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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 8

Vingt fois sur le métier…

Par Lucie Renaud / 1 mai 2001

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L e plus grand plaisir que peut éprouver un compositeur est probablement d’entendre son œuvre interprétée par un artiste de talent, ne serait-ce qu’une seule fois. On peut alors imaginer la joie de celui-ci si on lui propose de la redécouvrir 15 ou 20 fois, toutes présentées différemment par un nouvel interprète! Le rêve deviendra réalité pour le compositeur Stewart Grant, qui a écrit son Cantique du Frère Soleil pour le Concours national des Jeunesses Musicales.

Les finalistes des concours les plus importants doivent en effet interpréter une œuvre contemporaine imposée, commandée expressément par les organisateurs de l’événement. Malheureusement souvent perçue comme un mal nécessaire, cette œuvre est interprétée par chaque concurrent en plus de son programme régulier, offrant au jury un échelon permettant d’évaluer la rapidité d’apprentissage (les finalistes reçoivent la partition quelques jours ou quelques semaines à l’avance), la musicalité et la personnalité de l’interprète (plusieurs variations de style entre les diverses moutures).

Stewart Grant espère que les jeunes chanteurs y trouveront du plaisir. « Certains l’aimeront peut-être, d’autres le détesteront, mais j’ose espérer que ce sera une obligation plaisante », a-t-il raconté à La Scena Musicale. C’est la première fois que le compositeur travaille pour voix et piano, même s’il a déjà écrit pour la contralto Maureen Forrester — une œuvre pour voix et orchestre de chambre, Of Maids and Men — et pour des chorales.

Le texte qui a inspiré Stewart Grant est extrait d’un recueil à caractère spirituel suggéré par sa femme — La relation entre la nature et le divin occupe d’ailleurs une grande place dans la vie quotidienne du compositeur. « J’ai été accroché par ce texte de saint François d’Assise, écrit il y a si longtemps, mais selon moi d’un attrait universel et d’une réelle profondeur, se souvient-il. De plus, le texte comporte une grande variété d’expressions qui ont tout de suite capté mon imagination de compositeur.: les descriptions du soleil, de la lune, du vent, ne demandaient qu’à être peintes en musique. »

Le premier motif exprimé par le piano, « une morsure de couleur », selon Grant, contient le germe de la pièce, tantôt développé par le chanteur, tantôt par le pianiste. Les notes n’en ont pas été choisies au hasard, au contraire.: ses intervalles reproduisent les notes que le carillon éolien du compositeur égraine à la moindre brise. L’atmosphère de grandeur dégagée par le premier vers, « Très haut, tout puissant et bon Seigneur, à toi les louanges, la gloire, l’honneur et toute la bénédiction », se transmet par une sonorité soutenue et de grands écarts dans la partie d’accompagnement. Un changement subtil s’amorce quand le texte s’attarde aux divers aspects de la Nature créés par le Seigneur. La voix reprend le motif initial mais l’étire en valeurs plus longues. Le compositeur décrit alors le Soleil, dans une nuance forte et avec un accompagnement en octaves qui confirme le rayonnement de l’astre. Un changement harmonique subtil annonce ensuite la Lune, dans un mezzo piano léger et vaporeux, la main droite reprenant comme un miroir inversé l’idée utilisée précédemment à la main gauche pour décrire le Soleil. Une douceur instrospective s’associe ensuite au vent. La figure de sextolets de l’accompagnement est directement inspirée du prélude pour piano Ce qu’a vu le vent d’Ouest de Debussy, une influence que le compositeur admet. Il va même jusqu’à reprendre le motif de Nuages du même compositeur quand il les dépeint. Immédiatement après, la fluidité de la main droite et l’ondoiement de la main gauche capturent le côté insaisissable de l’eau, puis on assiste à un changement soudain de registre.: la voix s’exalte quand elle parle du Feu, « indomptable et fort », soutenu par les trilles nerveux du piano, l’apothéose de la pièce. Après tant d’intensité, la musique devient de plus en plus calme, jusqu’au dépouillement ultime du dernier vers, « Louez et bénissez mon Seigneur, rendez-lui grâce et servez-le en toute humilité ». On peut ici établir un parallèle avec la fin de la Quatrième Symphonie de Mahler. Le piano reprend une dernière fois le motif initial puis tout s’éteint sur un accord qui contient toutes les notes du motif.

Stewart Grant a hâte d’entendre sous quel éclairage les lauréats du concours des Jeunesses Musicales présenteront son Cantique du Frère Soleil. « J’ai cherché à composer une pièce substantielle que les chanteurs pourront dévorer à belles dents et pas seulement un parcours à obstacles qui pousse leurs limites au maximum. Ce sera un défi musical plutôt qu’un défi physique », souligne-t-il. Il a d’ailleurs décidé de se montrer « gourmand » et sera présent lors des deux journées de compétition, histoire de s’inspirer, sans doute.

La demi-finale du concours aura lieu le 8 mai entre 10.h.30 et 21.h et la finale, le 9 mai à 19 h à la Maison des Jeunesses Musicales. Info.: (514) 845-4108.

 

Quelques repères biographiques

Stewart Grant, né en 1948, n’est pas seulement compositeur mais également hautboïste et chef d’orchestre. De 1978 à 1994, il fut directeur musical de l’Orchestre symphonique de Lethbridge, en Alberta, décrochant en 1988 le Prix Heinz Unger, décerné aux chefs d’orchestre en pleine carrière. Il est maintenant directeur artistique de l’Orchestre de jeunes du West Island et admet avoir composé sa Sinfonietta (interprétée par les orchestres de Brampton, Oakville et Sherbrooke) en pensant à ses jeunes protégés (qui l’ont d’ailleurs repris dans leur concert, en avril). Plusieurs ensembles reprennent régulièrement ses œuvres. Timothy Hutchins et Jennifer Swartz ont créé l’année dernière son Concerto pour flûte et harpe avec l’OSM et l’ont repris avec l’Orchestre symphonique de Saskatoon. Ses Sam Black Sketches ont également servi de base au documentaire Sharing Visions/Rêveries, qui étudie le processus créatif du compositeur et peintre Sam Black.


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