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La Scena Musicale - Vol. 5, No. 3

Un cycle d'oeuvres électroacoustiques sur la voix du compositeur Robert Normandeau

Par Dominique Olivier / 1 novembre 1999

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Robert NormandeauIl ne faut pas se le cacher, l'électroacoustique fait peur. En 1999, on appréhende encore mal cet art musical, apparu dans les années 1940, qui donne au compositeur la possibilité de travailler directement sur la matière sonore et de créer un objet immuable, indépendant des vicissitudes de l'interprétation. Pourtant, derrière cette approche très particulière du monde des sons, se cachent des créateurs qui font, avant tout,de la musique. C'est le cas de Robert Normandeau, un Québécois considéré comme un des meilleurs électroacousticiens du monde. Récipiendaire de nombreux prix, dont le plus prestigieux de tous, le Golden Nica au Concours Ars Electronica, en 1996, pour sa pièce Le Renard et la rose, Normandeau ne s'éloigne jamais de l'idée d'oeuvre musicale. Son « cinéma pour l'oreille » n'est ni un concentré d'anecdotes hautement référentielles, ni une construction aride superposant les objets sonores dans un but d'expérimentation. On peut le considérer, à la limite, comme un compositeur de musique à programme - au sens le plus ouvert du terme - ayant une vision symphonique du matériau.

Dans un de ses cycles les plus reconnus, Normandeau a travaillé à partir de la voix humaine, un matériau vivant qui laisse passer l'émotion, malgré toutes les transformations qu'il subit à travers le travail, long et minutieux, de l'électroacousticien. « L'origine de ce projet-là, raconte le compositeur, c'est une toute petite pièce qui s'appelle Bédé (1990), pour laquelle j'avais enregistré des onomatopées provenant d'une bande dessinée qui s'intitule Le Dictionnaire des bruits. J'avais utilisé ce matériau comme une sorte de déclencheur, afin d'amener quelqu'un en studio pour enregistrer sa voix. Je me suis rendu compte, après avoir fait Bédé, que la voix est un matériau beaucoup plus riche que je ne le pensais. J'ai donc fait la première pièce du cycle, Éclats de voix. »

Après avoir terminé Éclats de voix (1991), sa toute première pièce écrite uniquement àl'ordinateur, le musicien s'est aperçu qu'il avait conservé non seulement les sons utilisés dans l'oeuvre, mais également tous les gestes posés au cours de son élaboration. « La pièce était en quelque sorte reproductible. Je me suis donc questionné sur la pertinence de garder la même structure temporelle pour une autre pièce, en remplaçant les sons. » La jeune fille de 11 ans qui avait prêté sa voix à cette pièce a (donc) été remplacée, dans la seconde, par un groupe de quatre adolescents. Ainsi est née Spleen (1993), une oeuvre à l'énergie radicalement différente de celle d'Éclats de voix, bien que basée sur les mêmes onomatopées. « D'abord, les timbres sont différents, rapporte Robert Normandeau. Il y a aussi la différence de registre. Les gars ont des voix plus graves, elles ont donc un tout autre impact. On dirait qu'elles ont plus de poids. D'autre part, leur ton était beaucoup plus affirmatif que celui de la jeune fille. »

Le son de la voix est par essence porteur d'affects, il possède une texture, une empreinte particulière, indépendamment du contenu sémantique du langage. C'est cet aspect qui a, au premier chef, fasciné Robert Normandeau.« J'ai été frappé par le fait que l'onomatopée est un code particulier dans le langage humain, dans lequel il y a une relation directe entre l'émotion et le son qui est produit. Et je me suis rendu compte que malgré toute la lutherie électroacoustique ou informatique que j'utilisais, cette émotion-là n'était pratiquement pas modifiable. Ce qui est fascinant et troublant, quand on travaille en studio avec la voix, c'est qu'on est toujours en contact avec l'émotion de base. »

Pour sa troisième production du cycle, Le Renard et la rose (1995), le compositeur a profité d'une occasion unique - l'enregistrement discographique, par Radio-Canada, du Petit prince de Saint-Exupéry, dont il a composé la musique - pour capter les voix de comédiens professionnels. « Ça a généré autre chose, témoigne Robert Normandeau. C'est une pièce plus orchestrée, où l'énergie est plus à l'état brut, le rythme plus affirmé que dans les deux autres. » Chaque oeuvre du cycle comprend cinq mouvements, et chacun de ces mouvements incarne une association entre un paramètre sonore, timbre, rythme, texture, et un sentiment, mélancolie, colère, tendresse... « Pour y arriver, je réduis, je fais des unités et je les classe en catégories de sons », explique Normandeau.

Le travail de l'électroacousticien est très différent de celui du compositeur traditionnel.« Je compose à partir d'une interaction très étroite entre la transformation du matériau et ce qu'il me donne en retour. C'est pour ça que le travail avec la voix est toujours trèsstimulant. J'ai fait d'autres pièces entre chacune des pièces du cycle, mais chaque fois que j'y revenais, c'était une bénédiction. » C'est sans doute pour cela que Robert Normandeau projette de faire une quatrième oeuvre pour compléter son cycle « vocal », cette fois avec des voix d'une tout autre expression, celles de femmes âgées!


On pourra entendre Spleen ainsi que plusieurs autres oeuvres de Robert Normandeau au prochain « Rien à voir » du 8 au 11 décembre, série consacrée à l'électroacoustique, et dont il est un des organisateurs. Auparavant, les 4, 5 et 6 novembre, au Théâtre La Chapelle, on pourra aussi entendre Figure de rhétorique, pour bande et piano, dans le cadre d'un concert pour instruments et bande intitulé « Plein la vue », organisé par Réseaux, à l'instar de« Rien à voir ». Toutes les oeuvres du cycle mentionnés dans cet article sont dispo-nibles sur disque, sous étiquette empreintes DIGITALes (Bédé, Éclats de voix, Spleen) et Les disques SRC (Le Renard et la rose).


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