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La Scena Musicale - Vol. 8, No. 5

Cantabile : invasion britannique

Par Lucie Renaud / 31 janvier 2003

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Qu'obtient-on en mélangeant astucieusement des madrigaux du XVIe siècle, des airs folkloriques, des morceaux de bravoure, des classiques symphoniques adaptés et des chansons des Beatles ? Une étrange mixture, proprement indigeste, penserez-vous. Ajoutez une généreuse dose de maîtrise vocale et une pincée d'humour britannique, vous obtiendrez pourtant Cantabile, un quatuor vocal qui renouvelle le genre, rend hommage à la multiplicité des répertoires et confirme les époustouflantes capacités de la voix humaine.

Ouverture Il Barbiere di Siviglia*

Les membres de Cantabile donnent le ton dès leur entrée en scène. Une annonce nous indique que, malheureusement, les joyeux drilles ne pourront présenter leur spectacle, victimes d'un mal étrange (mais surtout imaginaire). La voix propose donc, en remplacement, les musiciens de l'Orchestre symphonique de Londres. Les sourcils se froncent, le public s'interroge, mais les habitués ricanent déjà en douce. Quelques secondes plus tard, le contre-ténor Richard Bryan, les ténors Robin Green et Mark Fleming et le baryton Michael Steffan, sanglés dans leur tuxedo, prennent place sur leur chaise de musicien d'orchestre. Après une séance d'accordage virtuelle, le feu d'artifice commence. Les quatre voix démontrent immédiatement leur virtuosité, se transforment, se fondent, adoptent les intonations typiques des différents instruments de l'orchestre, tics en prime. Le premier violon, certain de son indiscutable beauté, et le corniste qui, bien sûr, « gâchera » son solo en ayant l'air de s'excuser, ne sont que deux exemples de cet humour irrévérencieux mais délicieux qui sert de trame de fond au spectacle. Les rires fusent, les exclamations jaillissent, l'onde de charme agit.

L'histoire de la musique occidentale

À ses débuts officieux en 1977, Cantabile (qui s'appelait alors les C.U.B.S., pour Cambridge University Barbershop Singers) était formé de quatre universitaires qui chantaient exclusivement a cappella. « Nous étions bien sûr tous des enfants prodiges à ce moment-là ! » échappe spontanément, en riant, Richard Bryan, le contre-ténor du groupe, histoire de donner le ton à l'entretien. L'ensemble, un « barbershop quartet » typique, devait faire une apparition dans Charlotte's Hotel, une comédie musicale coécrite par Robert Bryan (devenu depuis Richard Bryan, un Robert Bryan faisant déjà partie de l'union des artistes locale). C'est pourtant avec la comédie musicale Blondel de Tim Rice que le groupe obtient son premier succès. En 1982, renommé Cantabile, terme qui recoupe à la fois le caractère distinctif, « chantant », du groupe tout en faisant un clin d'oeil à leur alma mater (Cantab étant l'abréviation que les diplômés de Cambridge placent après les initiales B.A. ou M.A.), le quatuor plonge. Il se consacre depuis à la poursuite du rêve, en apparence un peu fou, de combiner musique classique, classiques du jazz, musique populaire, chorégraphies et humour. « L'idée que des gens pourraient nous offrir de l'argent pour quelque chose que nous adorions faire de toute façon nous semblait étrange. Nous étions convaincus qu'ultérieurement nous nous trouverions un vrai emploi ! » Richard Bryan sourit, fait une pause. « Cela va arriver un jour ! », affirme-t-il, quasi pince-sans-rire. Vingt et un ans plus tard, Cantabile en est à sa vingtième incarnation (deux des membres du quatuor originel, Michael Steffan et Richard Bryan, font toujours partie du groupe).

