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La Scena Musicale - Vol. 3, No. 3

Entrevue avec Philippe Herreweghe

Par Philip Anson / 1 novembre 1997

English Version...


Herreweghe 1.jpg (23040 bytes)Le chef d'orchestre flamand Philippe Herreweghe, 55 ans, est l'un des pères fondateurs du mouvement baroque, qui a entraîné un retour aux instruments originaux et à l'authenticité du style musical. Avec plus de 60 titres à son actif, il occupe l'une des premières places au catalogue d'harmonia mundi.

D'abord choriste, puis adjoint au chef des choeurs d'une école dirigée par les jésuites, il fit des études de piano au conservatoire de Gand. À l'université, où il s'était inscrit en psychiatrie, Herreweghe créa un ensemble vocal de 12 membres destiné à promouvoir les audacieuses méthodes d'exécution prônées par Gustav Leonhardt, Ton Koopman et les frères Kuijken. En 1970, il abandonna ses études de médecine en faveur de la musique et baptisa son choeur, devenu professionnel, du nom qu'il porte encore, Collegium Vocale.

Je me suis entretenu avec Philippe Herreweghe en octobre au Metropolitan Museum of Art de New York avant une exécution de Das Lied von der Erde de Malhler par le St. Luke's Chamber Ensemble. Pendant que nous bavardions dans le salon vert, un technicien de scène a apporté une boisson au maestro, qui en a profité pour louer la gentillesse des New Yorkais. «Si différents des Parisiens», a-t-il ajouté avec un petit sourire.

SM: Venez-vous souvent aux États-Unis?

- J'y suis venu deux fois avec l'orchestre de St. Luke's et mes ensembles européens, mais les tournées en Amérique sont très difficiles à financer. C'est dommage, car j'adore le pays.

SM: Avez-vous déjà donné des concerts au Canada?

- Une seule fois, il y a très longtemps. Mais dans quelques jours, nous jouons le Mahler à Toronto... Toronto est bien au Canada, n'est-ce pas?

SM: Parlez-nous des idées que vous défendez en matière d'instruments anciens et d'authenticité de style.

- Le grand débat qui entoure aujourd'hui la façon «authentique» de jouer les oeuvres du 19e siècle (Beethoven, Schumann) sur des instruments anciens est exactement le même que celui qui faisait rage il y a 20 ans au sujet de la musique baroque. Certains critiques contemporains utilisent d'ailleurs les mêmes objections qu'à l'époque. Au début du mouvement baroque, nous soutenions qu'il fallait permettre à une cantate de Bach, par exemple, d'être entendue (dans sa forme originale), la laissant se défendre par elle-même, en quelque sorte. Cela signifiait tout d'abord que nous devions respecter le caractère particulier de chaque instrument. L'un des problèmes rencontrés est celui de la disparition des choeurs de garçons tels que nous les avons employés, Gustav Leonhardt et moi, pour les enregistrements Telefunken des cantates de Bach. A une époque lointaine, personne n'avait de voiture, alors les garçons se rendaient à l'église le dimanche et ils apprenaient à chanter. De nos jours, les familles passent le week-end à la plage. Comme il n'y a plus de ces petits chanteurs, nous devons nous tourner vers des choeurs mixtes.Herrweghe 2.jpg (37248 bytes)

SM: Quels rapports vos nombreux orchestres entretiennent-ils les uns avec les autres?

- Je consacre un tiers de mon temps à la musique ancienne, un autre tiers au répertoire romantique joué sur des instruments d'époque et le dernier tiers à des orchestres modernes. Mes formations sont comme une poupée russe ‹ vous savez, ces poupées qui s'emboîtent les unes dans les autres? Mon principal ensemble baroque pour Bach et le répertoire allemand en général est Collegium Vocale. Pour les oeuvres de plus grande envergure et le baroque français, nous l'augmentons: c'est l'Orchestre de la Chapelle Royale. Pour les ouvrages classiques et romantiques plus importants encore, nous accroissons l'effectif d'environ 20 pour cent, ce qui donne l'Orchestre des Champs-Élysées. De cette façon je peux aborder un vaste répertoire sans réellement sacrifier l'intégrité organique des groupes.

