Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 7, No. 3

La flûte apprivoisée

Par Lucie Renaud / 1 novembre 2001

English Version...


L’expression «ouverture d’esprit» semble avoir perdu beaucoup de son sens, récemment. Pourtant, quand on rencontre pour la première fois Francis Colpron, directeur artistique des Boréades de Montréal, ces mots reprennent toute leur signification. Soliste et chambriste fort couru, il trouve le temps d’enseigner à l’Université de Montréal, en plus de présider aux destinées de son ensemble. À l’occasion, il n’hésite pas à participer à des expériences musicales éclatées. On a ainsi pu l’entendre, en octobre, improviser sur les bandes sonores d’Alain Trudel lors du spectacle multidisciplinaire Le Chauffe-eau ou Café à l’indigo. Rien de surprenant, après tout, si on considère qu’adolescent, il interprétait du rock progressif à la flûte à bec!

Tout jeune, il joue déjà avec l’ensemble de flûtes de Châteauguay, sous la dynamique tutelle de Jocelyne Laberge. «J’étais proche de l’instrument, se souvient-il. On me donnait tous les solos et, bien sûr, j’adorais ça! J’ai toujours joué pour le plaisir.» L’ensemble avait eu la chance de faire, au Canada et en Europe, plusieurs tournées qui ont certes façonné l’esprit malléable du jeune flûtiste. Pourtant, au moment d’amorcer ses études collégiales, il décide de se diriger vers les sciences pures, «comme tout le monde». La musique ne tarde pas à revenir le hanter. «Quand j’ai décidé de faire des études sérieuses, c’était en flûte à bec, un médium très rigoureux et exigeant quand on s’y met. J’avais découvert l’univers de cet instrument et j’avais développé, pour lui, un certain amour. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de gens qui étaient très forts dans le domaine. Je me suis donc retrouvé en Europe où j’ai rencontré des maîtres qui avaient vraiment dédié leur vie à l’instrument.»

Il étudie ainsi au Conservatoire d’Utrecht, la flûte à bec avec les renommés Marion Verbrüggen et Heiko ter Schegget, et la flûte traversière avec Martin Root. Il se rappelle avec nostalgie l’effervescence qui accompagnait ses expérimentations. «Ce n’est pas tant le côté professoral qui m’a marqué que les étudiants qui m’entouraient, tous de culture différente. Je voyais aussi comment ces artistes se développaient et les démarches parfois très originales qui les animaient. Je me suis plongé dans la vie de là-bas.» Toute bonne chose ayant une fin, financement oblige, il revient au Québec, mais en emportant avec lui une parcelle de cette terre d’adoption: la flûtiste néerlandaise Femke Bergsma, qui partage sa vie depuis.

Dès son retour, en 1991, désirant fonder un ensemble, il enregistre le nom «Boréades» mais ce ne sera que trois ans plus tard que le déclic se fera, quand il rencontre la gambiste Suzie Napier et la violoniste Hélène Plouffe. Un premier contrat des Jeunesses Musicales du Canada se présente presque aussitôt. Le processus s’enclenche d’un coup: une grosse tournée est mise sur pied. Les atomes crochus font le reste et les Boréades entament cette année leur sixième année d’existence.

Le premier concert de cette saison, en octobre, était consacré au projet «Beatles Baroque», un concept qui a fait jaser autant les détracteurs qui reprochent aux Boréades d’avoir voulu faire un coup de marketing -- ce que Francis Colpron dément avec force -- qu’un public ravi qui est sorti du concert le sourire aux lèvres. Le concert du 16 novembre abordera un tout autre registre. Sous la direction d’Hervé Niquet, l’ensemble et six sopranos essaieront de recréer une messe telle qu’elle pouvait exister dans les couvents du xviie siècle. Celle qui sera présentée, Super flumina Babylonis, aurait été créée pour un office de la Semaine sainte par le compositeur français François Cosset, directeur de la musique au couvent des Visitandines à Paris, «un célèbre inconnu», selon Colpron. Un peu comme Charpentier à la même époque, lui non plus n’était pas admis à la cour de Louis xvi, faute de relations. Ce sera l’occasion, pour l’ensemble, de montrer la variété des talents de François Cosset. Deux voix de soprano se partageront trois des quatre voix, tandis que les instrumentistes (flûte, violon, violoncelle et orgue positif) joueront la partie vocale restante, en plus de réaliser certaines harmonies qui pourraient manquer à la polyphonie. «Comme dessus, je serai dans la même tessiture que les sopranos, une tessiture très haute, donc proche du ciel, je l’espère. L’effet acoustique sera vraiment très intéressant. La musique semblera également moins aride, avec une couleur inédite. Un mélange peut-être plus moderne qu’ancien, mais pourquoi pas? On peut spéculer que cela existait, mais nous n’avons pas de preuves.» Des oeuvres instrumentales de quelques autres compositeurs du xviie siècle seront intercalées entre les diverses sections de l’office.

L’époque baroque recèle de trésors qui ne demandent qu’à être découverts et Francis Colpron se voit un peu comme un archéologue -- «mais un archéologue qui a du plaisir!», se récrie-t-il. «Avec une connaissance approfondie de l’époque, on arrive à situer les phares. La raison pour laquelle Bach reste si génial, c’est qu’il y avait toute une époque avant lui! Il s’agit de comprendre le processus, d’où la musique vient. Avec l’expérience, on développe un esprit critique.» Il juge essentiel que tous les membres de l’ensemble puissent clarifier leur démarche artistique. «À certains égards, ce que nous faisons est tellement pointu que nous découvrons des choses que personne ne connaît: si nous n’en parlons pas, personne ne comprendra. Personne n’a la vérité, mais, en cherchant, on peut dire qu’en bout de ligne, elle pourrait être telle qu’on la présente.»

Même s’il reste toujours sous le charme de la flûte -- «c’est peut-être l’instrument qui m’a trouvé, finalement!» --, il s’intéresse depuis toujours à l’univers de la musique de chambre. «Si je restais confiné à la flûte à bec, je ne ferais pas grand-chose, parce que peu de répertoire est dédié à cet instrument», admet-il. Il avoue avoir un penchant pour la musique vocale du xviie siècle, surtout l’opéra, «une innovation à l’époque. La spontanéité du médium m’intéresse énormément. On avait en tête de provoquer beaucoup d’émotions et on savait être très imaginatif». L’oeuvre de François Cosset, même si elle est liturgique, se maintient d’ailleurs dans cet esprit, selon lui.

Les Boréades ne manquent pas de projets. Le concert du 16 novembre sera disponible en enregistrement en 2002 et l’ensemble s’offrira le luxe et le plaisir d’une tournée européenne du même programme avec Hervé Niquet. D’autres rêves, multimédias, sont caressés. «Nous avons un opéra en tête. Nous pourrions accompagner la musique avec des acteurs, des danseurs, des gens du cirque, de la pantomime.» Même si Francis Colpron trouve la gestion de l’ensemble accaparante, avec son flot incessant de demandes de bourses, de contacts à établir, de discussions avec le directeur de tournée, il affirme que, quand il revient aux Boréades, «c’est toujours un plaisir. Je ne veux pas parler de passion, parce que le terme est galvaudé, mais j’aime beaucoup ce métier. C’est un art de vivre. Jusqu’à présent, je suis arrivé à maintenir un équilibre. Je ne peux pas dire que c’est facile, mais je peux me qualifier d’homme heureux». Qui sait où sa flûte et son enthousiasme communicatif le mèneront?

Concert le 16 novembre à la Chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours à Montréal. Concert repris le 17 à Ottawa.


English Version...

(c) La Scena Musicale 2002