Initiation à la musique - Les femmes et la musique Par Lynne Gagné
/ 2 mars 2003
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L'histoire de la musique a laissé bien peu de place aux
femmes. Pourtant, de l'Antiquité à nos jours, plusieurs femmes se sont
démarquées en tant que chanteuses, instrumentistes et compositrices. Comment se
fait-il qu'elles demeurent encore méconnues ou ignorées des salles de concerts ?
Pourquoi a-t-on fait une différence dans leur créativité ? Pourquoi ont-elles
été mises à l'écart pendant des siècles ?
Antiquité et Moyen Âge
Chez les Romains de l'Antiquité,
la musique de divertissement appartenait aux femmes. Les musiciennes étaient
achetées au marché d'esclaves et gagnaient aussi leur vie à Rome en se
prostituant. De là est née la croyance selon laquelle la voix féminine est «
sexuellement stimulante », engendrant ainsi l'idée d'interdire aux femmes de
chanter à l'église. Cette loi (318 après J.-C.) se fonde sur une parole de saint
Paul : « Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas
permis de prendre la parole. » (1, Cor. 14-34) On réitère ce décret en 441 et en
532. Bien entendu, le clergé fonde toute sa philosophie de la féminité sur ces
paroles, philosophie qui perdurera pendant des siècles, troublant l'estime de
générations de femmes.
Heureusement, certaines femmes
transgressent les interdits. À l'intérieur des monastères, les religieuses
chantent, jouent d'un instrument et composent. Elles vont même jusqu'à
développer leur propre culture musicale et certains couvents deviennent de
véritables centres de musique et de culture (celui de Hildegarde von Bingen, par
exemple).
Du côté profane, le mouvement
féminin se développe aussi mais de façon plus négative. Les « juglaressa »
(provençal et espagnol : femmes jongleurs) et « trobairitz » (occitan : femmes
troubadours) sont des musiciennes itinérantes très demandées mais peu
considérées. Elles portent le poids de la réputation romaine : aux yeux des
théologiens, les « juglaressa » demeurent des séductrices et des diablesses.
Pourtant, certaines femmes de la noblesse et de la bourgeoisie s'accompagnent en
chantant devant leurs hôtes. En fait, la représentation publique, qui est
directement associée à une vertu légère, n'est pas tolérée.
Malgré leur forte participation
musicale, les femmes du xive siècle semblent composer assez peu (si ce n'est pas
le cas, les partitions n'existent plus), car les écoles « de garçons », à savoir
les cathédrales et les universités où l'on enseignait la composition, continuent
de refuser les femmes.
Renaissance
L'imprimerie musicale change
considérablement la connaissance musicale des femmes. Des partitions écrites par
des hommes circulent librement et deviennent des modèles pour les compositrices.
D'abord, elles copient les maîtres, ensuite elles s'aventurent seules dans
l'écriture. Ainsi, au milieu du xvie siècle, les premières publications
féminines voient le jour (Maddelena Casulana : quatre madrigaux (1566), Paola
Massarenghi et Vittoria Aleotti, pour n'en nommer que quelques-unes).
Période baroque
Au cours du xviie siècle, 48
recueils d'oeuvres de femmes sont publiés, ainsi que plusieurs pièces diverses
dans 17 autres livrets de compositeurs. Ces compositions féminines sont presque
exclusivement des oeuvres vocales, qu'elles soient profanes ou religieuses. Le
nombre de publications est dû au développement de la culture musicale dans les
couvents italiens du xviie siècle. Ces couvents forment d'excellentes
musiciennes et concentrent la formation des jeunes filles sur l'interprétation
musicale plutôt que sur la composition. Ainsi, ces femmes ne côtoient que de la
musique vocale religieuse, ce qui détermine l'orientation de leurs compositions.
Par conséquent, la moitié des publications féminines écrites entre 1566 et 1700
sont essentiellement religieuses.
