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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 1

Festival Orgue et couleurs 2001 : hommage aux « révolutionnaires » de l’instrument-roi.!

Par Antoine Leduc / 1 septembre 2001

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La troisième édition du très couru festival présentera un concert-événement qu’il importe de souligner. À l’occasion de la Journée internationale de la musique, le 1er octobre, la direction du Festival a eu l’idée de réunir, le temps d’un soir, cinq éminents organistes québécois. Lucienne L’Heureux-Arel, Gaston Arel, Mireille Bégin-Lagacé, Bernard Lagacé et John Grew se succéderont ainsi à la tribune de l’imposant instrument d’esthétique symphonique de ce lieu.

Sous le thème « Les années soixante… c’est le début d’un temps nouveau.! » on rendra ainsi hommage à ce groupe d’organistes qui a profondément marqué le milieu artistique québécois, à l’instar de jeunes artistes réunis autour de Borduas et du Refus global. On peut affirmer sans exagération que ces musiciens ont opéré une véritable « révolution » de l’orgue, au début des années soixante. Renouveau de la facture des orgues, renouveau de l’interprétation, édification d’une véritable école d’orgue québécoise reconnue et acclamée partout dans le monde, voilà ce que l’histoire retiendra de l’œuvre de ces pionniers.

Du Groupe Conrad-Letendre à la Société Ars Organi

Rendre hommage à ces musiciens, c’est d’abord saluer l’œuvre et la clairvoyance de leurs maîtres. Aux premières loges, il y a Conrad Letendre (1904–1977) et Gabriel Cusson (1903–1972), musiciens aveugles, qui auront contribué à la formation de Kenneth Gilbert et de Raymond Daveluy, ainsi qu’à celles de Bernard et Mireille Lagacé et de Gaston et Lucienne Arel. Dès les années cinquante, ces jeunes organistes formeront le Groupe Conrad-Letendre et présenteront des récitals d’orgue aux mélomanes montréalais sur les plus beaux instruments de la métropole. Ils iront tous se perfectionner à l’étranger, principalement en Europe et aux États-Unis, les uns titulaires du prestigieux Prix d’Europe (Daveluy, 1948.; Gilbert, 1953), les autres de bourses importantes du gouvernement du Québec ou du Conseil des Arts du Canada.

La vie de l’orgue en Europe était alors en profonde mutation et en pleine ébullition. Le mouvement de l’Orgelbewegung, c’est-à-dire du renouveau de l’orgue, s’étendait de la facture d’orgue à la recherche musicologique, en passant par l’interprétation. On redécouvrait les instruments anciens et, avec eux, les œuvres d’anciens maîtres, parfois injustement tombées dans l’oubli. On pense notamment, en France, à celles de Couperin, Grigny, Clérambault, Marchand.; en Allemagne, à celles de Bach, Böhm, Buxtehude, Lübeck.

ýès leur retour au pays, à la fin des années cinquante, s’amorcera ce renouveau de l’orgue au Québec avec, au premier plan, celui de notre facture d’orgue, qui laissait alors grandement à désirer. En 3 années consécutives, soit de 1959 à 1961, Montréal ýerra 3 de ses temples se doter d’instruments à traction mécanique, construits par le facteur hambourgeois Rudolph von Beckerath (1907–1976). Ce sera d’abord un orgue de 26 jeux, installé à la Queen-Mary Road United Church, où Kenneth Gilbert était titulaire.; ensuite, l’imposant instrument de 78 jeux de la basilique de l’oratoire Saint-Joseph, où Raymond Daveluy est titulaire depuis l’installation.; puis, enfin, l’orgue de 38 jeux de l’église de l’Immaculée-Conception, grâce à l’initiative du titulaire de l’époque, Gaston Arel. Ces trois importantes commandes eurent l’effet d’une gifle pour la maison Casavant. Cela lui permit cependant de revoir ses méthodes et de retrouver l’excellence qui en avait autrefois caractérisé la production.

