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La Scena Musicale - Vol. 4, No. 7

LE NEM: dix ans et toujours à l'avant-garde

1 avril 1999

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LE NEM: dix ans et toujours à l'avant-garde par Jacques Desjardins C'est avec plaisir que j'ai accepté d'écrire un article pour souligner le dixième anniversaire du Nouvel Ensemble Moderne. Je parle en connaissance de cause, ayant assisté à l'un des premiers concerts donnés par l'ensemble, le 21 novembre 1990, à l'auditorium du campus Loyola de l'Université Concordia. Au programme, il y avait eu Travaux de nuit de Bruce Mather et Kubla Khan de John Rea. J'ai ensuite participé au tout premier Forum international des jeunes compositeurs en novembre 1991. On assistait aux répétitions quotidiennes et aux mini-forums, où les discussions d'ordre esthétique menaient parfois à des échanges vigoureux entre les participants. Je me souviens de la disponibilité inouïe des musiciens pour, par exemple, réaliser des effets sonores que l'on croyait impossibles, mais qui finissaient toujours par prendre forme dans une variante ou une autre, grâce à leur vaste expérience de la musique contemporaine. Et comment oublier l’engagement total de Lorraine Vaillancourt pour cette musique, notre musique, toujours prête à reprendre pour nous des passages dans une autre instrumentation? Il faut aussi souligner l'efficacité incroyable de l'organisation avec ces administratrices dévouées que sont Pierrette Gingras, Claire Métras, Marie Marais et Maryse Vaillancourt. Ces femmes travaillaient dans l'ombre pour veiller à ce que nous ne manquions de rien. Claire Métras ne fait plus partie du NEM, mais elle demeure à jamais associée à son histoire et à son succès. – Jacques Desjardins Lorraine Vaillancourt fonde le NEM en 1989 après avoir dirigé la société « Les Événements du neuf » de 1978 à 1989. La plupart des membres de l'ensemble avaient participé aux concerts de cette société ou avaient joué sous la direction de Lorraine Vaillancourt au sein de l'atelier de musique contemporaine de l'Université de Montréal. C'est le cas de René Gosselin, contrebassiste, Jacques Drouin, pianiste, et Normand Forget, hautboïste, qui n'ont jamais cessé de défendre la nouvelle musique depuis le temps de leurs études jusqu’à ce jour . Le succès de l'Ensemble, selon René Gosselin, dépend en partie des grandes affinités qui existent entre les musiciens aux plans personnel et professionnel. Voilà une formation de quinze solistes aux fortes personnalités, qui savent contenir leur tempérament pour collaborer aux visées artistiques de l'Ensemble. Lorraine Vaillancourt dirige de main de maître cette bande de joyeux surdoués. René Gosselin va même jusqu'à dire que sans Lorraine, les musiciens du NEM ne seraient pas si exceptionnels. C'est grâce à la précision impeccable de sa direction que Lorraine Vaillancourt parvient à rendre ces musiques, si complexes et si opaques à première vue, d'une désarmante simplicité. La clarté limpide de ses gestes rend les partitions si compréhensibles qu'elle invite sans cesse les musiciens à se dépasser et à s'abandonner en toute confiance. Normand Forget en remet : « Au début, on recevait les partitions et on voyait ces musiques comme des défis insurmontables. Maintenant, on les aborde avec calme parce qu’on en a tellement vu et qu’on sait que Lorraine va savoir quel chemin prendre pour nous mener à bon port. » Les musiciens ont-ils un mot à dire sur le choix du répertoire ? Lorraine Vaillancourt est la directrice artistique de cet ensemble et, à ce titre, demeure l’ultime responsable de la composition des programmes. Comme le dit Normand Forget : «ÊC’est Lorraine qui décide de la plupart des œuvres que nous allons jouer, mais elle est toujours ouverte aux suggestions. On lui prête à l’occasion des cassettes de musiques qu’on trouverait intéressantes à travailler et il arrive, oh surprise !, que l’une de nos suggestions se retrouve au programme de la saison. » Le répertoire du NEM, c’est la musique qui a été écrite hier. Mais même si le NEM se consacre surtout à la musique contemporaine, on retrouve à chaque saison, au programme de son Grand concert annuel, des œuvres plus