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La Scena Musicale - Vol. 21, No. 3 novembre 2015

Critiques de disque

Par Éric Champagne, René-François Auclair, Charles-David Tremblay, Caroline Rodgers et Kiersten van Vliet / 1 novembre 2015

English Version...


Andrew Staniland : Talking Down the Tiger
Ryan Scott, percussion; Rob MacDonald, guitare; Camille Watts, flûte; Frances Marie Uitti, violoncelle; Wallace Halladay, saxophone soprano, Andrew Staniland, électronique.
Naxos 8.573428 (64 min 19 s)

La série Classiques Canadiens de Naxos s’enrichit de parutions récentes consacrées au répertoire contemporain, entreprise salutaire tant ces œuvres trouvent difficilement leur chemin dans le milieu discographique. Cette diffusion à grande échelle que permet Naxos ne peut qu’être bénéfique pour que notre musique rencontre plus facilement son public, qu’il soit local ou international. C’est le cas de cet enregistrement consacré à des œuvres mixtes (instruments solistes acoustiques et bande électroacoustique ou traitements en direct) de l’Albertain Andrew Staniland. Les œuvres regroupées sont d’un intérêt variable, les plus réussies étant l’œuvre titre, Talking Down the Tiger, qui est un véritable tour de force pour percussionniste soliste, et Flute vs Tape, qui joue avec habileté sur la dichotomie entre sons électroniques et acoustiques. Notons l’excellence des interprètes qui s’investissent ardemment dans l’interprétation des pièces. De plus, la prise de son est bien équilibrée, ce qui aide à l’appréciation des œuvres. Avec les petits prix typiques de l’étiquette Naxos, il n’y a pas de raison d’ignorer cet album qui offre une belle vitrine sur des pratiques artistiques sortant des sentiers battus. ÉC

Widor et Vierne : Messes pour chœurs et orgues
Les Petits Chanteurs du Mont-Royal, Les Chantres musiciens, direction Gilbert Patenaude; Vincent Boucher, grand orgue, Jonathan Oldengarm, orgue de chœur.
ATMA classique ACD2 2718 (63 min 61 s)

Excellent disque que cette nouvelle parution, sur ATMA, de deux messes françaises pour chœur. La Messe solennelle de Louis Vierne est une partition éclatante, aux gestes forts et impressionnants. Quant à la Messe pour deux chœurs de Widor – toute en couleurs et en textures –, elle marie sublimement les magnifiques couleurs de l'orgue avec des harmonisations vocales aérées. Quelques motets de chaque compositeur complètent le programme comme autant de petites douceurs à déguster après le plat principal. On y découvre donc les petits bijoux que sont l'Ave Maria de Vierne et le Tu es Petrus de Widor. Jouissant d'une prise de son équilibrée et claire, cet enregistrement témoigne avant tout de l'engagement et de la musicalité des interprètes. Chapeau à Gilbert Patenaude pour avoir construit une tradition de chant choral exceptionnelle sur le flanc nord du Mont-Royal. Ses choristes chantent ici avec grâce et conviction tout en respectant méticuleusement le caractère sacré et solennel de cette musique. Soulignons de plus les magnifiques couleurs de l’orgue maîtrisées avec soin par Vincent Boucher, aux grandes orgues de l’Oratoire Saint-Joseph, ainsi que le jeu délicat de Jonathan Oldengarm à l’orgue de chœur. Un beau disque qui gagne à être écouté à plusieurs reprises. ÉC

MAHLER 10
Orchestre Métropolitain, direction Yannick Nézet-Séguin.
ATMA Classique, ACD22711

Mettant en vedette l’Orchestre Métropolitain (OM) sous la direction de Yannick Nézet-Séguin, Mahler 10 est le premier enregistrement réalisé par un orchestre canadien de la dernière symphonie de Gustav Mahler. Œuvre inachevée, seul le premier mouvement a été complété par ce dernier. Deryck Cooke a orchestré les autres mouvements en s’inspirant des indications laissées par le compositeur.

L’acoustique exceptionnelle de la Maison symphonique met en valeur la richesse des textures et des harmonies. Ainsi, Nézet-Séguin s’approprie le texte tout en nuances. Avec un caractère résolument moderne, sa lecture de l’œuvre est tournée vers l’exploration du chromatisme et des couleurs postromantiques. Avec une main de maître, il dirige brillamment l’OM : son interprétation raffinée n’a d’égale que la force de l’écriture mahlérienne. Excédant les 75 minutes, l’enregistrement est cohérent et d’une rare clarté. Cependant, les cuivres semblent hésitants dans le dernier mouvement; on peut dire la même chose des bois qui peinent dans les dialogues avec les cordes. L’OM montre donc certaines limites, mais s’exécute généralement avec conviction.