SM: Parlez-moi de votre plus récente formation, l'Orchestre des Champs-Élysées.

- L'Orchestre des Champs-Élysées a été constitué en 1991 pour jouer des messes, des oratorios et des oeuvres symphoniques du 19e siècle. L'ensemble est encore très jeune et, vu nos contraintes budgétaires, il se réunit seulement six fois par année pour des séances de deux ou trois semaines de répétitions et de concerts. L'OCE possède un noyau fixe de musiciens, ce qui est très important pour assurer la continuité et la qualité du travail. Nos musiciens doivent travailler fort et être polyvalents étant donné qu'ils jouent, Brahms, Beethoven, Mendelssohn et Berlioz, sur plusieurs versions de leur instrument. À l'époque, en effet, les instruments subissaient des modifications tous les trente ans environ. Beaucoup de nos musiciens sont des organologues professionnels: ils collectionnent ou même fabriquent leurs instruments. Marcel Ponseele, à mon avis le meilleur hautboïste baroque du monde, joue aussi du hautbois classique et du hautbois moderne. Évidemment ce n'est pas le cas de tous mes musiciens. Aussi je songe à former au sein de l'OCE des sous-groupes spécialisés dans chaque style et chaque période. Autre trait caractéristique de nos musiciens: ils s'intéressent à l'histoire et à la culture de toutes les époques musicales. Avant de jouer du Mozart ou du Beethoven ensemble, nous jouons de la musique ancienne. Les orchestres modernes sont souvent brillants sur le plan technique et émotivement puissants, mais il leur arrive de manquer de culture générale, spécialement en ce qui touche la musique ancienne. Comment peut-on jouer Beethoven sans connaître Bach, Haendel ou Haydn? Comme je me plais à le dire, pour bien connaître le Venezuela, il est utile d'avoir quelques connaissances sur l'Espagne. L'avantage de notre approche authentique du répertoire romantique est manifeste sur notre dernier enregistrement de Schumann. Écoutez l'équilibre entre les cordes et les vents, par exemple. Du fait que les instruments d'époque émettent moins de décibels, les vents peuvent jouer fortissimo comme l'a indiqué Schumann sans couvrir les cordes, ce qui est impossible à faire avec un orchestre symphonique moderne.

SM: De quelle manière procédez-vous pour vos enregistrements?

- Idéalement, nous travaillons et répétons pendant cinq jours, avant de faire une tournée de six concerts en Europe. Puis, après un petit repos, nous retravaillons et repartons en tournée l'année suivante. Finalement, nous enregistrons deux concerts dans la même salle, généralement à Montreux. C'est ainsi que nous avons préparé tous nos grands oratorios, la Missa solemnis, Elijah de Mendelssohn et L'Enfance du Christ. En novembre, nous enregistrons les Scènes du Faust de Goethe de Schumann, et pour la première fois nous utiliserons deux salles différentes, ce qui m'inquiète un peu. Normalement, toutes les séances d'enregistrement se tiendraient au Concertgebouw mais, cette fois, ils ne peuvent pas nous accorder tout le temps requis. Nous ferons donc l'enregistrement principal dans un studio d'Amsterdam et nous garderons les deux concerts du Concertgebouw en réserve.

SM: Avez-vous jamais l'impression d'avoir épuisé tout le répertoire qu'il est possible d'enregistrer?