anciennes, comme ces valses de Strauss revisitées par Schönberg au concert «ÊVisages de Vienne » du 15 mars 1995. Le NEM s’est aussi distingué par ses projets spéciaux comme la Biennale, présentée en alternance avec le Forum international des jeunes compositeurs. La Biennale gravite autour d’un compositeur de renom comme Mauricio Kagel (1992) ou Franco Donatoni (1994) et lui rend hommage par des concerts, des conférences et des séminaires d’analyse. Enfin, le NEM est aussi à l’origine du projet de réorchestration du Wozzeck d’Alban Berg par John Rea, présenté en août et en septembre 1995, un événement qui a démontré la haute compétence de l’Ensemble dans le genre de l’opéra. Après dix ans, on peut cependant se demander pourquoi le NEM ne joue pas plus souvent à Montréal, alors qu’il multiplie les présences à l’étranger. « Le NEM ne joue pas moins souvent à Montréal », se défend Normand Forget. « Il a seulement profité de sa notoriété et du travail colossal de ses gestionnaires pour se faire connaître ailleurs. » La raison principale : le manque de ressources financières. Un ensemble de cette qualité ne peut produire plus de concerts qu’il ne le fait maintenant, faute de moyens. C’est pourquoi les musiciens ont décidé de mettre l’épaule à la roue. Désormais, à chaque automne, les musiciens « donnent » un concert au public montréalais en acceptant de jouer sans cachet. Cette saison, le NEM a repris à Montréal le concert qu’il avait présenté le 5 octobre 1998 à Los Angeles, où Simon Aldrich s’est illustré dans le Concerto pour clarinette d’Elliott Carter. Cette attitude témoigne de l’engagement réel des musiciens envers l’Ensemble et est une des raisons principales de son succès international. En septembre 1997, le NEM était l’ensemble en résidence au festival de la Fondation Royaumont. Normand Forget m’a raconté combien le public étaient frappé par la grande rigueur des musiciens et leur totale abnégation. Ce sentiment de générosité désintéressée se fait rare parmi les ensembles professionnels, qui se contentent souvent de nos jours d’une lecture propre des partitions et d’une prudente mise en place avant d’aller encaisser leur chèque… Ce ne sera jamais le cas des membres du NEM qui n’y sont sûrement pas pour l’argent. Jacques Drouin trouve même que ça fait partie de sa mission auprès de la communauté, en tant que musicien et artiste, de diffuser davantage de musique contemporaine et de proposer des projets qui débordent du cadre du NEM. Il fallait s’y attendre : l’expérience considérable que les musiciens ont acquise depuis dix années leur a mis plein d’idées en tête et ne pouvait que mener éventuellement à la conception de projets de leur crû. Jacques Drouin a le goût que ça bouge, surtout pendant les creux de vagues entre les poussées d’adrénaline qu’offrent les trop rares concerts du NEM. C’est ainsi que lui est venu l’idée d’un événement intitulé « Le NEM à l’Espace libre dans Refus Global » qui sera présenté deux fois le 13 juin 1999, à 14 heures et à 19 heures. Il s’agit d’une mise en espace et en musique du célèbre manifeste de Paul-Émile Borduas, qui sera lu par les membres du NEM. Des musiques originales de Jacques Drouin, sous la direction de Lorraine Vaillancourt, ponctueront ou commenteront le texte. Ce n’est pas tout. L’Ensemble annonce son Grand concert annuel pour le samedi 1er mai 1999 à 20 heures avec l’Ensemble Soli-Tutti de France. Le programme propose des œuvres de Webern, Grisey, Campo, Panneton et Ligeti. Lorraine Vaillancourt partagera le pupitre avec Denis Gautheyrie, directeur de Soli-Tutti, qui se consacre au répertoire du vingtième siècle. Le NEM s’envolera dès le lendemain pour Marseille où il sera en résidence du 2 au 8 mai pour des classes de maître en direction d’orchestre, avec Lorraine Vaillancourt et présentera, lors de trois concerts des œuvres de Aué, Birtwhistle, Cherney, Gonneville, Lang, Ligeti, Lindberg, Panneton et Sciarrino. Enfin, du 15 au 29 août, le NEM participera à la sixième édition des Rencontres de musique nouvelle du Domaine Forget sous la coordination de Denys Bouliane et Lorraine Vaillancourt. Ça s’annonce déjà bien pour la deuxième décennie.
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