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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 5

Jazz : Musiques d’hiver (et diverses)

Par Marc Chénard / 1 février 2015

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Rufus Reid
Rufus Reid

Après les froids sibériens de janvier et les longues nuits de février, on peut toujours compter sur mars et ses premières poussées de chaleur pour nous dégourdir des torpeurs hivernales. Pour marquer l’arrivée de la prochaine saison et ses jours plus cléments, deux événements musicaux contribueront à la cause : le Festival de la Nouvelle Trompette (voir article en bas) et Jazz en rafale.

Quinze ans déjà ! Une édition anniversaire, ça se fête bien entendu et Jazz en rafale s’y investit à fond avec une programmation musicale à l’intersection du jazz traditionnel et moderne.Selon sa coutume, l’événement se déroulera en deux tranches, la première coïncidant avec l’équinoxe du printemps (jeudi 19 au samedi 21), la seconde du 26 au 28. Fidèle à sa vocation, le festival mise autant sur la participation de grosses pointures internationales que sur la présentation de talents émergents, certains d’ailleurs et d’autres bien de chez nous.

Des concerts à l’affiche, l’un se démarque par son envergure, soit celui de l’Effendi Jazz Lab avec invité spécial, l’éminent contrebassiste américain Rufus Reid (samedi 21 à l’Astral de la Maison Rio Tinto Alcan). Cette formation emblématique de l’étiquette montréalaise, variant de sept à neuf musiciens, doublera ses effectifs avec le concours des membres de l’ONJ–Montréal pour interpréter une œuvre ambitieuse en six tableaux de son invité. Intitulée Quiet Pride (voir référence discographique en fin d’article), cette suite tire son inspiration de sculptures créées par l’artiste afro-américaine Elizabeth Catlett, décédée en 2012 à l’âge de 97 ans. L’écoute du disque permet de comprendre qu’un tel projet orchestral ne peut que provenir d’un homme d’une grande expérience.

Ce grand concert n’est cependant que la pointe de l’iceberg. En effet, le festival pourra compter sur la présence de solides artisans de la note bleue, dont le volubile saxo Donny McCaslin en soirée d’ouverture (le 19). Accompagné par le magnifique bassiste Scott Colley et le non moins excellent batteur Jonathan Blake, ce solide ténor de jazz moderne évoluera dans la formation la plus prisée par tout joueur d’anches : le trio sans piano. Le lendemain (le 20), ce sera au tour de l’altiste israélien Tevet Sela (récemment établi chez nous et auteur d’un disque chez Effendi) de croiser le fer avec un de ses compatriotes, le guitariste Gilad Hekselman qui, lui, réside dans la Grosse Pomme.

Pour entamer la seconde tranche, le 26, ce sera au tour du pianiste italien Enrico Pieranunzi de revenir chez nous après une bonne dizaine d’années d’absence. Il sera accompagné d’une rythmique locale, soit Fraser Hollins (cb.) et Richard Irwin (btr.). Le 27, on pourra découvrir Maxime Bender, jeune saxo montant luxembourgeois (eh oui, il y a du jazz au paradis fiscal de Juncker). Bender partagera les honneurs de cette soirée avec un ancien de chez nous, Karl Jannuska, établi dans la Ville Lumière depuis belle lurette, et sera accompagné, entre autres, par un proche collègue, le guitariste Michael Felberbaum. La soirée de clôture (le 28) est réservée à Michel Cusson, seul sur scène avec l’arsenal de guitares qu’on lui connaît. Ce membre d’Uzeb, porte-étendard de la fusion made in Québec des années 1980, a été désigné par les organisateurs comme porte-parole officiel de cette édition. Signalons enfin que la pianiste rimouskoise Emie Roussel lance son disque le même soir au Bar Upstairs, mais elle aura un invité, un saxo ténor breton d’origine malgache, Maxence Ravelomanentsoa.

En plus de ces concerts-vedettes, mention doit être faite du concours annuel de la relève, volet non le moins important de l’événement. L’an dernier, le quartette JAGG a raflé les honneurs, lui donnant l’occasion d’enregistrer son premier disque pour Effendi et de le lancer en ouverture du spectacle du Jazz Lab. À la tombée rédactionnelle, la période de soumission de candidatures se terminait tout juste et les trois groupes finalistes (qui joueront les 19, 20 et 26 respectivement ) seront annoncés sous peu.

Comme moult événements artistiques de chez nous, le festival a mis sur pied une campagne de socio-financement, les détails étant affichés sous l’onglet « Don » dans son site Web : www.jazzenrafale.com

Pistes d’écoute :
 » Donny McCaslin – Recommended Tools (Greenleaf 2008)
 » Rufus Reid – Quiet Pride (Motema 2014)
 » Maxime Bender Orchestra – Path of Decision (Laborie Jazz 2014)
 » Jagg – Mercure (Effendi 2015)
 » Emie Roussel – Quantum(Effendi, 2015)

 

Trompettes en rappel

Décidément, les trompettistes sont en saison... Après la manne de nouveautés présentées dans le dernier numéro, ces instrumentistes seront mis en vedette le mois prochain. Inauguré l’an dernier à pareille date, le Festival de la nouvelle trompette (ou FONT de son acronyme anglais) se déroulera du 12 au 15 mars, les deux premières soirées au café Résonance, les suivantes au 185, rue van Horne, angle de l’Esplanade. À raison de deux ou trois groupes par soir, des musiciens québécois, canadiens et même quelques Américains seront au rendez-vous. Musiques actuelles, jazz et même un volet de musique contemporaine sont inscrits au programme de cet événement situé aux confins des styles.

