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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 3 novembre 2015

Dissonances : Cultiver nos amitiés

Par Caroline Rodgers / 1 novembre 2015

English Version...


At The Theatre
At the Theatre (Au théâtre) de James Hayllar, 1866

Récemment, une vaste étude réalisée en France sur le public de la musique classique a fait couler de l’encre dans les médias. Il s’agit de l’Enquête nationale sur les publics des orchestres publiée par l’Association française des orchestres. Elle a été réalisée sur dix mois auprès du public de treize orchestres à travers la France. Au total, 11400 questionnaires ont été remplis et 125 entretiens individuels ont été réalisés pour tenter de mieux comprendre les caractéristiques et les motivations du public français des concerts de musique symphonique.

De tous les résultats obtenus, et bien que les publics français et québécois soient différents, j’en retiens quelques-uns aux fins de cette chronique : pour 45 % du public, l’initiation au concert se fait à l’âge adulte. On apprend aussi qu’au sein de ce public adulte, 33,5 % vient au concert sous l’influence de proches ou d’amis. De plus, bien que 34 % des spectateurs de concerts soient avant tout des mélomanes qui se déplacent pour entendre les œuvres qu’ils aiment, 29,3 % du public va au concert pour le plaisir de partager un moment avec des proches.

L’étude a aussi établi des catégories de mélomanes en se basant sur les motivations qui les amènent au concert. Ainsi, on retrouve les « mélomanes classiques » dans une proportion de 18,5 % du public, les « mélomanes curieux » à 15,7 %, les « publics sociables » à 29,3 %, les « profanes occasionnels » à 15,3 % et les « amateurs distanciés » à 20,9 %. De toutes ces catégories, on peut dire que seules les deux premières sont constituées de mélomanes « connaisseurs », c’est-à-dire de gens pour qui l’écoute de la musique classique est une pratique fréquente, voire quotidienne, et la sortie au concert, une habitude.

C’est donc dire que pour 65,8 % des spectateurs interrogés par l’étude, le concert est une sortie rare ou occasionnelle. C’est de ce côté qu’il faut regarder pour faire des gains et attirer un nouveau public. Nous qui nous inquiétons à juste titre parce que des artistes de renommée internationale se retrouvent à jouer devant des salles à moitié vides, que pouvons-nous faire ? Dans une ville comme Montréal où l’offre de concert est riche et abondante, les institutions, en concurrence les unes avec les autres, ne savent plus à quel saint se vouer pour attirer ce mythique « nouveau spectateur » et le convaincre de s’asseoir dans une salle pour entendre des œuvres composées il y a deux siècles et dont il ignore parfois jusqu’à l’existence.

De ce côté, les orchestres ont du travail à faire pour améliorer leurs approches, leurs formules de concert et leurs méthodes publicitaires. Laissons cela aux spécialistes de la programmation artistique et du marketing. J’interpelle plutôt ici nos lecteurs, puisqu’ils font vraisemblablement partie de cette minorité pour qui la musique classique est importante. Le fait de savoir que 45 % du public est initié à l’âge adulte et qu’une portion non négligeable de ces adultes vient au concert sous l’influence d’amis devrait nous inciter à faire notre part, aussi minime soit-elle. Or, par expérience et pour en avoir souvent discuté avec des amis musiciens, je sais que nous vivons souvent notre passion pour la musique de manière isolée, nous retrouvant, dans notre cercle social ou familial, comme l’unique extraterrestre à écouter Mozart ou Beethoven. Pourquoi nous résigner à ce qu’il en soit ainsi ? Que notre passion soit contagieuse ! À nous de semer les graines de la culture musicale autour de nous en la partageant.

Reprenant à ma façon la deuxième partie de la maxime « penser globalement, agir localement », j’invite à chaque concert une personne différente à m’accompagner depuis le début de la saison. Je choisis autant que possible des invités qui, pour toutes sortes de raisons, ne sont pas, a priori, des mélomanes avertis. Des gens qui ne vont que rarement, voire jamais au concert. L’un n’y va pas parce qu’il ne peut s’offrir le billet, l’autre s’imagine qu’il n’a pas le temps – mais trouve du temps dès lors qu’il reçoit une invitation, tel autre a peur de s’ennuyer, et ainsi de suite.

Dans ma liste d’invités potentiels, je prends soin d’inclure des gens de tous âges et de tous milieux, choisissant soigneusement les concerts risquant le plus de leur plaire. Cette initiative a d’agréables effets : elle donne lieu à des moments marquants et provoque des émotions qu’ils ne sont pas près d’oublier. Comme ce jeune technicien d’usine, ébloui par les Pins de Rome de Respighi joués par l’OSM à la Virée classique, qui m’en parle encore avec enthousiasme des mois plus tard. Il a voulu répéter l’expérience en m’accompagnant à un récital de musique de chambre à la salle Bourgie.

Ce travail de partage et de transmission est accessible à tous, même avec des moyens modestes. On peut inviter un ami à l’un des nombreux concerts gratuits (ou à petit prix) présentés chaque semaine par nos facultés de musique et nos orchestres de jeunes, partager les meilleures des milliers de vidéos de concerts gratuites sur YouTube ou offrir un disque à Noël. Car une chose est sûre : rester à se plaindre dans un petit cercle fermé de mélomanes ne sera jamais une solution.


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