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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 10

Karita Mattila - La ruée vers l'art

Par Wah Keung Chan / 1 juillet 2002

English Version...


En 1983, la soprano finlandaise Karita Mattila attirait l'attention internationale en remportant le premier concours Cardiff Singer of the World à l'âge de 23 ans. Dix-neuf ans plus tard, elle est considérée comme l'une des grandes sopranos de notre époque. Sa voix claironnante à l'aigu puissant a enthousiasmé les amateurs d'opéra en Europe et elle est régulièrement l'invitée du Metropolitan Opera (récemment dans Fidelio et Lohengrin), souvent en compagnie de Ben Heppner. Peter Conrad a écrit dans Observer que « Mattila est tout simplement la plus grande actrice chantante au monde. » Bien qu'elle soit originaire de la campagne, elle est maintenant séduisante, sophistiquée et avisée. La Scena Musicale lui a parlé un jour de relâche, entre deux répétitions d'une production de Simon Boccanegra de Verdi à Florence.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes chanteurs ?

Il y a 20 ans, à la radio, on a posé la même question à Birgit Nilsson. Elle a répondu : achetez-vous des chaussures confortables. Elle n'a pas voulu aller plus loin, disant que tout le monde devait faire ses propres erreurs. Sur le coup, sa réponse m'avait agacée, mais, finalement, elle avait raison.

Mon conseil : bien travailler pour devenir un chanteur professionnel et non une vedette. Il faut connaître sa voix, apprendre ce qu'est le chant, comment son instrument fonctionne, et mener sa vie comme on l'entend.

Il ne faut pas se presser, on a 30 à 40 ans pour chanter. Je suis reconnaissante d'avoir dû faire mes propres erreurs, j'en ai tiré des leçons. Heureusement, aucune n'a été grave au point de compromettre ma carrière.

Quelles ont été ces erreurs ?

Autour de 1990, je chantais trop. Il m'a fallu du temps pour le comprendre. À 30 ans, je pensais que je pouvais tout avoir, j'étais heureuse, téméraire. J'ai traversé une crise autour de 1988, juste avant de rencontrer mon mari. Parfois, contre l'avis de mon médecin, je chantais même si je ne me sentais pas bien. J'étais prête à mettre ma santé en péril pour de l'argent. Cela a duré trois ou quatre ans. Je ne connaissais pas ma voix et j'en ai payé le prix. On a dû opérer mes cordes vocales en 1992. Par bonheur, l'opération a réussi. On m'a enlevé une veine qui avait commencé à me déranger parce que j'avais trop chanté. Les jeunes chanteurs ont peut-être besoin d'une crise pour vraiment comprendre leurs limites. C'est ce qui m'est arrivé.

Comment vous en êtes-vous sortie ?

Avec du repos. Après mon mariage, en 1992, nous avons fait une longue lune de miel. Je n'ai pas chanté durant deux mois et mon état s'est amélioré. Ce fut aussi, bien sûr, une énorme leçon sur le plan mental. Quel soulagement de me sentir de nouveau en forme !

Il est ennuyeux d'être une chanteuse d'opéra. Devenir une artiste, c'est le but d'une vie, et cela est stimulant. Cela exige beaucoup de travail et il faut apprendre de ses erreurs. J'ai eu la chance de pouvoir compter sur des personnes sages, par exemple Vera Rozsa, mon professeur depuis 1983, et mes agents Diana Mulgan, décédée en 1998, et, maintenant, Tom Graham.

Quels sont les ingrédients d'un artiste ?

Bien entendu, il faut la voix. Il faut également du talent, une ambition sans borne, la volonté de travailler, et comprendre que ce travail n'a rien à voir avec la célébrité. Si vous êtes bon, alors vous pourrez profiter du glamour, mais le travail est dur, solitaire, il faut de la discipline et les défis sont nombreux. Si vous avez la passion du chant, de la scène, du don au public, alors ces défis ne sont pas vus comme des obstacles. Il est bon de connaître le succès, d'être fier de soi, mais réaliste, et de savoir en quoi on excelle. Si un chanteur veut faire une carrière internationale, il doit apprendre des langues étrangères. Cela sera plus facile si on aime l'imprévu, la découverte de nouvelles cultures et des gens, autrement, ce pourrait être fort solitaire.

