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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 6 avril 2015

Mathieu Lussier : De bassoniste à chef d’orchestre

Par Caroline Rodgers / 1 avril 2015

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Mathieu Lussier

Mathieu Lussier fait partie du paysage musical québécois depuis longtemps comme bassoniste. Mais depuis quelques années, le chef d’orchestre en lui prend de plus en plus d’importance. En mai, il dirigera les Violons du Roy pour le premier opéra mis en scène par Denys Arcand, Zémire et Azor, à la Maison symphonique.

La découverte du basson

L’histoire de la rencontre entre Mathieu Lussier et son instrument est plutôt attendrissante. À douze ans, ce natif de Montréal voulait absolument être admis à l’école Pierre-Laporte, qui offrait à l’époque un programme musical très étoffé. Plusieurs de ses amis fréquentaient cette école et il s’intéressait à la musique.

« Je jouais déjà du piano, mais la compétition était très forte, se souvient-il. Sur la brochure de l’école, il était mentionné que l’on recherchait particulièrement des candidats pour le basson et le cor français. Je ne connaissais ni l’un ni l’autre. J’ai regardé leurs photos dans le dictionnaire et j’ai mis le basson comme second choix d’instrument dans ma demande d’admission. Je crois qu’ils n’ont pas dû vraiment écouter mon audition de piano. Ils devaient se dire : enfin, on en tient un ! C’est comme ça que je me suis retrouvé avec un basson dans les mains. »

À douze ans, ses mains étaient trop petites pour jouer du basson, mais il était bien déterminé à apprivoiser cet instrument.

« Le basson n’est pas très attirant pour les jeunes et souvent, les professeurs dans les écoles secondaires ne savent pas comment l’enseigner. Le système de doigtés a probablement été inventé par un psychopathe tortionnaire ! Il n’est pas du tout facile. Le pouce gauche doit pouvoir actionner neuf ou dix clés différentes. Mais j’ai eu la chance d’avoir un professeur formidable, qui s’appelait Andrée Lehoux. C’était une femme très inspirante qui a su me faire apprécier cet instrument rapidement et m’a donné le goût de persévérer en m’éveillant à ses possibilités. »

Par la suite, il est entré au Conservatoire de musique de Montréal. Après ses études, il a obtenu ses premiers engagements comme pigiste avec les orchestres symphoniques de Laval, de la Montérégie et de Trois-Rivières. Mais le moment le plus déterminant de son parcours, c’est sa rencontre avec l’Orchestre baroque de Montréal, ensemble dirigé par Joël Thiffault qui a cessé ses activités aujourd’hui.

« Joël Thiffault était une personnalité excessive, mais un musicien immense, dit Mathieu Lussier. L’orchestre se dédiait au répertoire classique et baroque, mais sur instruments modernes. J’aimais ce répertoire et nous avons donné des concerts qui m’ont marqué à un âge où l’on est encore malléable. Quand l’orchestre est passé aux instruments anciens, je me suis mis à apprendre le basson baroque. Ça m’a donné une sorte d’étiquette de spécialiste du baroque et du classique et j’ai ensuite joué au sein d’ensembles comme Tafelmusik et l’Orchestre baroque de Cleveland, entre autres. »

Avec le temps, il a donc délaissé la pige avec les orchestres modernes pour se spécialiser dans la musique ancienne. Il a joué pendant quelques années avec Arion orchestre baroque et a été directeur artistique du Festival de musique baroque de Lamèque, au Nouveau-Brunswick, pendant sept ans.

Chef d’orchestre

Aujourd’hui, Mathieu Lussier est avant tout actif au sein des Violons du Roy en tant que bassoniste et chef associé. Il est aussi membre du quintette à vent Pentaèdre, qui fêtera ses trente ans cette année, et professeur à l’Université de Montréal depuis peu.

« L’idée de mon poste, aux Violons du Roy, n’est pas de remplacer qui que ce soit, mais de représenter un repère pour le public, dit-il. Je dirige des concerts, mais je participe aussi aux activités corporatives et jeunesse de l’ensemble. La saison prochaine, je dirigerai quatre programmes et cette saison, je dirige la tournée américaine avec Marc-André Hamelin. Je vais rester avec eux encore plusieurs années. »

Cet automne, il fera ses débuts à l’OSM dans un concert jeunesse.

« Je ferai aussi mes débuts avec l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières et l’Orchestre symphonique de Sherbrooke prochainement. Je suis très heureux que mon travail avec les Violons du Roy m’ait amené à être invité par d’autres orchestres québécois, notamment pour sensibiliser leurs publics à la musique baroque. Je vois mon travail de chef d’orchestre avant tout comme celui d’un communicateur. »

Zémire et Azor

Le projet de présenter l’opéra Zémire et Azor, de Grétry, est né de l’imagination de Mathieu Lussier.

