceptée au Conservatoire de Tirana. Très tôt, son talent fut reconnu et elle se démarqua rapidement de ses collègues, après avoir reçu son diplôme, en chantant Violetta, Gilda, Micaëla, Nedda, Despina, Donna Anna et Tosca pour l'Opéra national. Elle eut le privilège de recevoir le premier prix au Concours international vocal Umberto Giordano, en 1998, en Italie.

Jolie femme aux yeux lumineux, à la personnalité chaleureuse et au sourire engageant, Mirela Tafaj vit maintenant à Toronto, avec son mari violoniste Jim et leur fils Ditmar. Les changements politiques en Albanie, qui firent passer ce pays d'un système communiste enrégimenté à une démocratie à part entière, mais chaotique, n'ont pas été faciles pour elle. « La saison d'opéra habituellement chargée était réduite à deux ou trois représentations par année, et personne ne pouvait y gagner sa vie », explique Tafaj dans un anglais de qualité à l'accent marqué. Comme plusieurs autres artistes provenant de pays de l'ancien régime communiste, elle recherche la liberté artistique qu'il est encore impossible de trouver dans son pays d'origine. « Si vous êtes une artiste, vous êtes limitée, vous avez peu de chances », dit-elle en choisissant ses mots avec soin, car elle hésite à parler de politique. « Il existe un système de visas de sortie, qui fait que vous ne pouvez partir à moins d'être invitée par les plus hautes instances. Ici, au Canada, je puis me déplacer à mon gré et chanter n'importe où. »

Son soprano riche possède un timbre distinct, immédiatement reconnaissable. Le registre moyen est étonnamment sombre pour une soprano, surtout pour une voix qui peut chanter un mi bémol aussi sonore. Possédant un fort tempérament, Tafaj apporte un grand sens dramatique à son chant. Sa Tosca, malgré un son essentiellement lyrique, est une boule de feu ; malgré tout, le Vissi d'arte est profondément pathétique. « J'ai la voix d'une soprano lyrique, mais mon esprit est plutôt celui d'une soprano dramatique ! », dit-elle en éclatant de rire. Plus sérieusement, elle explique « J'aime rire et pleurer sur scène ; j'aime m'émouvoir et émouvoir mon auditoire. Lorsque vous ressentez une émotion, la voix la transmet. »

Ce n'est jamais facile de changer de pays et de culture et, dans son cas, venant d'un petit pays communiste, cela signifie qu'elle doit explorer un répertoire qui est inhabituel pour elle. Dans l'Albanie athée, les oratorios sont pour ainsi dire inexistants et les œuvres allemandes ou anglaises sont rarement présentées. La programmation d'opéra est surtout italienne ou albanienne. Les œuvres nationales – « nous avons de magnifiques opérettes » –, sont presque inconnues à l'étranger. Pour plaire à son auditoire actuel, Tafaj ajoute de nouvelles pièces pour les auditions, comme la partie pour soprano du Messie de Händel et la sémillante Adèle dans Die Fledermaus. Plus tard, elle aimerait explorer Leonora dans Il Trovatore et Rosina dans Barbiere. Rêve-t-elle d'un rôle en particulier ? « J'aimerais faire Carmen, un jour – dans plusieurs années ! » En attendant elle est heureuse d'apprendre de nouvelles pièces comme Vocalise de Rachmaninoff, qu'elle a chantée lors de son récital à la Chapelle historique du Bon-Pasteur. Elle ajoute également à son répertoire les Bachiana Brasileiras no 5 de Villa-Lobos.

Mirela Tafaj était un professeur de chant d'expérience au conservatoire à Tirana et elle se fait connaître dans la région de Toronto comme un professeur de qualité. Elle trouve que le chant d'ici possède des différences stylistiques importantes, ce qui lui demande des ajustements comme professeur. Chanteuse analytique et avide d'exprimer ses idées, Tafaj apporte beaucoup d'enthousiasme à son enseignement. « Oui, l'enseignement me plait beaucoup. C'est merveilleux de constater que les étudiants s'améliorent parce qu'ils ont compris ce que vous essayez de leur transmettre. » Malgré le choc culturel et les difficultés inhérentes au redéploiement d'une carrière, Mirela Tafaj est heureuse de faire ce qu'elle aime dans son nouveau pays : chanter pour le public et transmettre sa passion du chant à ses étudiants.

[Traduction de Michelle Bachand]


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