Bref, grâce à son enregistrement de la dernière symphonie de Mahler, Nézet-Séguin confirme sa place parmi les grands chefs d’orchestre contemporains. En reprenant une œuvre phare du XXe siècle, l’OM et son directeur musical offrent un disque de qualité. CDT

La Vallée des Pleurs
Theater of Early Music. Schola Cantorum. Daniel Taylor.
Analekta. AN2 9144. 49 min 43 s

Soucieux de préparer sa mort, un noble de la cour de Dresde a conçu et choisi des textes sacrés pour ses propres funérailles. Il a même fabriqué en secret son cercueil et a inscrit dans le bois quelques versets édifiants. Schütz, qui était l'un de ses proches amis, a composé avec beaucoup de soin une musique admirable qui est reconnue comme l'un des plus beaux Requiem d'avant Bach. Cette fascination résignée face à la mort, loin d'être morbide, est plutôt un hommage émouvant à un très estimable défunt.

Schütz fut l'un des plus grands compositeurs de l'Allemagne d'avant Bach. Vivant à une époque de noirceur à cause de la guerre, il n'avait que peu de moyens à sa disposition. C'est pourquoi il a beaucoup écrit pour la voix. C'est souvent dans une simplicité extrême qu'il livre une musique dénuée de tout artifice. Sobre et usant de beaux effets vocaux et diversifiés, la musique de Schütz est celle du cœur et de l'esprit. Elle va tout simplement à l'essentiel.

De toute évidence, Daniel Taylor adore la voix humaine. Le choix méticuleux des chanteurs qui l'entourent est admirable. Il apporte à ces merveilles vocales une direction sensible, un sens musical empreint d'une profondeur indéniable. Cette vallée des pleurs se transforme en rivière dont la coulée atteint son but, près d'un siècle plus tard, avec la cantate BWV 165 de Bach. La cantate, axée sur le baptême du croyant, se termine sur une exécution limpide et pure, sans doute la plus belle interprétation de cette œuvre discrète du grand Bach. Un disque essentiel que l'on garde près de son cœur. RFA

Felix Mendelssohn. Quatuors op. 44 nos 1-2
Cecilia String Quartet.
Analekta. 2015. AN2 9844. 52 min 20 s

Écrits en 1837-38, les quatuors de l'opus 44 sont des œuvres de maturité de la part d'un jeune compositeur. Avec ces pièces, l'enfant chéri de Leipzig est entré dans la cour des grands. L'auteur du Songe d'une nuit d'été et de la Symphonie italienne semble très à l'aise dans l'écriture exigeante que demande la forme du quatuor.

L'union de cette musique tissée avec soin et le jeu énergique, « tricoté serré », du quatuor de Toronto nous donne l’une des meilleures lectures de la musique de chambre de Mendelssohn. Cet ensemble, hautement estimé à travers le monde, impose ici sa façon d'exalter la musique. Les musiciennes sont d'une rapidité à couper le souffle. Trépidantes et fébriles, elles restent fortement concentrées sur la musique à tous les instants. En fait, elles ne laissent aucun répit à l'auditeur !

L’exécution générale est étonnante. Grâce à leur capacité technique et expressive, elles rehaussent d'un niveau l’écriture de Mendelssohn, qui avouons-le, reste de la musique sans réel pouvoir de vraiment captiver... Felix admirait Ludwig, mais comme bien d'autres, il est resté à une certaine distance de l’indéfinissable et incommensurable Beethoven. RFA

Les Suites pour violoncelle selon Anna Magdalena
Matt Haimovitz
Pentatone/Oxingale Series
PTC 5186 555. 2cds. 134 min 10 s

C'est la deuxième fois que Matt Haimovitz enregistre les fameuses suites. Quinze ans après son premier enregistrement, il dit qu'il ne se reconnaît plus cette version. Les temps changent et les musiciens, comme tout le monde, évoluent. Après avoir longtemps mûri ces œuvres, en écoutant plusieurs disques et différents styles d'interprétation, il a décidé de se concentrer uniquement sur la copie soignée de belle façon par Anna Magdalena Bach, deuxième épouse du cantor. Rassurons-nous tout de suite. Oui, elle a été musicienne. Non, elle n'a pas composé les suites de son époux, comme le prétend un musicologue d’une université australienne.

