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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 5 février 2016

Critiques de disque

Par Michelle-Andrée Lanoue, René-François Auclair, Joseph So and Kiersten van Vliet / 1 février 2016

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André Gagnon Baroque
Mes quatre saisons – Les Turluteries
Jean-Willy Kunz, clavecin
Orchestre symphonique Vallée du Haut-Saint-Laurent, Daniel Constantineau ATMA Classique. 2015. ACD22715. 65 min 17 s

Mes quatre saisons (1969) et Les turluteries (1972), albums d’André Gagnon, reprennent vie sur ce nouveau disque où musique baroque et populaire se marient joliment.

Écrits dans un style se rapprochant de Bach et Vivaldi, les thèmes de Ferland, Léveillée, Vigneault, Leclerc et les « turlutes » de la Bolduc sont métamorphosés et interprétés au clavecin par Jean-Willy Kunz avec l’Orchestre symphonique de la Vallée-du-Haut-Saint-Laurent sous la direction de Daniel Constantineau. Un cachet unique est audible, s’expliquant par le choix d’utiliser des instruments anciens. Jean-Willy Kunz, également organiste en résidence de l’OSM, confirme une fois de plus son immense talent.

Exploration musicale plaisante, cet album rempli de clins d’œil paraît sous étiquette ATMA Classique.  MAL

Brahms : Double Concerto et Symphonie no 4
Pinchas Zukerman et Amanda Forsyth
CNA. Pinchas Zukerman. Analekta. 2015. AN 28782. 73 min 34 s

Johannes Brahms est à l’honneur sur ce disque de l’Orchestre du Centre national des Arts du Canada.

D’abord, le Concerto pour violon et violoncelle interprété par Pinchas Zukerman et Amanda Forsyth. En dialogue constant, cette œuvre puissante exige une complicité des interprètes. Acolytes de tous les jours, la magie s’opère entre les deux musiciens. Zukerman, dont les preuves ne sont plus à faire, se révèle une fois de plus.

Autre œuvre de Brahms, la 4e Symphonie, grandiose, est considérée comme étant la plus classique du compositeur. L’Orchestre du CNA, sous la direction de Zukerman, offre une interprétation de qualité, bien détaillée, manquant parfois de fougue cependant.

C’est un disque qui ne réinvente en rien la roue, mais qui s’écoute agréablement, le répertoire choisi étant d’une beauté infinie.  MAL

Alain Lefèvre.
Rachmaninov. Haydn. Ravel.
Analekta. 2015. AN2 9296. 53 min 21 s

Trois œuvres, trois couleurs différentes. La Sonate pour piano no 2 op. 36 de Rachmaninov est remplie de confidences néoromantiques bleutées de jazz, mais aussi d’agitation nocturne urbaine et bruyante. Lefèvre s’y livre dans des épanchements symphoniques amples et renversants. La Sonate en fa majeur no 38 Hob.16 :23 de Haydn, en blancheur du matin, est traitée sobrement, dépouillée, mais la clarté du discours émeut et ravit... Le disque culmine avec La Valse de Ravel, au crépuscule de couleurs flamboyantes, rouge orangé, véritable apothéose sur fond de guerre démente, sanglante. L’artiste s’y investit peu à peu, laissant se détacher au début les voix en apesanteur. Et puis, le « tourbillon fantastique et fatal » nous emporte. Cette valse n’a plus rien de léger. Elle se termine par un « cluster » démesuré, fou de rage… démonstration décisive d’un pianiste qui a tout donné. L’une des plus fabuleuses versions pour piano à ce jour. Prise de son irréprochable.  RFA

Symphonie et créations pour orgue et orchestre
Œuvres de Saint-Saëns, Moussa et Saariaho.
Jean-Willy Kuns et Olivier Latry.
OSM. Kent Nagano. Analekta. 2015. AN2 8779. 66 min 27 s

Inauguré le 28 mai 2014 à la Maison symphonique, le Grand Orgue Pierre-Béique de Casavant op. 3900 est une merveille. Il possède près de 6500 tuyaux, une multitude de registres et, surtout, une puissance colossale qui lui permet d’être un instrument concertant à la hauteur d’un ensemble symphonique. Ce concert inaugural est l’objet de cet enregistrement.

La Symphonie no 3 en do mineur, op. 78, de Saint-Saëns, est un choix allant de soi pour présenter ce roi des instruments. L’œuvre bien connue est traitée par Nagano avec savoir-faire, intelligence, clarté et élégance. Le Poco adagio est si beau que l’on se demande pourquoi le chef américain n’a pas abordé Saint-Saëns plus tôt. Il semble posséder toutes les qualités pour en traduire l’essence. L’accueil triomphal du public aux dernières notes du Maestoso final nous permet de revivre ce moment extraordinaire.

La création de l’œuvre A Globe Inself Infolding, de Samy Moussa, est une merveilleuse découverte. Cette pièce donne à l’orgue une dimension cosmique, grandiose, offrant une captivante incursion dans de nouvelles textures lumineuses. Cette exploration des sons entre l’orgue et l’orchestre se fusionne en forces mystérieuses, en images fascinantes du début du monde… ou de sa fin !