« Il y a quelques années, j’avais dirigé Acis et Galatée, de Haendel, au Palais Montcalm, et cela avait été plutôt bien reçu. On avait travaillé en collaboration avec les jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal et ça avait été une belle expérience que l’on souhaitait renouveler. »

Le bassoniste éprouve un amour particulier pour la musique française de la fin du XVIIIe siècle et connaissait le nom de Grétry pour avoir joué une de ses pièces au basson pendant ses études. Mais comme plusieurs d’entre nous, il a découvert l’existence de Zémire et Azor grâce au film L’Âge des ténèbres de Denys Arcand, où l’on entend Du moment qu’on s’aime, un air de l’opéra chanté par Rufus Wainwright dans la séquence d’ouverture.

« J’ai trouvé cela magnifique et j’ai acheté l’œuvre complète. Je me disais que ce serait formidable de le faire avec l’Atelier lyrique, mais comme ce n’est pas une œuvre connue et qu’il faut bien vendre des billets, il était peu probable que mon souhait se réalise. Par pur hasard, quelques mois plus tard, je me suis retrouvé dans un souper assis en face de Denys Arcand, que je ne connaissais pas. Je lui ai demandé pourquoi il avait inclus cet air de Grétry dans son film et il m’a dit qu’il aimait, lui aussi, la musique de la fin du XVIIIe. On a parlé de cette époque toute la soirée. »

Le même soir, Mathieu Lussier a demandé à Denys Arcand s’il n’avait jamais été tenté par la mise en scène d’opéra.

« Il m’a confié que les conditions de l’opéra n’étaient pas idéales pour lui, parce qu’il n’y a pas assez de temps de répétition, et que le metteur en scène choisit rarement les chanteurs. En revenant à la maison, j’ai réécouté Zémire et Azor en me disant que Denys Arcand pourrait bien être la clé. Alors je l’ai appelé et je lui ai proposé qu’on le fasse ensemble dans des conditions qui lui conviendraient mieux, en prenant tout notre temps pour travailler. Il a dit oui. »

En associant Zémire et Azor au nom de Denys Arcand, les Violons du Roy tenaient désormais un sésame capable de leur ouvrir bien des portes, dont celles de la visibilité dans les médias.

« C’est l’histoire de La Belle et la Bête, que tout le monde connaît par les films de Jean Cocteau ou de Disney. La musique de Grétry s’approche de l’esthétique de Mozart et de ses opéras. C’est très imagé, divertissant, contrasté et efficace, avec une certaine légèreté. Le spectacle dure un peu moins de deux heures sans que l’on ait eu besoin de couper. »

Ils travaillent au projet depuis juin dernier.

« Nous avons décidé de transformer le texte parlé original en récitatifs, que j’ai composés, pour lier les différents airs. Il y aura des éléments de décors, des costumes, des danseurs. Ce sera plus que du demi-scénique. L’orchestre sera sur scène et fera partie de l’action. La mise en place de tout cela se fait très naturellement. Pour Denys Arcand, la musique doit être au premier plan et bien servie. »

Les rôles de Zémire et Azor seront interprétés par la soprano Florie Valiquette et le ténor Jean-Michel Richer.  

Quelques concerts à venir
•  Violons du Roy. Zémire et Azor, La Belle et la Bête. Le 23 mai, Maison symphonique (Montréal), www.violonsduroy.com ; le 27 mai, Salle Raoul-Jobin (Québec), www.violonsduroy.com.
•  Mozart à Paris. Avec Valérie Milot, harpe. Le 5 juin, 19 h 30, salle Bourgie. www.sallebourgie.ca
•  Les Quatre Saisons de Vivaldi. Le 13 septembre, 14 h, Palais Montcalm. www.violonsduroy.com
•  Les concertos pour orgue de Haendel. Avec Geneviève Soly et Thomas Annand, orgue. Les 19 novembre, 20 h, et 22 novembre, 14 h, Palais Montcalm.
•  Orchestre symphonique de Montréal. Concert Orchestre de la Planète X pour la famille avec œuvres de Copland, Joplin, Williams et comédiens dans le rôle d’extra-terrestres. Le 4 octobre, 13 h 30, Maison symphonique. www.osm.ca
•  Pentaèdre. Concert L’influence germanique, 1er mai, 19 h 30, salle de concert du Conservatoire de musique de Montréal. www.pentaedre.com
•  Bataclan ! Société ProMusica, 3 mai, 15 h 30, salle Bourgie. promusica.qc.ca


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