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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 7 juin 2015

YOA Orchestre des Amériques  : Une ONU modèle pour musiciens

Par Crystal Chan / 17 juin 2015

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YOA

Avant de devenir directeur artistique et directeur général de l’YOA Orchestre des Amériques (YOA), Mark Gillespie était le protégé de Rodney Jerkins, le producteur de stars tels Michael Jackson et Lady Gaga. C’est sous sa tutelle que Gillespie a conduit au Top 40 des artistes comme TLC et Brandy. Une fois de retour dans le monde classique à l’Université d’Oslo, le pianiste et compositeur de formation classique s’est senti déçu. Où était le plaisir ? Où se trouvaient les fans ?

« Ça a changé, dit Gillespie, quand j’ai assisté à mon premier concert de l’YOA. J’ai eu l’impression d’assister à un concert de rock plutôt qu’à une symphonie. Les musiciens avaient mon âge et aimaient ce qu’ils faisaient. C’était des gens vrais. »

Un esprit de jeunesse

En 2006, Gillespie a échangé son rôle de gérant d’artistes pop pour celui de mentor auprès des jeunes instrumentistes de l’YOA âgés de 18 à 30 ans–et d’en moyenne 24 ans–provenant de tous les coins des Amériques.

En 2001, lors de la fondation de l’orchestre, « le rêve était de créer un orchestre international qui réunirait les jeunes musiciens les plus talentueux et les plus brillants de l’hémisphère », explique Plácido Domingo, le conseiller artistique de l’orchestre. Cette année, l’YOA a choisi 80 musiciens parmi les mille qui ont auditionné. Aucuns frais de base ou de participation ne sont exigés. En 2009, l’orchestre comptait parmi les premiers à faire des auditions via YouTube. Il en résulte un processus incroyablement sélectif, « équivalent aux admissions à Harvard », explique Gillespie. Carlos Miguel Prieto, le directeur musical de l’YOA, croit que c’est la jeunesse des musiciens et l’exceptionnelle énergie qu’ils dégagent qui alimentent chaque concert. « On ressent cette impression d’une chose qui n’arrive qu’une fois dans une vie. L’orchestre joue de manière à rendre l’expérience inoubliable pour chacune des personnes présentes. »

Prieto dirige également l’Orchestre symphonique national du Mexique et l’Orchestre philharmonique de Louisiane. « Je passe la majeure partie de l’année à travailler avec des orchestres professionnels, explique-t-il, et chacun a son propre rythme. Cet orchestre est différent. »

Pour la plupart des jeunes musiciens talentueux, l’YOA est un billet pour un premier voyage à l’étranger. Ils sont des ambassadeurs; après chaque concert, les musiciens déploient le drapeau de leur pays respectif devant leur lutrin. Au sein de l’orchestre, ils doivent travailler ensemble telles des Nations Unies musicales.

La violoniste saguenéenne Jessy Dubé, qui se produira avec l’YOA en tournée cet été, affirme que jouer avec l’YOA en 2013 l’a aidée à « découvrir que la musique peut former un pont entre les individus ». Elle a appris un peu d’espagnol en tournée, puisque Pietro parle en anglais et en espagnol pendant les répétitions, mais tous deux mettent l’accent sur la rapidité avec laquelle les barrières du langage et de la culture sont franchies. Par exemple, lorsqu’ils jouent du Piazzolla, les Argentins s’occupent d’enseigner le tango.

« Il n’y a aucun projet dans le monde, et surtout dans le monde musical, qui rapproche autant de pays variés pour les mettre sur un pied d’égalité, croit Gillespie. La musique et les orchestres sont uniques dans leur manière de rapprocher les gens avec des bagages différents. Il n’y a vraiment rien d’autre, sauf peut-être une chorale à grande échelle, qui peut avoir jusqu’à 120 personnes apprenant de la musique simultanément. »

« La musique populaire comporte tellement de variantes. Elle n’est pas la même en Argentine, au Canada et en République dominicaine, ajoute-t-il, mais l’orchestre est l’élément commun qui les réunit. »

Prieto convient que « l’orchestre possède une unité que plusieurs organismes professionnels paieraient cher pour avoir. » Ce qu’ils font, d’ailleurs. Plusieurs anciens de l’YOA se produisent maintenant dans des orchestres professionnels.

Un outil instigateur d’une évolution sociale

« Avant l’YOA , explique la corniste Julie Rochus, native d’Aylmer en Ontario, je ne savais pas que la musique classique pouvait être l’instrument d’une évolution sociale. Tout ce que je voulais était avoir un emploi dans un orchestre. »

Rochus est une diplômée de l’Institut pour leaders internationaux de l’YOA. Chaque année, 24 musiciens se voient offrir une place dans l’un des séminaires d’une durée de 9 mois en partenariat avec l’Université d’Oxford. Cette année, l’Université McGill fera aussi partie des partenaires.