Parmi les vedettes, signalons l’éminente Canadienne Ingrid Jensen, dont nous avons parlé à deux reprises l’an dernier. Elle se produira dans un quartette inédit comprenant aussi le réputé Ben Monder (guitaristes, prenez note). De Montréal, l’Altsys Jazz Orchestra mettra bien en évidence sa section de cuivres, Bill Mahar en tête, ou encore le spectaculaire chef de section Jocelyn Couture. Ellwood Epps, l’une des âmes dirigeantes du festival, fera son numéro actuel au sein du trio d’improvisation Pink Saliva. À noter aussi, le volet « contemporain » sera représenté par Amy Horvey (désormais à l’OSM) et Frédéric Demers, qui jouera en reprise une œuvre avec dispositif électronique, créée ce mois-ci au Festival MNM.

Pour les musiciens en herbe, l’événement organise deux ateliers en marge du festival, les détails n’étant pas finalisés à la tombée. Le samedi 6 février, le festival tiendra un concert bénéfice au 185 rue Van-Horne, incluant projection de film performances musicales. Consultez le lien ci-dessous pour les lieux et heures de toutes ces activités.

 » Programmation complète en ligne : fontmusic.org/upcomingevents/canada


Ambiances de fin d’année

Ces dernières années, l’étiquette Ambiances magnétiques a lancé une poignée de nouveaux titres à la mi-décembre. Trois groupes ont donné des mini-récitals pour souligner l’occasion. Deux d’entre eux font l’objet de la présente chronique.

Trio Évidence–Monk Work–AM 218

Écouter la musique de Monk, c’est comme fréquenter un vieil ami. Jadis perçues comme étranges, ses pièces nous sont pourtant familières aujourd’hui. Et lorsqu’elles sont reprises par trois connaisseurs comme Jean Derome (saxos alto et baryton), Pierre Cartier (b. él.) et Pierre Tanguay (btr.), l’amitié est scellée. Voici donc leur troisième opus (14 ans plus tard !) avec 11 bijoux du maître. Two Timer, par exemple, n’a jamais été interprété par son compositeur, du moins sur disque, mais se retrouve dans le cahier de ses pièces. Dreamland, en revanche, semble être de sa plume (si l’on se fie à la biographie exhaustive de Robin Kelly), mais aucune partition n’en existe, juste une couple d’enregistrements. Cela dit, nos trois lascars frappent dans le mille ici, car ils comprennent parfaitement la prescription du maître : « N’improvisez pas sur les harmonies de mes pièces, mais sur les mélodies ! »

Klaxon Gueule–Pour en finir–AM 221

Trio qui abonde dans la musique improvisée pure et dure, Klaxon Gueule conjugue les talents de Michel-F Côté (perc.), Bernard Falaise (gtr.) et Alexandre St-Onge (b. él.). Leur musique éclatée évite toutefois le plus grand écueil du genre : le bavardage. Comme les trois se côtoient depuis vingt ans, ils ont développé une chimie de groupe, d’où la remarquable concision des pièces (14 en moins de 41 minutes). Les rôles entre soliste et accompagnateurs s’effacent alors que l’électronique redéfinit les sonorités instrumentales, celles du guitariste en particulier. Cette formation propose une série de microclimats exploités à bon escient. Il va sans dire, leurs expériences partagées jouent pour beaucoup dans la réussite de cet album. www.actuellecd.com

Vertical Squirrels–Time of the Sign–Am 221

Nouveau venu chez Ambiances, le sextette torontois Vertical Squirrels propose une musique à la fois inusitée et familière. Difficile à décrire cette proposition, sinon qu’il s’agit d’une musique largement improvisée dans sa réalisation, mais ancrée dans ses procédés. Des zones harmoniques à forte saveur tonale se font entendre dans la majorité des pièces (13), des ostinatos rythmiques s’insinuent constamment (émanant surtout du piano d’Ajay Heble, autrement connu comme directeur artistique du festival de Guelph). Cordes et percussions dominent ici, auxquelles s’ajoutent six invités, dont ô surprise ! la saxophoniste et flûtiste Jane Bunnett, effectuant ici une de ses rares sorties de son terrain habituel, le jazz latin. Faute d’un meilleur descriptif, on qualifiera leur démarche d’« improvisation mondialiste », dans laquelle chaque participant se met au service de l’ensemble plutôt que de s’affirmer devant le groupe (comme dans le jazz). Pour l’originalité, il y a de quoi les féliciter; quant au contenu, on sent qu’ils se cantonnent un peu trop dans leurs procédés.


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