Maan varjot (Ombres de la Terre) de Kaija Saariaho (n. 1952) en rebutera plusieurs par un exposé complexe de dissonances. Pourtant, au milieu d’un chaos contrôlé, ce quasi-concerto hybride et imprévisible demeure jouissif au plus haut point. L’œuvre donne à l’organiste Olivier Latry l’occasion d’une interprétation magistrale. Repoussante mais grouillante de vie, cette musique a le don de nous étonner grâce à l’extrême difficulté qu’elle présente aux musiciens de l’orchestre, qui offrent une prestation renversante.  RFA

    
Une trilogie d’hiver
Jean Sibelius, Musiques pour la scène, Kuolema. King Christian II, Belshazzar’s feast. Pelléas et Mélisande…
Orchestre Philharmonique de Turku, Leif Segerstam
Naxos. 8.573299/ 8.573300/ 8.573301

Le chef finlandais Leif Segerstam, véritable star dans toute la Scandinavie, a enregistré une série de disques en 2015, tous consacrés à Sibelius. Personnage coloré et attachant, il a, depuis 2012, pris la direction de l’orchestre de Turku, ville souvent citée comme étant la plus médiévale de Finlande. L’ensemble, méconnu ici, possède une riche tradition, puisqu’il a été fondé en 1790.

À propos de sa 6e Symphonie, Jean Sibelius déclarait qu’elle était « une pure eau froide ». En fait, cette citation pourrait décrire toute son œuvre. Limpide, cristalline, se résumant à l’essentiel, sa musique évoque souvent paysages nordiques et légendes hivernales. Même dans la musique de scène où l’action se déroule dans des univers étrangers, ces impressions de froid reviennent inévitablement dans notre imaginaire.

Les trois disques présentés ici sont en marge des poèmes et des sept symphonies. Ce sont, pour la plupart, des pièces très rarement entendues, écrites pour le théâtre et le ballet. Sibelius ne cesse de nous étonner par une écriture bien personnelle. Chaque morceau est composé avec raffinement et imagination. Les reprises des mélodies, souvent fort belles, sont traitées différemment par une orchestration audacieuse. Pourtant, tout cela reste tonal, parfois influencé par Tchaïkovski, que Sibelius tenait en haute estime. Le compositeur propose des climats sombres, des envoûtements brumeux et mélancoliques pour soutenir l’action théâtrale, comme dans la Valse triste de Kuolema. Par contre, les valses et autres danses des ballets sont brillantes et colorées.

Ces enregistrements sont supérieurs aux productions suédoises BIS, qui ont gravé tout Sibelius il y a quelques années. Ces productions étaient réalisées avec soin, mais offraient en général l’impression d’une surface un peu trop glacée. Avec Segerstam, on entre plus profondément dans le vif de l’action. Les cordes sont plus chaudes et l’orchestre de Turku résonne avec splendeur, soutenue par une prise de son généreuse. Cette « trilogie d’hiver » vaut le grand détour par le Nord, à mille lieues des villes peuplées de l’empire austro-allemand. Là-bas, un géant de la musique a défié le temps et les modes pour offrir les compositions les plus originales du début 20e siècle, que l’on ne cesse de redécouvrir.  RFA

Mélancolies. Julien Leblanc
Franck. Poulenc. Dutilleux.
Leaf Music. 2015. LM209. 76 min 28 s.

Le pianiste acadien présente trois compositeurs français dont il semble particulièrement apprécier le répertoire. Autour de César Franck, très austère, d’une gravité funèbre, et d’Henri Dutilleux, d’une modernité audacieuse, Julien Leblanc s’exprime de manière sentie dans ces pièces parfois lourdes à porter et à exécuter. Son brio s’entend à chaque détour, très analytique dans ses phrasés, éblouissant d’une technique qui le place dans une classe à part.

Mais c’est vers Poulenc que notre cœur se tourne… Les Improvisations sont de courtes pièces de caractère, variées, ravissantes et sensuelles, à un siècle de Schubert, Chopin et Schumann. C’est que Poulenc a puisé un peu partout dans le passé pour proposer du neuf. Cela fait un bien énorme à nos oreilles saturées d’un 19e siècle de tradition romantique qui a longtemps dominé la scène du piano.

Musique élégante, près de la mélodie parisienne, de ses bars enfumés, des gens qui y vivent et qui échangent des idées, la musique de Poulenc est nouvelle dans ce sens qu’elle nous ressemble beaucoup. Comme ces fantômes du passé, nous aimons encore la mélancolie et le vague à l’âme, mais aussi le burlesque, le rire et le plaisir de se faire raconter de belles histoires. Julien Leblanc le fait très bien. Son jeu est toujours juste, tracé avec soin, rempli de couleurs chaleureuses. De l’excellent piano, pour l’amour de Poulenc avant tout.  RFA

Divine Redeemer
Christine Brewer, soprano; Paul Jacobs, orgue
Naxos 8.573524 (61 min 22 s)