Les étudiants apprennent à enseigner dans des conditions précaires et à des élèves variés, puis à devenir des entrepreneurs sociaux. L’YOA croit que ces compétences ne sont pas souvent enseignées dans les conservatoires. Et de nos jours, elles sont vitales.

« L’éducation est un marché en pleine expansion dans le monde musical et peu d’écoles pensent à préparer leurs musiciens de haut niveau à leurs responsabilités et rôles futurs dans ce monde en constante évolution », explique Gillespie.

Cet « investissement social provient des classes populaires », dit Prieto. Les participants doivent faire un stage où ils enseignent la musique, forment de nouveaux professeurs et leaders, lancent des programmes et s’informent sur les problèmes locaux. Comment est-il possible d’obtenir de l’aide lorsque d’un côté du spectre politique se trouve le maire et de l’autre le premier ministre ? Comment convaincre les parents d’inscrire leurs enfants à des activités musicales parascolaires ?

« L’an dernier en Haïti, cet investissement prenait autant d’importance que les concerts, se souvient Gillespie. Cette expérience transforme les musiciens puisqu’ils apprennent que le service social a autant d’impact que leurs réalisations artistiques. » En 2014, l’YOA a envoyé des musiciens dans 23 pays différents, incluant le Canada.

« Lorsque le prochain chapitre de l’histoire musicale sera écrit, on y retrouvera l’orchestre en tant que véhicule de transformation sociale, dit Gillespie. Les rôles se sont complètement inversés en Amérique puisque l’orchestre, historiquement reconnu comme étant au sommet de l’échelle sociale dans la société élitiste européenne, s’est retrouvé tout en bas. »

En 2010, Dubé a joué dans de petits villages dans les montagnes colombiennes. « Nous jouions pour des foules d’environ 2000 personnes, parce que c’était gratuit. Les gens découvraient la musique classique et étaient  vraiment enthousiastes. » L’YOA a d’ailleurs été le premier orchestre à se produire au Belize et en Jamaïque. « Habituellement, à la fin des concerts, nous jouions des chansons provenant d’Amérique du Sud. Et – je garderai toujours ce souvenir–les gens se mettaient à danser et à chanter avec nous. »

« Dans les conservatoires, aucun accent n’est mis sur l’impact de la musique sur la société, sur sa capacité à changer des vies et à créer des liens, dit Gillespie. Cet orchestre [l’YOA] réunit tous les bienfaits de la tradition classique avec les meilleurs aspects de la musique populaire et de sa capacité à rapprocher les gens. Dans les Amériques, le répertoire standard est interprété par de jeunes artistes, par de nouvelles voix, qui possèdent un enthousiasme et une exubérance qui ont été perdus. C’est pourquoi ces concerts se font à guichet fermé alors que d’autres orchestres ne cherchent qu’à survivre. »

Ô Canada : La première tournée

Cette année, 80 musiciens provenant de pays d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud – dont 10 d’origine canadienne – et quelques musiciens d’origine française ont été sélectionnés en partenariat avec l’Orchestre de la Francophonie, un autre ensemble international pour jeunes. Pour la première fois, l’YOA sera en tournée au Canada.

Du 5 juillet au 4 août, l’orchestre se produira dans plus de douze villes. Il débutera par une résidence à Sistema au Nouveau-Brunswick, puis s’arrêtera au Jeux panaméricains de Toronto et dans plusieurs festivals partout au Canada : Stratford Summer Music Festival, Orford, Domaine Forget, Lanaudière, Laurentides, Midsummer Music Festival. L’orchestre se produira également dans les salons de l’auto et dans des salles de concert de haut niveau. À la Maison symphonique de Montréal, l’orchestre jouera la première d’À l’aube, une œuvre du Montréalais Nicolas Gilbert, compositeur en résidence de l’YOA.

Avec des artistes invités tels Vadim Repin, Antonio Meneses, Alain Lefèvre, Ingrid Fliter, Alexandre Da Costa, Serhiy Salov, Hugo Laporte, Ricardo Castro, Jean-Philippe Tremblay, José Serebrier, Jean-François-Rivest et Antonio Delgado, l’orchestre offrira au public des œuvres d’un répertoire varié : la Symphonie no 11 de Chostakovitch, la Symphonie no 9 de Dvořák, le Roméo et Juliette de Prokofiev, la Symphonie no 9 de Schubert. À ces œuvres classiques s’ajouteront des œuvres du répertoire populaire telle Le Hobbit de Howard Shore – et même quelques pièces de Taylor Swift adaptées pour un orchestre.

