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La Scena Musicale - Vol. 8, No. 10

Yossif Ivanov : rêver éveillé

Par Lucie Renaud / 2 juillet 2003

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En demi-finale du CIMJM, l'interprétation renversante d'aisance offerte par le violoniste belge Yossif Ivanov, le plus jeune concurrent en lice, en a impressionné plus d'un. Seul candidat à oser interpréter de mémoire la pièce imposée (Chant, d'Ana Sokolovic), il a mordu sans frémir dans l'acrobatique Sonate no 6 d'Isaÿe et a montré un coup d'archet sûr dans Bach et Prokofiev. En finale, son Concerto de Sibelius a fait bondir un public fervent qui lui a réservé une longue ovation. On a même pu apercevoir plusieurs des violonistes du prestigieux OSM complètement sous le charme. Pourtant, quand le président du jury, André Bourbeau, a annoncé, quelques minutes avant 23 heures, le nom du gagnant du premier Grand Prix (doté d'une généreuse bourse de 25 000 $), Yossif Ivanov n'y croyait pas. Cet adolescent de 16 ans, au physique un peu gauche, typique de celui qui s'endort un soir dans un corps d'enfant et se réveille le lendemain avec une ossature d'homme, avait à peine eu le temps d'effleurer ce rêve que celui-ci se réalisait. « Je n'en revenais pas quand on a annoncé mon nom. C'était fantastique, absolument génial ! Je ne pensais jamais gagner ! », s'est-il exclamé spontanément, comblé, deux jours plus tard. « On espère toujours, bien sûr », poursuit-il, dépassé par les événements, d'une voix légèrement haletante qui laisse percer une certaine timidité, « mais tellement de facteurs peuvent entrer en ligne de compte lors de l'attribution des prix ! » En entrevue avec Eric Friesen sur les ondes de CBC Radio Two quelques minutes après l'annonce, il avait d'ailleurs immédiatement teinté cet enthousiasme d'une certaine inquiétude face à son examen de fin d'année, invoquant que le répertoire, complètement différent, restait à peaufiner et que le directeur de l'école, « très strict », n'accepterait pas un programme moins que parfait.

Yossif Ivanov n'en est pourtant pas à ses premières armes dans la jungle parfois cruelle des concours. Lauréat des concours Herman-Krebbers de Maastricht (Hollande), Charles-de-Bériot de Bruxelles (Belgique), Wieniawski de Lublin (Pologne), Tenuto de Bruxelles et du Concours international de violon Yehudi-Menuhin (Angleterre), il a aussi été le représentant de la Belgique au concours Eurovision en 2000 (qui se tenait en Norvège). Fils du violon solo de l'Orchestre Royal Philharmonique des Flandres, Dmitri Ivanov (d'origine bulgare mais établi depuis un quart de siècle en Belgique, précise Yossif), il baigne dès ses premières années dans le milieu et exprime un profond respect pour le travail parfois ingrat de musicien d'orchestre. À l'âge de cinq ans et des poussières, quelques mois après avoir débuté des leçons de violon avec son père, il joue en public, soutenu par l'orchestre paternel. Ivanov, le père, remarque rapidement les dons prodigieux de son fils et l'emmène quelques années plus tard à Lubeck, chez Zakhar Bron, un des pédagogues les plus courus à l'heure actuelle et qui compte parmi ses anciens élèves Maxim Vengerov et Vadim Repin. « Avec Bron, dès le début, nous avons travaillé la main droite : avoir une bonne main droite, c'est essentiel », précise le jeune violoniste. Il poursuit ses classes avec Igor et Valery Oistrakh (avec qui il étudie toujours) à Bruxelles, qui insistent non seulement sur la musicalité (qu'il transmet avec beaucoup de senti), mais aussi sur la technique, le positionnement des deux mains et les doigtés. Contrairement à Marie-Nicole Lemieux, qui a stoppé net sa carrière de concurrente après avoir décroché le premier prix au Concours Reine Elisabeth de Belgique, Yossif Ivanov a l'intention de continuer à fréquenter le circuit des concours internationaux. « Je n'ai que 16 ans et ce serait dommage de ne plus faire de concours après celui-là ! Il y a encore beaucoup de grands concours que j'aimerais faire : le Tchaïkovski, le Reine Elisabeth de Belgique, bien sûr », dit-il d'une voix pleine de fierté. La gestion du temps deviendra toutefois assez problématique à très court terme. Même s'il a l'intention de terminer ses études à la Chapelle musicale Reine Elisabeth (une école privée qui accueille seulement sept étudiants en violon, qui habitent sur les lieux) et d'obtenir son diplôme en juillet 2004, il devra dorénavant vivre avec des horaires alourdis de concertiste et de soliste. Celui qui, jusqu'à maintenant, n'avait pas d'agent, s'est en effet vu offrir plusieurs cartes professionnelles lors des réceptions d'après concours. Il mentionne des concerts avec l'Orchestre national de Belgique et l'Orquesta del Nuevo Mundo en mexique, mais évoque, d'un air gêné, toutes ces personnes qui l'ont approché et dont il n'a pas nécessairement retenu le nom. Sa maîtrise du flamand, de l'anglais, du français, du bulgare (et sa compréhension du russe) saura lui être utile lors des négociations avec les agents.

