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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 3

Wajdi Mouawad et José Evangelista dans la création du Manuscrit trouvé à Saragosse

by Frédéric Cardin / November 1, 2001

Version française...


La compagnie de Pauline Vaillancourt, Chants Libres, présentera en première mondiale la création du Manuscrit trouvé à Saragosse, oeuvre basée sur un roman du Polonais Jan Potocki et adaptée par Alexis Nouss. Une distribution de neuf chanteurs et les membres de la Société de musique contemporaine de Montréal, sous la direction de Walter Boudreau, donneront vie à la partition musicale.

Le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jan Potocki est un roman presque mythique et un des jalons à peu près oubliés de la littérature fantastique. Écrit entre 1804 et 1814, il connaît une histoire mouvementée tout à fait digne de son contenu: première édition en seulement 100 exemplaires, perte de la version d’origine, modifications non autorisées, plagiat et attribution à un prétendu Journal de Cagliostro, etc. Tout ceci pour en arriver à la version française complète, retraduite et disponible depuis 1989 seulement.

On y parle de pendus, de revenants, de spectres, d’étranges démons et de succubes avides. Un militaire doit parcourir une contrée mystérieuse pour se rendre à un rendez-vous avec le roi d’Espagne. En chemin, il lui faut affronter des épreuves lancées contre lui par les êtres du mal. Il remet alors en question ses propres valeurs et celles de sa culture, tout en essayant de conserver les apparences de la pureté.

L’aristocrate polonais Potocki était à la fois historien, archéologue, sociologue, grand voyageur, écrivain, libertin, athée, anticlérical, philosophe et doué d’une remarquable ouverture d’esprit. Il notait soigneusement coutumes et rites de toute sorte et s’en inspira pour son roman. Il se suicida sans raison apparente, en 1815, avec une balle de fusil qu’il avait fait bénir «au cas où Dieu existerait».

Le compositeur José Evangelista, né à Valence en 1943, connaît bien le roman de Potocki. «Tout jeune, je me souviens d’avoir été fasciné par la version de 1958. Puis, en 1989, à la sortie de la version complète, je me suis replongé avec bonheur dans ce monde fantastique. Depuis, je pense et je travaille à cet opéra. J’en ai parlé à Alexis Nouss, que je connaissais depuis notre collaboration dans La Porte en 1987. Celui-ci a accepté de participer au projet et a réalisé un merveilleux livret, très respectueux de l’oeuvre d’origine. Il a réussi à conserver intégralement les mots de l’auteur pour en faire un opéra compréhensible et exécutable de durée moyenne.»

«Je me suis donc amusé à créer différents niveaux d’impuretés, puisque le roman est lui-même bourré d’idées impures et d’éléments culturels disparates, à la fois authentiques et amalgamés à une foule d’autres. Il y a donc des mélodies folkloriques espagnoles recopiées telles quelles, une mélodie grecque, des éléments de musique séfarade, ashkénaze, des mélodies de tendance folklorique de mon cru, transformées par certaines couleurs modernistes, etc. Potocki n’abordait pas les cultures qu’il étudiait avec un regard hautain. J’ai donc souhaité approcher ces influences musicales avec spontanéité et grand respect.»

Même s’il est enthousiaste sur sa création, le compositeur est plus circonspect quant à l’avenir de la musique contemporaine en général. Il considère que les compositeurs d’aujourd’hui doivent intégrer les discours, les techniques, les tics de la musique de variétés ou pop pour créer une musique savante vivante qui, tôt ou tard, sera reconnue comme plus avancée que ses origines naïves.

Wajdi Mouawad a prévu une mise en scène très ludique de cette fresque aux accents imaginaires. «J’ai voulu que les chanteurs s’amusent! J’ai voulu briser leurs chaînes habituelles, les faire chanter la tête en bas, des trucs comme ça.»

C’est une oeuvre qui se prête bien à ce type d’exercice, de par sa facture très fantastique. Il n’y a pas de reconstitution historique ni aucun élément reconnaissable de la temporalité de l’oeuvre.

Le caractère très actuel de l’oeuvre a fasciné le metteur en scène. Sur le plan de la structure, l’histoire se déroule à la manière d’une musique minimaliste de Steve Reich (une même cellule, ou histoire, se répète sur plusieurs journées avec de subtiles variations conduisant vers un but final). Les images utilisées anticipent à la fois le romantisme, le symbolisme, le surréalisme et met en place les bases de la littérature fantastique.

«Le héros est confronté à des discours dominants et dominateurs, militaires, érotiques, religieux, etc. Il s’aperçoit que ses propres valeurs, son mode de vie, sa religion, ne sont pas si différents de ceux d’autres cultures. Il y a alors remise en question, naturellement. Le héros doit donc apprendre à absorber ces discours tout en refusant de s’y perdre. La question est donc de savoir comment dialoguer dans la discorde

Coté musique, Wajdi Mouawad a laissé carte blanche au compositeur, José Evangelista.«C’est son opéra, pas le mien. Je lui ai donné des conseils sur le rythme dramaturgique, par exemple de raccourcir le temps alloué à une scène en particulier, mais rien de plus. C’est sa vision de l’oeuvre qui compte.»

Lui qui admet n’avoir jamais «considéré» l’opéra se dit pourtant transporté par la fièvre créatrice de Pauline Vaillancourt: «Elle est devenue importante dans mon développement en ce sens. Elle m’ouvre un univers fascinant et mystérieux. Mystérieux parce que, dans sa faisabilité, la musique est le seul art qui demeure un mystère pour moi.»

Wajdi Mouawad n’en a pas terminé avec l’opéra de création, puisqu’il prévoit reprendre sa collaboration avec Chants Libres et Pauline Vaillancourt en 2002 pour une version «opéra pour enfants» de sa pièce jeunesse Pacamambo. À suivre. Manuscrit trouvé à Saragosse sera présenté du 22 au 24 novembre (voir calendrier pour détails).


Version française...

(c) La Scena Musicale