Un mois après le départ de l’YOA de Jamaïque en 2014, le premier ministre a annoncé que le budget alloué aux programmes de musique parascolaires avait quadruplé. Gillespie explique que « si l’on pouvait augmenter l’intérêt des familles pour la musique, si des politiciens comme Stephen Harper pouvaient se rendre compte que ce ne sont pas seulement des pays comme la Colombie, le Venezuela et le Chili qui peuvent bénéficier de la musique comme outil de développement social, cela pourrait donner des résultats incroyables ».

Sistema Nouveau-Brunswick : Le pouvoir aux préados

Un des garçons ne parlait pas. Il était tellement timide qu’il se recroquevillait sur lui-même pour se protéger, comme un hérisson. Julie Rochus, sa nouvelle enseignante, se demandait de quoi le jeune garçon de huit ans avait peur.

Avant d’enseigner à Sistema Nouveau-Brunswick à l’automne 2014, Rochus, originaire de l’Ontario, n’avait jamais rencontré autant d’étudiants à problèmes. Elle s’est aussi rendu compte qu’elle n’avait jamais enseigné à des jeunes aussi déterminés à réussir. L’enfant qui se roulait en boule ? Au bout de neuf mois, il est devenu son élève vedette, le meilleur joueur de cor français. « Il joue souvent devant la classe, dit Rochus, et il parle à tout le monde maintenant. »

Plusieurs de ses élèves ont un niveau supérieur à celui habituellement associé à leur âge. Cette année, treize élèves de Sistema se sont vu attribuer des places dans l’Orchestre des Jeunes du Nouveau-Brunswick. Le tromboniste principal – 13 ans – et le second joueur de cor – 11 ans – jouent en compagnie de musiciens de niveau universitaire.

Les étudiants du programme chargé de Sistema suivent trois heures de leçons de musique gratuites chaque jour de la semaine, en plus du samedi matin. Basé sur le programme El Sistema vénézuélien qui existe depuis 1975, Sistema Nouveau-Brunswick a commencé à offrir son programme, comprenant six cours par semaine, en 2009, s’attendant à accueillir une vingtaine d’élèves. Même si seuls les élèves de 1re et 2e année étaient admissibles, plus de 180 demandes ont été soumises.

Aujourd’hui, Sistema Nouveau-Brunswick enseigne à plus de 570 enfants à Moncton, Saint-John, Richibucto et sur la réserve Tobique.

« Nous prenons des enfants qui sont laissés pour compte, explique son fondateur, Ken MacLeod. C’est un cercle vicieux qui peut être vraiment destructeur pour les enfants. Et ça peut être intergénérationnel. Le chômage, le sous-emploi, la dépendance, ce ne sont que des conséquences. »

En mars dernier, Sistema Nouveau-Brunswick a gagné le prix du Premier ministre pour le bénévolat en investissement social, décrit comme « transformant profondément la vie des jeunes » et « améliorant leur apprentissage cognitif et académique ».

Les effets positifs sont encouragés par le développement de chorales et d’ensembles pour les parents et d’un programme musical pour les mères avec enfants en bas âge. Une étude effectuée par la province du Nouveau-Brunswick a démontré que 84 % des parents étaient « plus optimistes en ce qui concerne le futur de leur enfant » et 79 % des professeurs et directeurs d’école ont dit que « Sistema augmentait le sentiment d’appartenance des jeunes à leur établissement scolaire ».

« Ce n’est pas la méthode traditionnelle pour l’apprentissage d’un instrument de musique, explique MacLeod. Les enfants sont partie intégrante de l’orchestre dès leur premier jour, alors ils apprennent qu’ils ne peuvent avoir du succès qu’en étant attentifs et disciplinés, qu’en coopérant avec leurs voisins de siège et en jouant comme un tout. Ultimement, l’orchestre est une minisociété où on doit coopérer. Les enfants apprennent ces valeurs : la concentration, la discipline, le respect et la coopération. Ils comprennent qu’ils ont la capacité, en tant qu’être humain, de réussir leur vie. Et c’est de là que l’espoir et les opportunités apparaissent. »

 » Vous pourrez voir les étudiants de Sistema Nouveau-Brunswick et de l’Orchestre des jeunes des Amériques à Pops NB, un concert en plein air d’une durée de trois heures mettant en vedette trois orchestres. Le 10 juillet au centre-ville de Moncton. www.sistemanb.ca

Traduction :Claudie Provencher et Michèle Duguay

 » Pour le programme complet de la première tournée canadienne de l’YOA – du 5 juillet au 4 août – voir notre guide des festivals d’été. Pour plus d’information sur l’Orchestre des jeunes des Amériques et Sistema Nouveau-Brunswick, visitez www.yoacanada.org et www.yoa.org.


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