Dans cette même veine, on fonda, en 1960, la Société Ars Organi, qui regroupait à nouveau les Arel, Lagacé, Daveluy et Gilbert, avec l’objectif de « contribuer au renouveau d’intérêt pour l’orgue en présentant des récitals dont les programmes, l’instrument utilisé, de même que le style d’exécution illustrent les plus hautes traditions de l’orgue ». Active jusqu’en 1973, la Société Ars Organi invita de nombreux artistes internationaux à se produire en Amérique pour la première fois, dont les Anton Heiller, Marie-Claire Alain, Lionel Rogg, André Isoir et Michel Chapuis.

Des carrières diversifiées et marquantes

Titulaires de classes d’orgue ou de clavecin au sein des principales institutions musicales, nos organistes ont contribué à l’édification d’une école d’orgue québécoise de renommée internationale. Tous excellents interprètes ayant abordé l’ensemble de la vaste littérature pour orgue, ils auront marqué, chacun à sa manière, l’évolution de la musique d’orgue sous de multiples facettes. Mentionnons, au passage, quelques-unes de leurs réalisations.

Raymond Daveluy, interprète, compositeur et improvisateur, aura marqué de son sceau l’interprétation des œuvres de Franz Liszt et de Louis-Claude Daquin, tout comme il aura donné un sens profond à la discipline de l’improvisation musicale à l’orgue. Compýsiteur de renom, ses œuvres, écrites tant pour l’orgue que pour diverses formations, sont d’une savante écriture et figurent désormais parmi les classiques du répertoire. Il est fondateur des Mélodistes Indépendants, un regroupement de créateurs pour une musique moderne et accessible.

Gaston Arel, interprète brillant et éclectique, aura livré une interprétation sentie des œuvres de Couperin, de Bach et de Vierne. Il a suscité, tout comme son épouse Lucienne L’Heureux-Arel, de nombreuses commandes d’œuvres de compositeurs québécois de renom qu’ils créèrent, notamment de Jacques Hétu, André Prévost (1934–2001), Raymond Daveluy et Jacques Faubert. À la tête de nombreux mouvements, Gaston Arel fut le premier président national des Jeunesses Musicales du Canada. Il est le président-fondateur des Amis de l’orgue de Montréal et de la Fédération québécoise des Amis de l’orgue.

Kenneth Gilbert, par ses travaux musicologiques et son interprétation renouvelée, aura permis la redécouverte de l’œuvre entière de Couperin, et contribué à l’édition critique du Livre d’Orgue de Montréal, le plus volumineux manuscrit d’orgue français de l’époque classique, découvert au Canada par Élizabeth Gallat-Morin, en 1979. Gilbert poursuit, depuis de nombreuses années déjà, sa carrière sur le continent européen, étant professeur de clavecin au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris.

Bernard Lagacé suscite l’admiration, notamment pour avoir joué en public — à deux reprises — l’intégrale de l’œuvre d’orgue de Bach, qu’il vient de graver sur disque, et pour avoir enregistré, avec son épouse Mireille Bégin-Lagacé, l’intégrale de l’œuvre d’orgue de Buxtehude.

Doyen de la Faculté de musique de l’Université McGill de 1991 à 1996, John Grew y enseigne le clavecin et l’orgue depuis plus de 25 ans. Disciple de Kenneth Gilbert, Grew a contribué à l’installation, à Montréal, du premier orgue classique français moderne construit « à l’authentique », par le facteur Hellmuth Wolff, en la salle Redpath de l’Université McGill. Il est directeur de la prestigieuse Académie estivale d’orgue de McGill.

Concert du 1er octobre 2001

Le Festival Orgue et couleurs, depuis sa création, « veut redonner l’orgue au concert », pour employer le mot de Marcel Dupré. Les musiciens qui seront honorés ont justement contribué à redonner tout son lustre à la profession d’organiste de concert. Messieurs Gilbert et Daveluy ne joueront malheureusement pas, mais l’on y exécutera une œuvre de Daveluy. Ce sera donc l’occasion, pour le public néophyte, de découvrir des musiciens d’une dynastie qui comptent parmi les plus importants au pays. Pour ceux qui les connaissent, ce sera l’occasion de les retrouver tous. Moment historique en perspective. p

Antoine Leduc est avocat et organiste. Il est secrétaire du Conseil d’administration
de la
Fédération québécoise des Amis de l’orgue (FQAO).


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