Évidemment, il est préférable de bien paraître et de garder la forme. J'ai perdu 40 livres à l'âge de 22 ans grâce au programme Weight Watchers et je m'en réjouis encore. Je n'étais pas grosse, mais j'étais enveloppée et je ne me sentais pas bien dans ma peau. C'est un combat de chaque instant. Ce n'est pas de la vanité : pour bien servir une œuvre, il faut avoir l'air du personnage. J'exerce un métier de la scène, on me scrute quand je chante.

Je ne voudrais pas paraître trop négative au sujet des qualités d'un bon chanteur professionnel. Il faut aimer travailler et il faut surtout aimer chanter. Si cette passion est indomptable, elle vous aidera à voir les obstacles comme des détails de parcours.

Quelles sortes d'obstacles ?

Parfois, le chef ne vous aime pas, ou vous n'aimez pas ce qu'il fait. C'est le genre de situation qui vient avec le métier et le public n'a pas besoin d'en être informé. Il faut s'y faire. Aussi longtemps que vous éprouvez du plaisir à découvrir de nouveaux rôles et à apprendre de nouveaux airs, ça en vaut la peine. Pour le reste, « c'est la vie ».

D'où vous vient votre passion pour le chant ?

En général, je suis une passionnée, quoi que je fasse. À l'école, j'avais décidé d'apprendre le livre d'histoire par cœur et j'ai obtenu la meilleure note. Je rivalisais toujours avec mes trois frères. Cette attitude de fonceuse m'a aidée à composer avec la compétition dans ma profession. Mon premier professeur, Liisa Linko-Malmio, me disait : « Il y a toujours de la place au sommet, et en haut, il vente fort. Autrement dit, il est plus difficile d'être au somment que d'y arriver. »

Lorsque vous avez chanté Chrysothémis dans Elektra en 1995 à Salzbourg, vous avez dit que cela avait été une révélation pour vous.

J'avais peut-être mal évalué mes limites et je me suis rendu compte que je pouvais aller beaucoup plus loin. Ce répertoire convient à ma personnalité et à ma voix. Ce fut une révélation parce que j'avais choisi mon répertoire avec soin et que j'avais cherché à éviter les risques. Cette étape m'a peut-être paru marquante parce que chanter du Strauss, c'est très différent de Mozart. Ce fut un grand changement que de pouvoir chanter sans inhibition, personne ne me demandait de chanter plus doux. J'ai senti que j'y avais mis tout mon cœur. Je me sentais si bien qu'immédiatement après, j'ai pensé qu'il y avait quelque chose d'anormal. Vera Rozsa m'a rassurée : d'après elle, j'avais été formidable.

Quand on commence jeune comme je l'ai fait, il devient encore plus évident qu'on ne peut développer qu'un aspect de soi. Tout se rapporte à la voix : vos humeurs, vos émotions, vos hormones, tout ce que vous sentez et voyez, votre taille, votre corps. Il est particulièrement important de bien mûrir et d'intégrer les expériences.

Comment abordez-vous vos rôles pour être aussi convaincante ?

J'ai travaillé avec des acteurs à l'Académie Sibelius. J'ai dû prendre mon temps pour absorber ce qu'ils m'avaient appris. Mieux je comprenais ma voix, mieux j'ai pu chanter. Les deux bibles qui m'ont aidée sont Respect for Acting et A Challenge for the Actor d'Uta Hagen.