Par exemple, Isabelle Leonarda
(1620-1704), une des compositrices les plus marquantes, a écrit plus de 200
compositions constituées surtout de pièces vocales religieuses ainsi que de
quelques pièces instrumentales. En France, Élisabeth Jacquet de la Guerre
(1665-1729), protégée du Roi-Soleil, fait carrière en tant que claveciniste et
pédagogue. Elle laisse bien sûr de la musique vocale profane et religieuse mais
aussi de la musique de théâtre et instrumentale.
Périodes classique et romantique
Le siècle des lumières ouvre de
nouvelles portes aux femmes. Ces dernières peuvent composer, mais ne peuvent le
faire comme les hommes. On parle à ce moment de complémentarité des sexes et non
d'égalité des sexes : « L'affectivité et la sensualité féminines, l'importance
que prend chez la femme l'expérience des sens et qui la rend inapte aux
abstractions, aux productions intellectuelles, seront opposées à la rationalité
masculine [...]. Dès lors, il ne s'agit plus de prouver l'infériorité générale
de la femme mais son altérité. »
Nouvelle théorie, nouvelles
conséquences. La femme possède des qualités féminines : elle est plus
émotionnelle, plus délicate et moins abstraite. Cependant, la composition
musicale, selon les hommes, suppose de la raison et de l'abstraction : des
qualités dites masculines. C'est pourquoi la femme est appréciée comme
compositrice de musique légère qu'on se plaît à jouer dans les salons. De leur
côté, les hommes font de la musique sérieuse destinée à être exécutée en public.
La femme qui ose se produire en public est toujours jugée indécente. L'activité
musicale modérée d'une femme, seule, dans les salons ou devant la famille, reste
bien vue.
Cependant, le nombre de
compositrices ne cesse de croître. Elles composent des oeuvres instrumentales
d'envergure sous un pseudonyme (Hermann Zenta pour Augusta Holmès), à côté du
nom d'un mari (Clara Schumann) ou sous le nom d'un frère (Fanny Mendelssohn). De
plus en plus, ces femmes s'orientent vers les genres musicaux contrôlés par les
hommes : musique de chambre, musique symphonique... Toutefois, les critiques
qualifient leurs productions « d'oeuvres masculines » où « se manifestent une
force de tête qui ne semble pas appartenir à [leur] sexe » (selon Fétis au sujet
des compositions de Louise Farrenc-Dumont). Rien n'est gagné pour les
compositrices. Depuis des siècles, leur musique est dépréciée et les critiques
ne font qu'accentuer le manque d'estime de soi dont elles peuvent souffrir.
Clara Schumann écrivait dans son journal, au sujet d'une de ses compositions : «
Naturellement cela reste toujours un travail de femme auquel la force fait
défaut, et parfois l'invention. »
Ce n'est vraiment qu'à la toute
fin du xixe siècle que les femmes prennent une place à l'égal des compositeurs
masculins.
XXe siècle
De plus en plus, les femmes ont
accès aux conservatoires et aux universités (Éthel Smyth, Germaine
Tailleferre...), ce qui leur permet de gagner des prix majeurs en composition
(Lili Boulanger : prix de Rome en 1914). Même si elles ont accès aux classes de
solfège et d'harmonie au piano (1920 à Paris), les classes d'harmonie écrite et
de composition leur demeurent encore fermées. Elles doivent, encore au xxe
siècle, être formées comme interprètes !
Encore une fois, les femmes
transgressent les lois des hommes pour créer leurs propres orchestres et leur
propre répertoire, qu'elles dirigent elles-mêmes. Ainsi, entre 1925 et 1940, une
trentaine d'orchestres féminins voient le jour aux États-Unis. De plus, le
mouvement féministe donne une nouvelle dimension à la création des femmes : la
reconnaissance de leurs oeuvres au même niveau qu'une composition
masculine.
Grâce au féminisme des années
1970, les compositrices sont redécouvertes. Une à une, elles revoient timidement
le jour, nous révélant, pour notre plus grand bonheur, des oeuvres, souvent
manuscrites, gardées bien précieusement au fond d'un tiroir
!
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