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La Scena Musicale - Vol. 4, No. 6

Présence québécoise à Paris: mission accomplie

Par Marc Chénard / 1 mars 1999

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Présences 99

À l’occasion de sa neuvième édition, le prestigieux festival Présences 99 de Radio-France (Voir texte ci-joint), qui se tenait à Paris du 29 janvier au 14 février, accueillait l’ensemble de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) et le Nouvel Ensemble moderne (NEM) et mettait à l’honneur la création musicale québécoise en présentant 25 œuvres de 20 compositeurs d’ici. La place importante accordée à la musique québécoise dans ce «brassage de cultures», selon les termes d’Yves Prin, directeur artistique du festival dont un des thèmes était le triangle Paris - New York - Montréal, représentait une percée significative sur la scène européenne et témoignait de la grande vitalité de notre création musicale. Ce bouillonnement culturel, caractérisé par l’éclatement et la diversité, était d’ailleurs palpable lors du concert d’avant-première, le 25 janvier dernier, à la salle Claude-Champagne. Même si «la société québécoise n’a peut-être pas encore apprivoisé le pouvoir des sons», nous livre Denys Bouliane dans le document Présence de la musique québécoise, vingt-deux portraits instantanés, il semble qu’elle soit en train d’en acquérir le goût. Après-tout, l’avant-garde aura été, par définition, prématurée ! -Sylvie Roux

Rencontré chez lui à moins d’une semaine de son retour de PRÉSENCES 99 à Paris, Denys Bouliane dresse le bilan de ce rendez-vous de musique contemporaine tenu en février dernier.

Chef d’orchestre invité, organisateur de concerts,dbouly.jpg (10111 bytes) et professeur à l’Université McGill depuis 1995, Denys Bouliane aborde toutes ces fonctions artistiques avec énergie et conviction. Par-delà ses diverses responsabilités, c’est la composition qui se trouve au cœur de ses préoccupations. S’étant d’abord établi en Allemagne en 1980 dans le but de poursuivre des études auprès de György Ligeti, il maintient toujours résidence à Cologne, bien que ses tâches professorales lui aient permis de revenir, pour ainsi dire, au bercail.

Marc Chénard : En tant qu’instigateur de ces concerts conjoints NEM-SMCQ, quelles conclusions tirez-vous de ce passage dans la Ville Lumière?

Denys Bouliane : Les concerts donnés par le NEM et la SMCQ ont été de tout premier ordre et la réaction chaleureuse du public l’a d’ailleurs prouvé. Sans fausse modestie aucune, ces deux ensembles peuvent se mesurer à n’importe quelle des formations réputées dans le domaine. Les œuvres présentées ont aussi permis aux Européens de découvrir l‘originalité de notre création musicale et, selon toute apparence, notre présence a créé un remous important à Paris.

Bien entendu, tout le monde n’a pas aimé notre musique. Ceux que j’appelle les «gardiens de l’idéologie dominante», de la ligne dure de Boulez, ont été un peu condescendants. L’accueil a été réservé et même si certains ont reconnu qu’il fallait désormais composer avec nous, d’autres ont été plus sceptiques à notre égard. Quelques-uns ont tout simplement jugé que cela ne faisait pas sérieux du tout. Le critique du Monde, par exemple, a été assez dur à notre égard et il essayait de minimiser l’importance de la chose, mais c’était clair que cela le dépassait. À tous ces gens, je leur dis qu’il y a au Québec la possibilité de démarrer quelque chose de nouveau.

Marc Chénard : En 1980, vous êtes parti pour l’Allemagne où vous vous êtes inscrit dans la classe de composition de Ligeti, l’un des grands maîtres de la musique de notre siècle. Que retenez-vous de cette expérience?

Denys Bouliane : Ce fut une expérience très dure, éprouvante même. On pourrait même dire que c’est quelqu’un qui voulait nous casser. En revanche, j’ai appris à croire en ce que je faisais ou à ne rien faire du tout. En fait, certains de ses étudiants ont tout simplement abandonné la composition. C’est un individualiste farouche qui se montre très critique envers le milieu allemand. Je dois aussi souligner qu’il traversait une crise à cette époque parce qu’il remettait en question toute la micro-polyphonie. Il s’est réajusté, pour ainsi dire, en renouant avec ses référents culturels. De nos jours, il n’a jamais été aussi près de Bartók et de toute la culture des Balkans aussi. Il s’intéresse à des folklores d’un peu partout dans le monde, de l’Afrique à la péninsule Ibérique, quitte même à avoir une oreille aussi pour le jazz.

Marc Chénard : Comment définissez-vous votre démarche musicale actuelle?

Denys Bouliane : J’ai un petit mot d’ordre qui caractérise mon travail actuel et c’est celui d’être «extrêmement clair», mais «clairement extrême» aussi. Mon premier retour au Québec en 1993, comme compositeur en résidence à l’Orchestre symphonique de Québec, m’a permis de prendre conscience de la nécessité d’affirmer ma voie de manière inéquivoque. Et c’est ainsi que ma musique s’oriente vers des gestes de plus en plus clairs, mais très extrêmes en même temps.

Dans les années 1980, ma musique avait son côté fantasque, avec beaucoup de références au jazz; même si ce n’en n’est pas, je considère le phrasé syncopé et hachuré du be-bop comme très important. Depuis quatre ou cinq ans, cependant, j’ai développé un penchant plus lyrique, presque sentimental, et certains me l’ont reproché aussi. Par contre, il y a cette sensibilité à fleur de peau qui fait partie de la culture québécoise, une certaine naïveté aussi. Mais attention : si je ne suis pas du tout naïf, n’empêche que cet aspect est fondamental.

Marc Chénard : Après toutes vos années passées à l’étranger, comment comparez-vous le milieu musical contemporain d’Europe et celui du Québec?

Denys Bouliane : En Europe, les milieux d’avant-garde sont très imbus de plusieurs formes d’idéologies. La musique symbolise quelque chose, elle offre une vision des choses qui touche même l’ordre social et politique. Ici, au contraire, c’est souvent vu comme du bonbon... et je me bats farouchement contre cela aussi.

Quand je suis parti du Québec, ce n’était pas parce que je me sentais persécuté, bien sûr que non, quoiqu’il y ait des persécutions pires que celles qui sont politiques, par exemple. Jusqu’en 1980, la musique contemporaine québécoise était tout simplement ignorée, mais la situation s’améliore visiblement. En tout cas, je crois faire assez de bruit et ils pourront bien me détester, mais au moins ils ne peuvent plus m’ignorer!


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