Joint chez lui quelques semaines avant le début du concours, Martin Beaver, premier violon du Tokyo Quartet et gagnant du Concours International de Montréal en 1992, avait évoqué la possibilité d'un gagnant très jeune. « Je trouve, en général, que les artistes n'ont pas assez de temps pour se développer adéquatement, affirme-t-il. Plusieurs interprètes remportent des concours importants quand ils ont 17 ans et ne savent pas comment gérer leur prix et ne sont pas prêts pour une carrière internationale. Dans certains cas, il semble facile d'avoir une grande carrière pendant quelques années, mais la longévité et la croissance artistique sont absentes du processus. » Gérard Poulet, pédagogue qui a siégé sur nombre de jurys de concours internationaux, craignait aussi que cet honneur n'arrive trop tôt dans la carrière du jeune virtuose, même s'il louait du même souffle sa technique et sa musicalité exceptionnelles à la Chaîne culturelle de Radio-Canada.

Yossif Ivanov aura à tirer son épingle du jeu et à prouver qu'il n'est pas qu'une étoile filante au firmament des violonistes. À l'instar de ses idoles, Maxim Vengerov, Vadim Repin mais surtout David Oistrakh – « Selon moi, c'est le plus grand violoniste du siècle, le dieu du violon ! » –, il tentera de dépasser les limites de la virtuosité pour devenir un artiste à part entière. Quand on l'interroge sur son avenir à moyen terme, il réfléchit avant de répondre : « Tout le monde a des rêves. J'aimerais bien faire des récitals, de la musique de chambre, faire du duo avec mon frère, Philippe, un pianiste. Il a 14 ans, mais on ne se rend pas compte de son jeune âge quand il joue. J'aimerais aussi jouer en quatuor et faire beaucoup de concerts. Tous les violonistes désirerent devenir célèbres, mais je serais aussi très content si j'avais une bonne place dans un grand orchestre, comme mon père. On peut rêver, mais on ne peut jamais dire comment tout se passera... »

Concours International de Montréal des Jeunesses Musicales

Ce n'est pas moins de 10 prix qui ont été distribués aux violonistes participant à l'édition 2003 du Concours International de Montréal des Jeunesses Musicales, une compétition dont la qualité place définitivement Montréal sur la route des grands concours internationaux.

Le palmarès s'établit comme suit : premier Grand Prix / Prix Standard Life (25 000 $) décerné à l'unanimité du jury à Yossif Ivanov (16 ans), de Belgique, le plus jeune candidat du Concours ; deuxième Grand Prix, offert par Alcoa (15 000 $), à Alexis Cárdenas, du Vénézuela ; troisième Grand Prix, offert par la Banque Nationale du Canada (7500 $), à Matthieu Arama, de France ; quatrième Prix, offert par Gaz Métropolitain (5000 $), à Nicolas Koeckert, d'Allemagne ; cinquième Prix, offert par CGI (4000 $), à Oleg Kaskiv, d'Ukraine et sixième Prix, offert par la SAQ (3000 $), à Julia Sakharova, de Russie.

Quatre prix spéciaux ont également été décernés : le Prix Joseph Rouleau (5000 $), offert par le gouvernement du Québec au meilleur violoniste québécois, Jean-Sébastien Roy ; le Prix Étoiles Galaxie de Radio-Canada (5000 $), remis au meilleur violoniste canadien, Sarah Pratt; le Prix d'interprétation de l'œuvre inédite imposée, offert par Loto Québec (5 000 $), à Diana Galvydyte, de Lituanie et, enfin, le Prix du public « Hommage à Arthur LeBlanc », offert par Hydro-Québec (2500 $), à Alexis Cárdenas, du Vénézuela.

Visit jmc2003.scena.org for reviews of the semifinals and finals (in English only).


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(c) La Scena Musicale 2002