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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 5

Alexander Brott - le créateur

Par Boris Brott / 1 février 2015

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Alexander & Boris Brott
Alexander Brott avec son fils Boris.

Alexander Brott, dont nous célébrons le centenaire de naissance en 2015, était d’abord et avant tout un créateur. Il est considéré comme l’un des compositeurs les plus importants et les plus prolifiques du Canada, et ses œuvres ont reçu des éloges de la critique, des chefs d’orchestre et du public. Sir Thomas Beecham, Leopold Stokowski, Igor Markevitch, Désiré Defauw, Sir Malcolm Sargent et Otto Klemperer étaient parmi les chefs d’orchestre de renommée internationale qui ont défendu ses œuvres lors de tournées dans des centres musicaux importants en Europe et aux États-Unis, alors que le Canada en était à ses premiers balbutiements dans le monde de la musique. Ses œuvres ont remporté de nombreux prix, dont deux médailles olympiques, à Londres en 1948 et à Helsinki en 1952, la médaille d’or Sir Arnold Bax en 1963, qui le sacrait Compositeur du Commonwealth, le prix Elizabeth Sprague Coolidge en 1939 et 1941 et le prix Lord Strathcona du Royal College of Music de Londres, qui lui permettait d’aller étudier la composition avec Ralph Vaughn Williams. Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale a éclaté.

Alexander Brott était persuadé que ses œuvres lui survivraient. Il croyait aussi en ses collègues compositeurs et à l’importance de leur donner l’occasion de faire connaître leurs œuvres. Membre fondateur de la Ligue des compositeurs canadiens, il a été parmi les premiers chefs d’orchestre à présenter des compositeurs canadiens lorsqu’il jouait comme chef invité à l’étranger, et à créer plus tard un programme de commande pour l’Orchestre de chambre McGill, qui a vu au moins une œuvre commandée chaque saison par la Fondation Samuel Lapitsky. C’était avant la création du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des arts et des lettres du Québec et du Conseil des arts de Montréal.

Sa biographie, My Lives in Music, publiée par Mosaic Press (et qui vient juste d’être publiée en français par les éditions Creff) répertorie 98 œuvres originales, sans compter ses nombreux arrangements, ainsi que la musique qu’il a composée pour le Playhouse Theatre, qui diffusait régulièrement sur CBC les drames produits par Rupert Caplan.

En tant que son fils aîné et chef d’orchestre moi-même, j’ai eu l’honneur et le plaisir d’assister aux premières loges depuis mon plus jeune âge à son processus de création et, plus tard, d’interpréter ses œuvres avec les orchestres dont je fus le directeur musical : la CBC Winnipeg, Northern Sinfonia of England, BBC National Orchestra of Wales, New West Symphony, Los Angeles, Hamilton Philharmonic, Symphony Nova Scotia, Thunder Bay Symphony, Regina Symphony, l’Orchestre académique national du Canada et l’Orchestre du Centre national des arts. Je continue encore aujourd’hui à présenter ses œuvres dans un concert annuel avec l’Orchestre de chambre McGill et je mets souvent ses œuvres au programme lorsque je suis invité comme chef tant au Canada qu’à l’étranger.

Mon père a consacré sa vie à la créativité. Il a traduit ses premières expériences de l’enfance dans des dessins détaillés et mis la poésie de Wordsworth et Tennyson en musique. Jusqu’à la fin de sa vie, il a été fasciné par le pouvoir de donner vie à des idées. Il a écrit de la poésie et conçu et créé des pièces de joaillerie extraordinaires avec des pierres semi-précieuses. À 90 ans, quand il est tombé malade, il m’a rappelé qu’il devait encore compléter deux concertos pour violon que l’Orchestre de chambre McGill lui avait commandés.

Son premier professeur de composition fut Dean Douglas Clark, qui l’a encouragé à penser à la poésie anglaise, sa symbolique et sa liberté. Clark l’a encouragé à poursuivre la composition en même temps que le violon et l’a parrainé pour qu’il puisse obtenir un diplôme de Juilliard. Comme il disait : « Les violonistes sont légion, les compositeurs sont rares. » De l’autre côté, son professeur de violon, le virtuose belge Maurice Onderet, encourageait la discipline. Le jeune Alexander a pioché dans toutes ces influences de jeunesse et a décidé que son écriture devait avoir cette qualité d’« implication contrôlée » qui caractérise la production musicale de mon père durant ces quelque 78 années d’écriture.

