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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 10

Quand Tristan patine avec Isolde sur des airs wagnériens

Par Marie Trudel / 1 juillet 2001

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L e 21 mars dernier, le Metropolitan Opera présentait sur la chaîne de télévision américaine PBS l'opéra de Wagner, Tristan et Isolde, mettant en vedette le ténor Ben Heppner et la soprano Jane Eaglen. Au même moment, sur une autre chaîne, se déroulaient les finales du Championnat du monde de patinage artistique. Circonstance pour le moins intéressante, c'est en patinant sur un arrangement pour violon du Prélude de ce même opéra (extrait du disque Humoresque de la violoniste Nadia Salerno Sonnenberg) que les Canadiens Jamie Salé et David Pelletier ont remporté haut la main la médaille d'or de ce championnat. Incarnant le couple sorti tout droit des peuples celtes, Salé et Pelletier auront ébloui public et jury en réussissant, en quatre ardentes minutes et demie, à raviver sur glace les chaudes couleurs de la passion, de la mort et de l'amour.

Dans cet univers irrationnel où l'expression artistique, même débridée, reste indissociable d'exigences techniques hors du commun, le couple Pelletier et Salé ont rencontré, selon les termes de Pelletier, « une merveilleuse chorégraphe », en l'occurrence Lori Nichol, qui fut patineuse pour The John Curry Skating Company. En leur proposant la musique de Wagner, cette chorégraphe qui travaille avec moult patineurs de grand talent avait pressenti la victoire. « Un des plus grands problèmes en compétition de patinage artistique, assure-t-elle, c'est que les choix musicaux des jeunes patineurs canadiens et américains, souvent dépourvus de connaissances musicales, ne plaisent pas aux juges européens à cause de l'écart entre les mentalités et les cultures. » Wagner et Nichol ont don c marqué un point. Toutefois, avant de remporter l'or, David et son égérie ont dû, pour en venir à intérioriser le souffle de vie et de mort de Tristan et d'Isolde, travailler intensément la psychologie des personnages, de même qu'apprivoiser le contenu historique et musical de l'opéra. « Je trouve cette musique extrêmement profonde », de dire le champion qui reconnaît que cet apprentissage a contribué à son évolution artistique et humaine en lui fournissant un éclairage inhabituel dans ce milieu de compétition sportive où, croit-il, les musiques choisies demeurent plus ou moins superficielles. « Nous préférons adapter nos mouvements, notre programme, à la musique plutôt que le contraire », affirme-t-il avec modestie.

 

Mais la passion, c'est bien connu, n'inclut pas forcément le romantisme, surtout chez un champion du monde qui doit travailler ses personnages à 8 heures du matin, comme le fait régulièrement David Pelletier. « Je suis alors sur le “pilote automatique”, avoue-t-il On ne peut pas être dans un état d'esprit romantique tous les jours. C'est impossible.! » Et, romantique, il l'est encore moins quand il patine sur des musiques qu'il exècre. « Musicalement, j'aime ce qui est simple et doux. Je déteste le heavy metal, le techno, la trompette et le saxophone. » Il aime le violon en tant qu'« instrument de forte passion » mais c'est en patinant au son du piano qu'il ressent le plus sa souplesse naturelle. Et lorsqu'il se rappelle l'époque où il patinait sur Love Story, sans plus d'excitation qu'il n'en fallait, il mesure avec étonnement le chemin parcouru jusqu'au héros de Wagner. « C'est incroyable ce que Tristan m'a fait découvrir. Il m'a obligé à creuser en moi, à découvrir des sentiments que je ne me connaissais pas auparavant. De toute façon, si je veux garder le goût de patiner sur le même air pendant un an, je dois sentir la musique vibrer dans ma peau et jusque dans mon sang. »

Dans le respect de ce passé légendaire et musical, le couple de patineurs, fidèle à son destin sur glace, n'aura point failli en réinventant à sa manière celui de Tristan et d'Isolde.


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