Tchaïkovsky (and Other Russians)

Même si le noyau de leur répertoire reste le même dans tous les pays qu'ils fréquentent, les oeuvres ne sont jamais abordées avec légèreté. « Parfois, nous retravaillons une oeuvre que nous connaissons très bien, simplement parce que de nouveaux aspects de celle-ci ont été décelés, en concert ou en répétition », explique Robin Green, ténor, dernier membre à joindre le groupe. Ces répétitions, qui durent généralement toute la journée, se déroulent dans une atmosphère détendue et amicale. On n'a aucune difficulté à imaginer les fous rires qui ponctuent assurément de tels instants. « C'est comme un second mariage, avance Richard Bryan. Il y a un immense bonheur à faire de la musique avec des gens à l'esprit ouvert. » Le même son de cloche retentit du côté de Robin Green : « J'aime beaucoup l'intimité des quatre voix en interaction. Vocalement, nous sommes tous égaux. À certains moments, une voix doit être entendue tandis qu'à d'autres, elle doit se faire plus discrète. J'ai passé plusieurs années à chanter de l'opéra avant de me joindre au groupe et je pense que plusieurs chanteurs d'opéra auraient avantage à chanter un peu plus en retrait ! » affirme Robin Green sans ambages, commentaire salué par un retentissant éclat de rire de ses comparses. C'est aussi en groupe, « en gang », « entre potes », que le rodage des gags et des chorégraphies est abordé. Leur version du cancan d'Orphée aux enfers, dont les mots ont été adaptés pour permettre l'énumération des stations de métro londoniennes, devient ainsi un moment fort du spectacle et confirme la pertinence d'unir chant, humour et mouvement.

Perpetuum Mobile

La tournée qui s'est amorcée à la fin de janvier se poursuivra jusqu'à la mi-avril et couvrira plus d'une vingtaine de villes du Québec et du Nouveau-Brunswick. Elle permettra à un public « de 6 à 600 ans » de découvrir pour la première fois l'humour atypique de Cantabile. « Le mélange de musique et de comédie surprend la première fois, mais toutes les salles du monde réagissent de la même façon », assure Robin Green. Les Comedian Harmonists, un groupe de cabaret allemand extrêmement populaire dans les années 1930 représentent l'idéal du quatuor britannique. « Ils étaient essentiellement un groupe classique, explique Michael Steffan, mais ont non seulement attaqué les genres musicaux, ils les ont conquis en les faisant leur, un exploit que nous admirons considérablement. »

Cantabile a chanté en privé pour Karajan, a participé au concert du Jubilé de la reine Élisabeth, s'est éclaté devant 40 000 personnes aux Proms de Londres, a partagé la scène avec Placido Domingo et collectionne les apparitions médiatiques en Europe, mais se fait une joie de découvrir un coin du monde qui leur a échappé jusqu'à présent. « Le frisson (thrill) est là, où que nous allions, soutient le ténor Mark Fleming, même dans les endroits les plus reculés. » Michael Steffan renchérit : « Aller au Canada, c'est presque comme nous offrir de dessiner sur une toile vierge. C'est très excitant d'être des pionniers. »

« Les applaudissements restent thérapeutiques, rien de tel pour remonter le moral », laisse tomber Mark Fleming. « Le concert dont je me souviendrai le plus longtemps pourrait bien être le prochain, poursuit Michael Steffan. C'est peut-être pour cela que nous continuons... ». Si la réponse du public montréalais, qui a eu la chance de les entendre en primeur en novembre 2002, est un baromètre fiable, on pourra bientôt parler d'un nouveau raz-de-marée britannique. En choeur avec les membres du quatuor, vous pourrez alors chanter Il est bel et bon...

* Tous ces titres seront chantés par Cantabile lors de leur tournée. Le quatuor sera en février à Longueuil, en mars à Rivière-du-Loup, Moncton, Val d'Or, Rouyn-Noranda, L'Assomption et Beloeil, en avril à Sillery, Rimouski, Amqui, Gaspé, Chandler, New Richmond, Sept-Iles, Baie-Comeau, Fermont et Jonquière. Détails dans notre calendrier. Info : (514) 844-7142


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