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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 1

Peter Grimes: un opéra de la mer

Par Pierre M. Bellemare / 1 septembre 2001

English Version...


L’opéra de Benjamin Britten (1913-1976) Peter Grimes ressemble au pays natal du compositeur, la Grande-Bretagne, une île entourée de mers souvent difficiles. Non seulement l’action se déroule-t-elle dans une petite ville côtière, et parmi des gens de mer, mais le compositeur ne cesse d’y faire entendre la riche gamme des sonorités insulaires, notamment dans les célèbres « Sea Interludes », épisodes instrumentaux souvent interprétés en concert et qui l’évoquent aux moments les plus variés.: à l’aube, un dimanche matin, au clair de lune, pendant la tempête, etc.

Ces « interludes » ponctuent les moments décisifs de l’histoire navrante de Peter Grimes, qui est lui aussi comme une île perdue dans la tempête. Peter, un pêcheur de profession, est une grande âme solitaire, assoiffé d’absolu. Mais il est également un mésadapté social, un « misfit ý à la mentalité bizarre et inflexible et aux façons gauches et brusques, que presque tous les membres de la communauté à laquelle il se rattache sans vraiment y appartenir ont depuis longtemps rejeté. Pour son malheur, il est totalement incapable d’entretenir des rapports normaux avec qui que ce soit, même avec les rares individus qui lui tendent une main secourable.

Lorsque l’opéra commence, une enquête du coroner est en cours. Le jeune apprenti de Grimes a péri en mer dans des circonstances obscures et le pêcheur, sommé de jeter la lumière sur ces événements, se défend si mal qu’il devient l’objet de soupçon. Ses concitoyens, qui ne l’ont jamais aimé, se mettent à lui être de plus en plus ouvertement hostiles. Une dynamique malsaine s’enclenche. Progressivement, elle rendra inéluctable la tragédie finale — le suicide, par noyade dans une mer démontée, de celui que ses semblables ont décidé d’exclure.

Cette trame dramatique n’est pas sans rappeler celle d’un chef-d’oeuvre de l’opéra français, le Werther de Massenet. Sur certains points, la ressemblance est même étonnante. Que l’on songe, par exemple, au personnage central de Barstrode, capitaine à la retraite — un brave homme, au demeurant — et qui d’abord paraît bien disposé envers Grimes, comme Albert à l’égard de Werther. Mais éventuellement, Barstrode, comme Albert, en vient à percevoir Grimes comme une menace, bien réelle car, si le paria ne peut vraiment être tenu moralement responsable de la mort d’un premier, puis d’un deuxième apprenti, il en est indéniablement la cause. Barstrode, à l’instar d’Albert, finit par se convaincre et puis par convaincre Grimes lui-même que « la seule solution » pour un homme comme lui, c’est de mettre fin à ses jours. Albert avait envoyé les pistolets demandés à Werther pour qu’il en fasse bon usage.; Balstrode suggérera à Grimes de prendre la mer dans sa barque et de s’y saborder.

La principale différence d’avec Werther est que, tandis que Massenet se complaît dans le pathologique, Britten envisage tout le problème Grimes du point de vue de la conscience éthique. Cette conscience est incarnée par l’institutrice locale, Ellen Orford — une femme sympathique, animée de bonnes intentions, mais ultimement impuissante, parce qu’alors même qu’elle voudrait donner à Grimes une chance de se racheter, elle ne peut s’empêcher de le juger.

Peter Grimes est un opéra que l’on doit écouter, regarder, comme on suit un drame psychologique poignant. Si l’on apprécie ce genre de dramaturgie, on n’aura pas besoin d’être un amateur d’opéra pour se laisser captiver par l’univers musical de cette œuvre, où la musique colle au drame et où Britten se révèle l’égal des plus grands maîtres du théâtre lyrique. À vrai dire, ce sont les amateurs d’opéra formés à l’écoute du grand répertoire romantique qui seront peut-être un peu plus réticents à se laisser séduire par les sonorités « moderne » de cette œuvre qui n’est pourtant plus si jeune. (Elle a été composée pendant la Deuxième Guerre mondiale.) Même si la partition ne comporte pas d’airs à proprement parler, elle est extrêmement lyrique et passionnée. Il suffit de se faire l’oreille à ce langage nouveau, mais qui ne recèle pas moins de beautés dramatiques et mélodiques que ceux de Wagner, de Massenet ou de Puccini, et dont il est beaucoup moins éloigné qu’on serait d’abord porté à le croire. Les chœurs, représentant la collectivité, sont très présents.

Comme c’est souvent le cas avec l’opéra du xxe siècle, l’écoute de la musique instrumentale du compositeur constitue une voie royale à sa découverte. Dans ce cas-ci, les « Sea Interludes » disponibles séparément en plusieurs enregistrements constituent le morceau d’initiation tout désigné. Par ailleurs, pour celles et ceux qui veulent s’attaquer directement à l’opéra, ce qui est encore mieux, il en existe plusieurs excellentes intégrales, mais la discographie reste dominée par celles de Britten lui-même (1958, sur Decca/London) et de Colin Davis (1978, sur Philips), mettant en vedette Peter Pears et Jon Vickers, respectivement, dans le rôle-titre. Ces deux enregistrements sont extrêmement différents et en même temps si remarquables et complémentaires qu’on n’hésitera pas à recommander d’acheter les deux aux personnes qui tombent en amour avec l’œuvre.! L’enregistrement de Davis est maintenant disponible à prix modique dans la série Duo. Veuillez noter cependant que la réédition Duo ne comporte pas de livret, ce qui représente un sérieux désavantage. p

 

Peter Grimes sera présenté à l’Opéra de Montréal le 15, 17, 20, 22 et 26 septembre. L’OSM sera dirigé par Stewart Robinson, avec mise en scène par Bernard Uzan. Ténor canadien John Mac Master fera ses débuts à la compagnie dans le rôle titre.


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(c) La Scena Musicale 2002