Il est important de servir l'œuvre. Je suis flattée d'être considérée une vedette, mais le succès d'un opéra ne peut reposer sur une seule vedette. L'opéra est un travail d'équipe, il faut une solide distribution, un bon metteur en scène, un bon chef. J'ai eu la chance de me produire dans certaines productions où cela était possible. J'essaie de travailler avec des gens avec qui je m'entends bien. L'opéra est une forme de théâtre, on y raconte une histoire. Le point de départ, c'est de bien chanter. Comme vous faites partie d'un groupe, il faut faire confiance aux personnes qui vous entourent, ce qui n'est pas toujours facile. Il faut être constructif. Ce peut être divin lorsque vous avez la chance d'avoir un grand chef et un grand metteur en scène qui travaillent bien ensemble. Ici, à Florence, je suis comblée, parce que Claudio Abbado et Peter Stein s'entendent à merveille.

J'essaie de ne pas me faire d'idées préconçues sur mon personnage. Pour mon propre bien, je veux donner une chance au metteur en scène. Autrement, pourquoi travailler avec lui durant quatre ou cinq semaines ? J'ai souvent travaillé avec un metteur en scène aux idées fortes ; s'il est convaincant, même si je puis avoir des réserves, je suis prête à le suivre, c'est ce que j'ai fait pour le Lohengrin de Robert Wilson au Met. Il m'était très difficile de comprendre son concept, mais ses idées sur les déplacements étaient solides et c'est un grand artiste. Bien sûr, si le chef a des idées arrêtées parce qu'il ne m'aime pas, n'aime pas mon visage, me trouve trop grande -- je fais 1,78 m -- ou autre chose, alors j'écoute et je dis « D'accord, allons-y ». Cela vaut également pour le chef. Mais je ne tolère ni l'arrogance ni les mensonges, de personne. Je me défends, je dis que cela doit changer, ou qu'il faut en référer à la direction. Toutefois, je ne romps pas mes contrats pour des raisons personnelles, j'ai un devoir auprès du public. Si l'on a annoncé que je chanterais à tel endroit, il serait peu professionnel de ma part d'annuler.

Accepteriez-vous de travailler de nouveau avec Robert Wilson ?

Si le Met reprend son Lohengrin, c'est possible. Il m'est difficile de comprendre son style, mais je le respecte énormément et je crois sincèrement qu'il est un grand metteur en scène. Ce fut une expérience merveilleuse d'être en désaccord avec lui et en même temps de continuer à le respecter. Après chaque présentation, je me sentais comme une ballerine blessée au pied. Le public a été divisé, certains ont détesté, d'autres étaient en larmes. Il ne me revenait pas de juger de son style de mise en scène, qui semble rejoindre le public. Alors, mon opinion est discutable.

Qu'est-ce qui s'en vient ?

J'espère demeurer en santé et chanter jusqu'à l'âge de 60 ans. J'aimerais continuer dans le répertoire slave, que j'ai commencé à apprendre. Certains rôles de Verdi, et aussi du répertoire allemand, peut-être Isolde dans une dizaine d'années. Mon prochain Verdi est Amelia dans le Ballo. J'aime aussi Puccini. Et j'ai hâte au Salome à Paris l'an prochain.

Quelle musique vous plaît ?

En ce moment, j'aime Simon Boccanegra. Je suis comme ça, les rôles que je fais sont toujours mes préférés. J'ai hâte de travailler Elektra avec Jimmy Levine, mon autre chef favori, et Deborah Polanski. Quand je ne chante pas, j'écoute du jazz, cela me détend. Quand je serai plus connue, peut-être, je pourrai faire un disque... On peut rêver.

Karita Mattila se produira deux fois au Festival de Lanaudière : le 27 juillet avec l'OSM et en récital avec Martin Katz le 30 juillet (diffusé par Radio-Canada le 2 août à 13 h 30). Elle donnera également un récital à Toronto (le 27 février 2003 au Roy Thomson Hall, 416-872-4255) et sera l'invitée de la Vancouver Recital Society le 12 mars 2003 (604-280-3311). [Traduction d'Alain Cavenne]

Visitez <www.scena.org> pour les concours Karita Mattila. À gagner :

  1. deux paires de billets pour le concert du 27 juillet, une gracieusetée du Festival de Lanaudière. Date limite : le 24 juillet.
  2. cinq disques de Karita Mattila, un gracieuseté de Warner Music Canada. Date limite : 31 août.

Photos : Lauri Eriksson



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