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La Scena Musicale - Vol. 7, No. 1

Le flûtiste Barthold Kuijken en concert avec Les Voix humaines

Par Dominique Olivier / 1 septembre 2001

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Le nom de Barthold Kuijken évoque tout autant l’épanouissement de la flûte baroque au xxe siècle que l’ensemble La petite bande fondée avec ses deux frères, le gambiste Wieland et le violoniste Sigiswald Kuijken. Le musicien belge, néanmoins, est loin d’être sectaire. Là où il y a de la musique, il respire. Avant de découvrir l’instrument qui allait le faire connaître mondialement, il jouait avec bonheur de la flûte moderne et participait même aux concerts d’avant-garde de l’ensemble Musiques nouvelles, de Bruxelles. Il a enregistré des œuvres de Schubert, de Mendelssohn et de Debussy, entre autres… « Pendant très longtemps, raconte le musicien rejoint chez lui, en Belgique, j’ai continué de jouer des deux instruments. Au début, la flûte baroque n’était pas vraiment prise au sérieux, et c’est normal. Mais j’ai toujours trouvé ridicule ces querelles entre anciens et modernes. Du côté des baroqueux, il y a le même rejet des instruments et du répertoire contemporains. »

Il faut dire que Barthold Kuijken a découvert la flûte baroque en autodidacte, par amour, une démarche dont il garde un souvenir très positif. « J’ai trouvé de la variété et de la douceur dans la sonorité. Pour la première fois, j’avais l’impression de jouer d’un instrument qui était en rapport avec cette musique-là. J’avais la sensation d’avoir trouvé la voix pour les mélodies que je devais chanter. » Après une série d’inévitables essais et erreurs, le musicien a été à même de former toute une génération de flûtistes qui ont, eux aussi, enseigné à d’autres… « Maintenant, rapporte Kuijken, ce sont les générations suivantes, les élèves de mes anciens élèves, qui viennent suivre des cours avec moi.! » La flûtiste Claire Guimond, de l’Ensemble Arion, a d’ailleurs été formée par le maître belge. « Tout ce que je peux faire en tant qu’enseignant, ajoute-t-il modestement, c’est de préparer les élèves à être autodidactes à leur tour, c’est-à-dire de me rendre superflu, quoi.! »

Outre l’interprétation en solo, la musique de chambre et l’enseignement, la direction occupe également une place de choix dans la carrière de Barthold Kuijken. Depuis 1986, on le voit diriger un peu partout, notamment à Montréal, où il a été invité à diriger l’Ensemble Arion. Pourtant, c’est le hasard qui a poussé le flûtiste dans cette voie. « Un bon ami m’a demandé un jour de diriger un concert pour lui, et ça m’a fait très plaisir. Mais je prends ça comme ça vient. Ça se développe sans que je le cherche activement. J’ai la chance, pour l’instant, d’être surtout flûtiste. »

C’est à l’occasion d’une de ses visites à Montréal pour Arion que Kuijken entrait en contact avec les deux musiciennes montréalaises qui forment le duo de viole de gambe Les Voix humaines. Susie Napper et Margaret Little lui ont alors suggéré de participer à une double activité autour de Telemann.: un concert et l’enregistrement d’un disque, pour la maison Atma. « Je me suis dit.: pourquoi pas.? » rapporte le flûtiste, qui nous a parlé avec simplicité de sa vision du compositeur allemand trop souvent, et injustement, dénigré. « Ce n’est pas du Bach ni du Haendel, bien sûr, puisque c’est du Telemann.! Il faut juger un compositeur par rapport aux exigences qu’il s’est données lui-même, au style qu’il a voulu développer et, surtout, ne pas lui reprocher de ne pas être quelqu’un d’autre.! Pendant longtemps, c’était l’attitude générale de mépriser Telemann par rapport aux deux grands Allemands, mais petit à petit, on commence à reconnaître qu’il y a chez lui une grande richesse mélodique et harmonique, une abondance incroyable dans l’invention. Si je veux le comparer à ses deux compatriotes, je dirais que chez Haendel, j’ai toujours l’impression de me trouver à l’opéra, même dans ses œuvres religieuses, avec une scène assez profonde et une très belle perspective. Je dirais de Haendel que c’est le compositeur qui regarde droit devant lui, et qui y va sans hésiter. Tandis que chez Bach, je sens toujours quelqu’un derrière mon dos qui me pousse. On commence avec une première note et c’est inévitable.: tout le reste doit suivre. Je sens moins l’attraction d’une perspective lointaine qu’une espèce de logique impitoyable, qui est là et qui me propulse. Haendel, c’est l’efficacité.; Bach, c’est la logique. Telemann, c’est celui qui joue sur le centimètre carré, et qui regarde les belles fleurs en passant. Il s’amuse avec toutes les connexions, attendues, inattendues, symétriques, asymétriques. Sa musique est parfois comme un jeu de dominos. C’est le côté amusant, divertissant de la musique de Telemann. »

Kuijken souligne également la grande adaptabilité du compositeur, qui savait écrire pour des circonstances très diverses. Le programme du prochain concert des Voix humaines, intitulé « La flûte enchantée », présente des formations variables allant de la flûte seule au quatuor pour flûte, deux basses de viole et continuo.

Le musicien sera également à Montréal plus tard durant la saison pour diriger l’Ensemble Arion dans des œuvres des fils de Bach qui marquent le passage du baroque au classicisme, une période charnière qui le passionne particulièrement. À noter qu’un disque Arion-Barthold Kuijken paraîtra sous peu chez Atma (qu’on pourra donc se mettre sous la dent avant la parution de l’enregistrement Telemann avec Les Voix humaines…).

Les projets du flûtiste belge sont variés, à l’instar de sa carrière.: direction, enseignement, concert solo, musique de chambre, enregistrements. « À l’automne, je vais enregistrer les concertos de Vivaldi avec un ensemble italien, un projet que j’ai souvent hésité à concrétiser, mais que je suis très heureux de faire maintenant. Je dirigerai aussi des œuvres de Bach en Belgique et l’année prochaine, je compte réenregistrer les sonates de Bach que j’avais endisquées il y a plus d’une décennie. » Une orientation, dans tout cela.?

« L­e planning chronologique ne m’intéresse pas. À certains moments, on se sent attiré par un répertoire, et c’est là qu’il faut le faire. Il faut suivre son intérêt du moment. » À n’en pas douter, Barthold Kuijken, dans la jeune cinquantaine, est à mille lieues de ressentir la moindre lassitude.! p

Barthold Kuijken se joindra à Susie Napper et Margaret Little, violes de gambe et Eric Milnes, clavecin, le dimanche 23 septembre 2001 à 20 heures, Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, Montréal. (514) 842-2112.
Il dirigera également l’ensemble Arion les 19, 20 et 21 avril 2002.


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(c) La Scena Musicale 2002