En fait, la curiosité et l'ouverture d'esprit de Haimovitz envers le manuscrit lui ont permis de déceler certaines indications musicales que les autres éditions ne laissaient pas entendre. Le violoncelliste prétend que ces pages se rapprochent le plus de l'original. Ces indications, bien que mineures, suggèrent au musicien des phrasés et des arpèges bien précis de l'archet sur les cordes... Bien sûr, ces motivations échappent quelque peu au simple auditeur. Au final, il n'y a pas de réelles découvertes, mais une spéculation bien intuitive de la musique. Ne serait-ce alors qu'un prétexte à une nouvelle façon de faire du Bach ? Tout est possible avec ce surdoué du violoncelle.

On a plutôt ici les Suites de Bach selon Haimovitz ! Son jeu flamboyant est à la limite de défigurer la musique de façon presque brutale. Sonorités rugueuses et minérales, attaques fulgurantes, accélérations intempestives, rien n'est à son épreuve pour transformer ces suites en quelque chose de nouveau. Les libertés qu'il prend sont parfois discutables, mais tout de même captivantes. Il n'y a pratiquement rien d'éthéré ou de méditatif dans cette formidable interprétation. Version provocante et audacieuse, celle-ci fera parler d’elle pendant longtemps. On en redemande ! RFA

Chaconne – Voix d’éternité
Ensemble Caprice, Matthias Maute
Analekta AN 2 9132

Avec ce court album, l’Ensemble Caprice explore un répertoire de chaconnes ayant vu le jour au 16e et 17e siècle, par divers compositeurs (Monteverdi, Stefano Landi, Vivaldi et autres), ces pièces alternant avec de brèves et apaisantes polyphonies vocales composées par Matthias Maute sur des textes du poète Angelus Silesius. La matière musicale est ici traitée avec simplicité et peu d’instruments à la fois. La flûte à bec est très utilisée et les amateurs de cet instrument seront ravis par le jeu très virtuose de Matthias Maute et de Sophie Larivière. Dans l’ensemble, voici un album ludique qui joue avec la musique dans une ambiance un peu bon enfant et qu’il fera bon écouter pendant la période des fêtes. Toutefois, l’œuvre la plus substantielle, la fameuse Chaconne BWV 1004 de Bach, dans une transcription pour deux flûtes et basse, n’arrive pas à nous convaincre de la pertinence d’un tel exercice malgré l’interprétation vivante et touchante des musiciens. Les instruments s’échangent ingénieusement les lignes musicales mais le timbre de la flûte ne transmet pas de façon satisfaisante le caractère hautement spirituel et déchirant de l’œuvre. Certainement pas aussi bien que la voix d’un violon. C.R.

Halifax Camerata Singers : A Time for All Things
Artistes : Halifax Camerata Singers, Jeff Joudrey, directeur artistique, et Lynette Wahlstrom, accompagnatrice
HCS1501 (halifaxcamerata.org)

Après le succès de solace : songs of remembrance (2009), l’ensemble Halifax Camerata Singers revient avec un tout nouvel enregistrement d’œuvres chorales contemporaines. Au congrès Podium de 2014, les ensembles Camerata Singers et Pro Coro Canada ont créé There was a Time du compositeur néo-écossais Cy Giacomin. Puisant dans le mémorable passage de l’Ecclésiaste 3 :1-8, la pièce a cappella s’appuie sur des harmonies chromatiques serrées et de multiples signatures rythmiques pour s’achever dans une homophonie inoubliable. Les autres pièces sélectionnées par Jeff Joudrey, directeur artistique et fondateur des Halifax Camerata Singers, reposent sur les thèmes intemporels de l’espoir, de la miséricorde et de la paix. Les 13 morceaux de cet enregistrement ont été composés au cours des 20 dernières années et 6 sont des créations canadiennes. Parmi ceux qui se distinguent, citons Earth Song de Frank Ticheli, The Ground d’Ola Gjeilo et Voices of the Earth du compositeur canadien Mark Sirett (2008). Fruit d’une commande de la Dartmouth Community Concert Association, cette œuvre a été créée par les Camerata Singers. Plusieurs artistes invités, notamment le clarinettiste basse Jeff Reilly, la violoniste Jennifer Jones, la violoncelliste Hilary Brown et le quatuor à cordes Blue Engine de Halifax, viennent agrémenter les voix suaves de cette chorale. Peut-être la pièce la plus originale, Antiphon du compositeur de Halifax Peter-Anthony Togni donne l’impression d’un long solo de clarinette ponctuant un sensuel accompagnement choral. Cet enregistrement arrive à point nommé pour vous aider à traverser les longs mois d’hiver. KVV

Traduction : Véronique Frenette


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