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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 3 novembre 2015

Opérer l’opéra ? Opera Lyra et les autres

1 novembre 2015

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Barbier de Seville Opera Lyra Ottawa
Le Barbier de Séville avec Joshua Hopkins et Marion Newman, dernier opéra monté par Opera Lyra Ottawa

On dit que les mauvaises nouvelles viennent toujours par trois. Si c’est vrai, alors les amateurs de musique classique d’Ottawa ont de quoi être nerveux, après avoir encaissé deux coups durs en autant de semaines.

Le premier choc date du 14 octobre, lorsque Opera Lyra a annoncé qu’il cessait ses activités, juste après le début de sa 31e saison et trois jours avant le début de cette saison avec Etiquette et Regina, le programme double de l’organisme torontois Essential Opera. La soudaineté de la nouvelle fut telle qu’au moins un des chanteurs, parti de Toronto pour assister aux répétitions, a reçu la nouvelle par texto après l’annonce aux médias. Dans son communiqué de presse, Opera Lyra parle d’un « déficit insoutenable » dû à la faible vente de billets et à la baisse des dons.

Puis, le 25 octobre, les Ottawa Singers, un nouveau venu dans le monde des ensembles choraux amateurs, annonçait l’annulation de sa représentation de l’Oratorio de Liverpool de Paul McCartney, qui mettait en scène plus de 200 musiciens et choristes, prévue le 9 novembre. Là encore, l’organisation a invoqué un faible taux d’achat de billets pour justifier sa décision (selon certaines sources, seulement 300 des 2000 places de la salle Southam avaient été vendues).

Comme on pouvait s’y attendre, ces annulations ont entraîné beaucoup de mea culpa et de grincements de dents sur les réseaux sociaux de gens exprimant leur inquiétude quant au futur des arts dans la région de la capitale nationale. Alors qu’il ne fait aucun doute que ces événements constituent un signal d’alarme, ce sont aux diffuseurs, et non aux amateurs d’art, d’entendre cet appel et d’y prêter attention.

Il est grand temps de se poser de sérieuses questions sur le genre d’institutions musicales qu’Ottawa – la ville et ses habitants, non le gouvernement fédéral – peut et devrait soutenir.

Ottawa aime se voir sur le même pied que Montréal ou Toronto, mais c’est une illusion, ne serait-ce sur le plan de la population. De façon plus fondamentale, Ottawa est une ville gouvernementale et nous n’avons pas de sièges sociaux de grandes sociétés avec leurs hauts dirigeants qui pourraient former une base fiable de donateurs. Et c’est là un élément essentiel puisque, comme chacun sait, les organisations locales d’Ottawa ont toujours eu beaucoup de difficulté à obtenir du financement du gouvernement fédéral.

Il y a d’autres facteurs. Il ne fait aucun doute qu’il est coûteux et difficile de programmer un spectacle au Centre national des Arts (CNA). Ottawa a désespérément besoin d’une salle de concert de bonne qualité, mais de dimensions plus modestes, où les ensembles locaux pourraient se produire sans avoir à se battre contre l’Orchestre du CNA, les représentations théâtrales en anglais et en français et les spectacles de danse.

En même temps, les organismes sont trop facilement attirés par le prestige qui entoure la salle Southam, même si ce choix est clairement au-dessus de leurs moyens ou irréaliste en termes de vente de billets. C’est probablement ce qui s’est passé avec l’Oratorio de Liverpool (dont la date originale de présentation, l’année passée, avait déjà été reportée). Une analyse réaliste aurait dû orienter les producteurs vers le choix d’une salle plus modeste, quitte à réduire pour cela le nombre de personnes sur scène.

Dans le cas d’Opera Lyra, certaines décisions douteuses de la direction n’ont certes pas aidé la compagnie qui, rappelons-le, avait déjà suspendu ses activités pendant la saison 2011-2012. Tout d’abord, on se demande pourquoi il a été décidé de passer de deux à quatre productions cette saison sans s’assurer préalablement d’un financement stable et durable. Il semble également qu’on a fait l’erreur de mettre trop d’oeufs dans le même panier de la vente de billets, provoquant ainsi la panique lorsque le nombre de billets vendus pour le Barbier de Séville – ce qui a été clair dès la première – s’est avéré bien en deçà des prévisions.

En second lieu, une organisation artistique qui n’inclut pas des membres de sa communauté est condamnée à disparaître. Le conseil d’administration (CA) d’Opera Lyra manquait cruellement de diversité. Pour commencer, aucun chanteur ou musicien n’en faisait partie; il a été démontré que, dans le monde de la musique symphonique, les orchestres dont le CA inclut des musiciens fonctionnent mieux, ont une meilleure santé financière, des employés plus satisfaits et moins de conflits de travail. Qui plus est, le profil d’Ottawa a radicalement changé ces quinze dernières années, changement qui ne se reflète absolument pas dans l’administration, la composition du CA et les bénévoles de beaucoup d’organisations artistiques de la région de la capitale nationale.

Opera Lyra a beaucoup investi dans la jeunesse : de jeunes artistes et un jeune public. Mais cette stratégie s’est avérée plutôt néfaste : les jeunes dans la vingtaine qui achètent une paire de billets pour un rendez-vous vespéral raffiné ne deviennent pas des donateurs et les jeunes artistes prometteurs, s’ils coûtent moins cher, ne vont pas, à moins d’avoir un lien privilégié avec Ottawa, contribuer à remplir les salles comme peuvent le faire des chanteurs à la réputation mieux établie.

On en saura plus sur ce qui s’est passé avec Opera Lyra et l’Oratorio de Liverpool dans les semaines à venir. Non seulement avons-nous besoin de plus d’information à ce sujet, mais nous devons également nous poser la question : « Que nous réserve l’avenir ? »

Le Canada serait entré en récession. En période de disette, ce sont ceux qui s’adaptent qui réussissent à survivre; ces nouvelles récentes, qui ont eu l’effet d’une douche froide, ont le mérite de fournir à Ottawa l’occasion de poser un regard franc et sans compromis sur l’état – interne et externe – du milieu de la musique classique. De remettre en question la tyrannie du format traditionnel d’une saison d’opéra et de se demander si « plus c’est gros, mieux c’est ». De s’interroger sur le statu quo chez les décideurs et dans la composition des conseils d’administration. De se demander, enfin, si nous voulons continuer à mesurer le succès seulement à l’aune de la quantité ou parler plutôt de qualité et de durabilité et si nous sommes prêts à sacrifier la quantité à la qualité.


Une version de ce commentaire a été publié dans le Ottawa Citizen, le 26 Octobre 2015.

Traduction : Brigitte Objois


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