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La Scena Musicale - Vol. 4, No. 9

Quand la musique retrouve la danse

Par Alain Bénard / 1 juin 1999

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Ce mois-ci, la quatrième édition du Festival de musique de chambre de Montréal, dirigé par le violoncelliste Denis Brott, fait plein feu sur le répertoire vocal et instrumental aujourd'hui associé plus largement à la danse. Pour souligner cette rencontre de la musique et de la danse au sommet du mont Royal, Margie Gillis et Sylvain Lafortune nous parlent de leurs liens avec la musique et de leur participation à cet événement réunissant une cinquantaine de musiciens et danseurs.

Performance vivante

À une époque où le travail entre les musiciens et les danseurs devient moins fréquent, la présence d'instrumentistes enrichit les perspectives et attitudes du danseur face à sa prestation en lui offrant une dynamique tout à fait différente de celle de la musique enregistrée sur bande.

Pour Margie Gillis, qui danse depuis vingt-cinq ans, l'occasion est rare et c'est pour elle un véritable plaisir que de pouvoir danser sur de la musique « vivante ».

« Bien sûr, c'est parfois plus difficile du côté technique. Il faut s'habituer à travailler ensemble. Chaque soir, on est différents, des choses subtiles changent, ce qui leur donne une dimension d'improvisation. Mais c'est fantastique de pouvoir travailler ensemble. »

Ainsi, Margie Gillis conçoit sa chorégraphie sur la Berceuse de George Gershwin présentée au Festival comme l'occasion d'un véritable dialogue avec les membres du quatuor à cordes.

« J'ai essayé d'établir un dialogue avec la musique. Je serai avec les musiciens pour choisir et décider des éléments importants, tant pour eux que pour moi. S'il y a une partie très délicate, triste, ils vont peut-être choisir de garder cette nuance de tristesse ou de la présenter plutôt comme une célébration. »

On présume aisément que le travail de préparation du danseur et du chorégraphe effectué à partir d’un enregistrement demande des ajustements lors de la rencontre avec les musiciens.

« Il faut d'abord s'habituer au tempo d'un enregistrement », fait remarquer Sylvain Lafortune, qui présentera Après souper sur la Sonate en si bémol majeur D. 28 de Schubert, avec piano, violon et violoncelle. « Ensuite, on doit finalement amener les musiciens à notre tempo. Et, malgré toute la préparation, le soir du spectacle, il reste une part d'inconnu, d'aléatoire. Je dirais que, pour nous, les danseurs, le fait d'avoir des musiciens sur scène nous fait écouter la musique beaucoup plus attentivement. Je pense que ça change le niveau d'interprétation. On devient très conscient du moment présent. Ce serait l'idéal si on avait l'occasion de le faire plus souvent, on développerait une symbiose avec les musiciens. La danse s'appuie toujours sur la musique, leur rapport est complémentaire, mais il est plus que la simple somme des deux. »

Échos du passé

Si les œuvres à chorégraphier ont été suggérées par Denis Brott, les danseurs, en revanche, ont su adapter leur propos personnel au cadre de ce festival.

Symbole d'un monde passé, un smoking, celui de son frère, a inspiré le propos de Margie Gillis pour cette Berceuse de Gershwin, dans laquelle elle voit s'esquisser les traits d'un héros masculin de l'ère industrielle, qui devient ainsi l'archétype de plusieurs personnalités telles que Chaplin, Paul Taylor ou James Dean, réunies pour faire ressortir la difficulté de saisir l'identité masculine actuelle.

« C'est un hommage, dit-elle avec un rire communicatif. Les hommes veulent être des héros, mais ils ne savent pas comment. Nous avons à les redéfinir. Pour moi, il n’est pas question de faire ce choix pour eux. Ce que je fais, c'est de trouver ce que j'aime le plus chez les hommes que je connais, ce qu’il y a de plus noble, de plus attachant chez eux. »

Changer les motifs

Ayant fait partie des Grands Ballets Canadiens, de la troupe O Vertigo et maintenant avec Montréal-Danse, Sylvain Lafortune se considère encore comme novice en tant que chorégraphe. Sur ce plan, il s'est davantage orienté du côté de la musique minimaliste, celle de Michael Nyman, entre autres. Chez Schubert, il a toutefois su trouver la matière de son propos.

« Je n'ai certainement pas essayé d'illustrer littéralement la musique, dit-il. Dans cette musique, à cause de ses enchaînements, de ses changements de tons, aucune section n'est assez longue pour développer une idée. J'en étais parfois dérouté. Finalement, je suis agréablement surpris de voir comment cela s'est moulé avec ce que je voulais faire. »

Particulièrement lorsqu'il s'agit de danse actuelle, chaque danseur, chaque chorégraphe possède sa propre grammaire de mouvements orientant son rapport avec les différentes musiques.

« J'ai compris récemment, poursuit le danseur, qu'on peut faire une danse sur une musique et qu'en changeant la musique tout en gardant la même danse, ou vice-versa, sans que ce soit la même chose, ça va fonctionner. Après une période d'ajustements, tout à coup, la danse et la musique vont se retrouver. C'est comme si on brouillait l'eau et que ça retombait toujours vers le fond ; le mouvement va toujours s'accrocher à la musique, peu importe laquelle. C'est amusant de voir comment une symbiose va se créer. »

Intériorité

Chez Margie Gillis, la question de l'intériorité du mouvement est fondamentale. Cette démarche passe par l'observation, par l'écoute de tout ce qui est environnant, et se rattache à une forme de corps social. Si l'art est spirituel, il n'y a pas d'idée qui vaille sans qu'elle prenne corps. Cette manifestation renvoie à la nature, à la vie. Pour Mme Gillis, le paysage intérieur appelle implicitement la compassion, le geste d'autrui lui suggère parfois un mouvement qu'elle pourra amplifier dans une chorégraphie. Sensible au mouvement des gens, elle adore le son de la voix tout comme la musique classique.

« Tout ce que j'écoute a un aspect physique, en raison du système nerveux. Penser, sentir, écouter, les émotions, ça devient de l'électricité, ça passe par ce système, ça touche les muscles. Ils en sont modifiés, et voilà une danse ! » dit-elle avec une simplicité déconcertante.

Outre la pièce de Gershwin, Margie Gillis prépare également des projets où les sons de la nature épouseront ses mouvements. Le seul bruit des vagues de la mer et le chant du huard amèneront sans doute la danse de Margie Gillis à trouver une fois de plus sa musique intérieure.


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(c) La Scena Musicale 2002