La soprano américaine Christine Brewer prête sa voix majestueuse à un programme d’œuvres sacrées de Bach, Haendel, Gounod, Franck, Puccini, Wolf, Boulanger et Reger. Elle est accompagnée par son habituel collaborateur Paul Jacobs, installé à l’orgue grandiose de l’église Gesu de Milwaukee, au Wisconsin. L’acoustique réverbérante de l’église est magnifiquement rendue sur cet enregistrement qui donne l’impression d’être sur place. L’une des grandes sopranos dramatiques de notre époque, Christine Brewer se spécialise dans le répertoire de Wagner et Strauss, quoiqu’elle semble récemment avoir délaissé l’opéra au profit de concerts et de récitals. Ici, elle interprète brillamment toutes les œuvres, particulièrement Bist du bei mirde Bach, Repentir (O Divine Redeemer)de Gounod et Panis Angelicusde Franck. Il est cependant un peu curieux de retrouver dans cet arrangement pour orgue de Max Reger les pièces Spanisches Liederbuch et Mörike-Lieder de Wolf, habituellement chantées en récital avec piano. Christine Brewer aborde prudemment le registre aigu, surtout dans le Gounod, mais les notes sont bien là et elles résonnent avec éclat ! Le reste de l’album se compose de pièces pour orgue solo jouées avec beaucoup d’autorité par Paul Jacobs. Il s’agit d’un excellent enregistrement pour les amoureux du répertoire de musique sacrée et de la glorieuse voix de Mme Brewer. JS

Schubert : Goethe Lieder
Mauro Peter, ténor
Helmut Deutsch, piano
Sony 88875083882 (53 min 20 s)

Le ténor suisse Mauro Peter est une étoile montante dans le monde de l’opéra et du lied. Il a étudié à Munich avec Fenna Kügel-Seifried et participé au Young Singers Project de Salzbourg en 2012, suivant des cours avec Thomas Hampson et Michael Schade. La même année, il a remporté le premier prix du concours Robert-Schumann et est actuellement membre de l’ensemble de l’Opéra de Zurich. Convaincu de son potentiel, Sony l’a mis sous contrat, ce qui est rare ces temps-ci. Ce nouvel enregistrement succède à son excellent premier disque solo Die schöne Müllerin sous étiquette Wigmore Hall, enregistré en concert en janvier 2014. Goethe Lieder confirme notre première impression : Peter est un excellent chanteur dont la voix magnifique, aussi lyrique qu’aristocratique, témoigne d’une musicalité inépuisable, parfaite pour ce répertoire. Dès le premier lied, Ganymed, nous plongeons tête première dans son programme. La plupart de ces poèmes de Goethe exigent la fougue de la jeunesse et une impulsion irrésistible, et Mauro Peter s’acquitte à merveille de sa tâche, redonnant même de l’éclat à certains chants démodés comme Heidenröslein. Si je devais m'arrêter aux menus détails, je dirais que son interprétation est parfois chancelante, surtout dans les chants lents, et quelques aigus fortepeuvent sembler laborieux. Dans l'épreuve décisive que constitue Erlkönig, il pousse manifestement au maximum ses capacités vocales et ne réussit pas à bien individualiser les quatre voix – l’enfant, le père, l’Erlkönig et le narrateur –, mais son talent est incontestable et l’excellence d’interprétation viendra probablement avec la maturité. Certainement l’un des meilleurs dans le milieu, Helmut Deutsch offre au ténor un soutien impeccable. Pour les adeptes de lieder et ceux qui souhaitent se familiariser avec une nouvelle voix, ce disque est important. JS

Traduction : Véronique Frenette

Volksmobiles
Collectif9
29 min 11 s

Le premier enregistrement du collectif9, ensemble à cordes formé de neuf musiciens et d’un ingénieur du son, est un amalgame de vieux classiques et de compositions plus récentes. On retrouve presque à l’identique sur disque le son du groupe sur scène. L’album présente un mélange éclectique de cinq airs inspirés de musique traditionnelle, chaque morceau joué avec fougue et vigueur. Dès la première pièce, Rondo alla Zingarese, d’après le quatrième mouvement du quartet pour piano no. 25 de Brahms, le groupe installe le tempo, un rythme soutenu qui va se maintenir tout au long de l’album, jusqu’aux toutes dernières mesures du violon traditionnel dans le Petit concerto d’André Gagnon. Dans chaque morceau, le groupe explore couleurs et textures en les poussant aux limites des conventions d’interprétation : on peut littéralement entendre le crissement du bois lorsque les archets appuient sur les cordes. Le morceau central de cet album, créé spécialement pour l’ensemble, Volksmobiles du Canadien Geoff Holbrook, comprend trois mouvements d’une énergie débridée. L’album se termine avec Divertimento for Strings de Bartok et un arrangement du second mouvement de la première sonate pour violon de Schnittke. Ma seule réserve concerne la brièveté de cet album qui ne comporte que sept morceaux assez courts pour un total d’une demi-heure de musique. Autrement, voici un début prometteur pour cet ensemble qui a le potentiel d’aller très très loin. KVV

Traduction : Brigitte Objois


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