- Pas du tout. Avec Collegium Vocale j'enregistre deux ou trois albums de cantates de Bach tous les ans, et il en reste encore beaucoup. Avec l'Orchestre des Champs-Élysées, la Chapelle Royale et Collegium Vocale nous continuerons d'enregistrer Brahms, Schumann et Beethoven. Nous nous préparons également à enregistrer de nouveau la Messe en si mineur de Bach et, l'été prochain, la Passion selon Saint-Mathieu. Mes premiers enregistrements d'il y a vingt ans montrent une ferveur qu'il est difficile de reproduire quand on est plus vieux et plus sage, mais les chanteurs, aujourd'hui, savent beaucoup mieux exécuter la musique d'époque, et les découvertes des musicologues ont changé notre conception des grands chefs-d'oeuvre.


Mahler: Lieder eines fahrenden Gesellen et Das Lied von der Erde.

St. Luke's Chamber Ensemble, dir. Philippe Herreweghe

Metropolitan Museum of Art, New York

Pour lancer la tournée nord-américaine du St. Luke's Chamber Ensemble, une formation de 14 musiciens, le chef d'orchestre flamand Philippe Herreweghe a dirigé, dans l'auditorium Grace Rainey Rogers du Metropolitan Museum, les arrangements de Schoenberg des deux grands cycles de mélodies de Mahler, des arrangements dépouillés à l'extrême puisqu'ils font appel aux seules cordes. Les interprétations sur instruments anciens que donne maestro Herreweghe de Bach et Brahms, et celles qu'il a offertes plus récemment de Schumann, ne diffèrent pas beaucoup de ce traitement sobre de Mahler, de sorte que le chef, en dirigeant ces oeuvres poignantes, se trouvait tout à fait dans son élément. La réduction de Schoenberg élimine des partitions beaucoup de «broussaille» orchestrale pour mieux révéler dans ces austères chefs-d'oeuvre impressionnistes la solidité du tronc et des membres. Ce qui étonne le plus, c'est qu'une poignée d'instruments à cordes et à vent assistés d'un harmonium, d'un piano, d'un célesta et d'un gong, puissent faire naître autant de magie mahlérienne. Réduites à l'état primaire, les couleurs symphoniques donnent à la noble trame narrative un saisissant relief. Il en résulte une musique parfois merveilleusement subtile, souvent impétueuse, toujours admirable. La diminution de l'effectif orchestral a également pour résultat d'exposer complètement les lignes vocales. Après avoir subi tant de Das Lied où l'orchestre noyait les solistes (je me souviens d'un concert à Carnegie Hall où l'orchestre du Met couvrait la voix pourtant imposante de Ben Heppner), j'ai été ravi de pouvoir encore une fois entendre les paroles. Le ténor Thomas Young nous a livré de sa voix riche et sombre une interprétation magistrale. Le contralto Annette Markert est une véritable artiste du lied. De puissance moyenne, sa voix au timbre lisse a doté ses interprétations d'une délicatesse mémorable. Quant au baryton William Sharp, ses Lieder eines fahrenden Gesellen ont révélé chez lui une bonne diction allemande et une couleur dramatique qui compensaient dans une certaine mesure une qualité de voix plutôt médiocre. Ce concert a montré que le Mahler minimalisé de Schoenberg mérite amplement d'être inscrit au répertoire de chambre courant, à la condition toutefois que les solistes soient de la plus haute compétence. ‹ Philip Anson.

La série de concerts et conférences du musée Metropolitan se poursuit jusqu'au 23 mai 1998. Quelques têtes d'affiche: les pianistes Ruth Laredo, André Watts, Ken Noda, Peter Serkin, Alfred Brendel (conférences seulement), András Schiff et André Previn, le violoniste Young Uck Kim, le Beaux Arts Trio, Philharmonia Virtuosi, Pomerium, le quatuor Gelato, Dawn Upshaw et l'ensemble Aulos, Chanticleer, les Anonymous Four, Wolfgang Holzmair et Bo Skovhus. Tél.: (212) 650-3949; télécopieur: (212) 650-2253.

[tradution: Michèle Gaudreau]


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