Dès ma plus tendre enfance, notre maison a toujours été remplie de musique. En fait, ma mère Lotte (une superbe violoncelliste et excellente organisatrice), mon père et moi avons vécu dans le salon de mes grands-parents pendant les sept premières années de ma vie.

La production musicale de mon père peut être divisée en trois périodes, chacune possédant ses propres caractéristiques. Ses premières compositions de jeunesse sont des œuvres majeures pour orchestre : Two Symphonic Movements « Veritas », War and Peace, From Sea to Sea, Spheres in Orbit, the Concertino for Violin, Oracle, Arabesque, Concordia, Profundum Praedictum, Songs of Contemplation sont toutes des œuvres très descriptives et tonales, illustrant toute la panoplie de la couleur orchestrale. Dans les années 1950, il a été fasciné par la musique atonale de la seconde école de Vienne et a cherché à adopter et à reproduire cette technique dans des œuvres comme Analogy in Anagram, Triangle, Circle Four Squares and Mutual Saluation Orgy et Delightful Delusions. Les titres contenaient de moins en moins de références musicales et portaient plus d’attention à la construction de jeux de mots.

Dans ses dernières années, il est retourné au caractère descriptif de ses premières créations et a cessé ses excursions dans le monde de l’atonalisme avec des œuvres comme My Mother, My Memoriam, Papageno Revisited, Prisms et Millennium Sinfonietta.

Un élément sous-jacent et récurrent de son style de composition était le style « question et réponse », un thème posé, immédiatement réfuté par son contraire ou une reprise du même thème. Également caractéristique de son style, l’utilisation de mélismes brodés, presque sacrés, bien qu’il eût vigoureusement nié tout arrière-plan religieux au centre de ses compositions.

Alexander Brott était fier d’être canadien, et beaucoup de ses compositions dépeignent l’influence de la terre et de la nature. Ses œuvres sont parsemées de chansons folkloriques canadiennes et de nombreuses citations de l’hymne canadien. Bien qu’il ait vécu toute sa vie en ville, c’était la campagne qui le touchait le plus. Cela s’entend particulièrement dans ses œuvres de jeunesse, comme From Sea to Sea, Royal Tribute, Concordia, Oracle et Spheres in Orbit.

Durant sa vie, il y a eu trois étapes importantes : le bicentenaire de Beethoven, où il a pris connaissance des carnets de Beethoven, a donné lieu à Seven Minuets and Six Canons. Le fragment d’un canon donné par l’historien Laurence Lande, qui avait été offert en cadeau par Beethoven au professeur de musique québécois Théodore Molt, a inspiré la composition de Paraphrase in Polyphony.

Le centenaire du Canada et les Jeux olympiques canadiens à Montréal ont inspiré E dai p milo (« Olympiade » épelé à l’envers) ainsi que La Corriveau, deux œuvres majeures, et la marche nuptiale Double Entente, qu’il a écrite pour mon mariage et celui de mon frère.

De la conquête de l’espace, du premier Spoutnik au premier pas de l’homme sur la lune, résultent les pièces Spheres in Orbit et Three Astral Vision. Le dévouement porté par Alexander Brott aux jeunes et à l’enseignement a marqué sa vie. Il était un communicateur né et rien ne valait un public de jeunes esprits assoiffés de savoir. Il a été un professeur de composition à l’Université McGill pendant plus de 35 ans. Il a écrit plusieurs œuvres pour les concerts de mes enfants au Centre national des Arts, y compris The Emperor’s New Clothes et How Thunder and Lightning Came to Be. Il a créé Les Jeunes Virtuoses de Montréal, ce qui à mon tour m’a amené à créer l’Orchestre académique national du Canada, où il a été compositeur en résidence pour un certain nombre d’années.

Mon père était un universaliste et sa musique le traduit, ça et son sens de l’humour. Il avait pleinement conscience du passage du temps et comprenait où était sa place. Sa musique en est le reflet et c’est ce qui la rend pertinente aujourd’hui.

Traduction : Eric Legault


L’Orchestre de chambre McGill célèbre le 100e anniversaire d’Alexander Brott. Les œuvres présentées comprennent Mini Minus et Sept for Seven, et l’orchestre sera dirigé par Boris Brott. Le 24 février, salle Bourgie. www.ocm-mco.org.


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