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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 8

Tournés vers le futur

Par Lucie Renaud / 1 mai 2001

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Q u’ont en commun le ténor Ben Heppner, la soprano Karina Gauvin, les violonistes James Ehnes et Angèle Dubeau, les pianistes Louis Lortie, Angela Cheng, Janina Fialkowska et Angela Hewitt ? Bien sûr, ce sont des interprètes canadiens d’envergure internationale mais autre chose les unit également : ils ont tous, à un moment ou un autre de leur carrière, remporté le premier prix au Concours national des jeunes interprètes de Radio-Canada. Ce concours qui existe depuis 1959 en sera à sa 31e édition (il est devenu biennal depuis 1979) et se tiendra de nouveau à Montréal, après 6 éditions à Ottawa, du 4 au 17 mai 2001. Neuf jeunes pianistes et cinq instrumentistes à cordes triés sur le volet se disputeront 74 000 $ en prix.

Les grands gagnants se verront également offrir plusieurs récitals, un enregistrement d’émission radiophonique, une bourse d’études pour la Banff School of Fine Arts et un engagement avec l’Orchestre Métropolitain (qui, sous la direction de Simon Streatfield, accompagnera les concurrents retenus en finale). Ils recevront également du soutien artistique et financier qui servira à l’enregistrement d’un disque promotionnel et ils participeront aux Young Concert Artists International Auditions à New York, histoire de leur ouvrir le plus de portes possible et de soutenir adéquatement leurs premiers pas à l’échelle internationale.

Rosemarie Bastarache, réalisatrice-coordonatrice, la marraine-fée du concours depuis plusieurs années, mentionne les centaines de musiciens canadiens de talent qui ont tenté leur chance au fil des ans. « C’est un terrain d’entraînement pour les jeunes musiciens vers les scènes et les concours internationaux. Il est important de les encourager, de leur donner confiance. » Janet Lee, du réseau anglais CBC, n’hésite pas à parler de « Uoyau de notre couronne. Nous plantons ici les graines de l’avenir culturel canadien. » Karina Gauvin, quant à elle, parle de son premier prix obtenu en 1995 avec émotion : « Le concours a été un grand moteur dans le développement de ma carrière. Il ne m’a pas seulement donné des ailes, mais également des sous et une reconnaissance à l’échelle nationale. Je chantais à Vancouver avec le CBC Vancouver Orchestra et les gens du public venaient me féliciter, en me mentionnant le souvenir qu’ils avaient gardé de ma performance au concours. »

Il reste souvent difficile pour les jeunes interprètes d’élargir leur carrière. La persévérance et le travail intensif comptent pour beaucoup dans le processus. faut beaucoup de persévérance et de travail. Il est essentiel de considérer le concours comme une expérience positive, qui repousse les limites. Si la première expérience n’est pas toujours à la hauteur des attentes des participants, il faut avoir le courage de recommencer. La chanteuse Rosemarie Landry, maintenant professeure émérite et directrice de la classe de chant de l’Université de Montréal, premier prix de l’édition 1976 du concours, insiste : « Je me suis rendue en semi-finale trois fois avant de remporter un premier prix. On ne gagne pas nécessairement la première fois. Il faut se faire les dents. »

Régulièrement sollicitée comme membre de jury de concours internationaux, elle constate le niveau très élevé du Concours de Radio-Canada, un concours national de niveau international. « On devient membre d’un jury pour entendre ce qu’il y a de beau, souligne-t-elle. On y va pour découvrir l’artiste à travers l’interprète, celui qui pourra faire carrière. » Mais quelles qualités élusives recherchent donc les membres d’un jury ? Certains interprètes dépités se posent souvent la question. « Il faut avoir de la personnalité, une technique avancée et de la persévérance, renforce madame Landry. Le jury va également évaluer l’évolution du jeune artiste au cours de la semaine. » L’écoute demeure évidemment totalement subjective. Avant d’accepter de faire partie d’un jury, il faudra considérer les affinités partagées avec les autres membres. Certains jeunes interprètes ont parfois écopé à cause des tensions ressenties à l’intérieur du cercle très fermé des juges ou parce que les critiques exprimées l’avaient été de façon fort peu diplomatique. Une dure école, certes, mais tout de même fort représentative de la vie artistique qui les attend. « On ne peut jamais être complètement objectif, soutient madame Landry. La nature de l’art est de toucher l’être humain. Pensez à un concert auquel vous assistez avec des amis : vous pouvez être ému par un interprète tandis que votre voisin ne ressentira rien. En concours, tout dépend des intérêts de chaque membre du jury. Il faut rechercher une certaine ouverture, essayer d’écouter chaque instant et ne jamais oublier que ce sont de jeunes artistes en formation. »

Elle ressent la même émotion quand elle parle des élèves qu’elle prépare pour les concours internationaux. « Il faut nourrir les talents. Le professeur est comme une merveilleuse couveuse : on les met au monde. Malheureusement, les débouchés restent trop limités. Il faut souvent partir pour vivre de son art », déplore-t-elle. Le concours reste fréquemment une épreuve très physique, comme la carrière à laquelle il conduit. C’est dans cette optique que le concours a décidé d’intégrer une oeuvre canadienne contemporaine, composée expressément pour l’événement : « Grâce à elle, on peut mesurer la facilité en ce qui concert le rythme, la lecture, la langue, l’implication, l’interprétation. On assiste souvent à des révélations à l’écoute de cette oeuvre. Certains interprètes en font une lecture non émotionnelle, d’autres ont déjà su la transformer en oeuvre d’art. »

Plateformes d’apprentissage qui canalisent motivation et travail, les concours semblent là pour rester. Grâce à eux, le jeune interprète saura s’évaluer, découvrira peut-être une belle complicité avec d’autres artistes — Non, tous les concurrents ne se détestent pas ! — mais, de façon plus essentielle, il évoluera dans son cheminement artistique et humain. Rendez-vous au prochain concours ?

 

Jon Kimura Parker, premier prix du Concours national des jeunes interprètes en 1983, donnera le coup d’envoi du concours le 4 mai à la Salle Claude-Champagne. Info : 842-2112.


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