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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 5

Cléo Palacio-Quintin : Quand les gestes et la machine se parlent

Par Brigitte Des Rosiers / 1 février 2015

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Cléo Palacio-Quintin

Si la musique de la flûtiste et compositrice Cléo Palacio-Quintin s’appuie sur des calculs savants ou sur une technologie complexe, c’est pourtant à une musique incarnée et sensuelle qu’elle nous convie au prochain festival Montréal/Nouvelle Musique. Présence importante pour une première apparition au festival, car on entendra trois de ses compositions; mais la thématique de cette nouvelle édition « environnement et technologie » ne pouvait mieux faire écho au travail de cette artiste hors normes.

Première femme diplômée au doctorat en électroacoustique de l’Université de Montréal, Cléo Palacio-Quintin surprend par son éclectisme. Interprète confirmée, performeuse, improvisatrice, elle fait assurément partie des geeks, ces bidouilleurs de technologie qui forment le milieu encore très masculin de la musique électroacoustique.

Pendant sa maîtrise en flûte classique à l’Université de Montréal, Cléo Palacio-Quintin prend des cours avec le flûtiste Robert Dick qui aura une profonde influence sur son parcours : « Sans lui, dit-elle, je ne ferais peut-être plus de musique ». Grand virtuose, Dick a révolutionné la flûte en développant de nouvelles techniques de jeu qui en augmentent les possibilités sonores. Les intentions de la jeune compositrice se précisent : « C’est le désir de découvrir de nouveaux sons qui m’a conduit naturellement vers l’électroacoustique ».

Elle part donc étudier à l’Institut de sonologie du Conservatoire de La Haye où elle conçoit sa première hyper-flûte. Peu après son retour des Pays-Bas, elle s’inscrit au doctorat à l’Université de Montréal avec Jean Piché et Marcelo Wanderley du Centre interdisciplinaire de recherche en musique, médias et technologie(CIRMMT)de l’Université McGill. Pendant cette période, elle travaille à la création d’un répertoire d’œuvres pour la flûte basse augmentée dont elle vient d’élaborer le prototype. À la suite d’une résidence à la Chapelle historique du Bon-Pasteur de 2009 à 2011, son travail sera récompensé en 2012 par un prix Opus « compositeur de l’année » décerné par le Conseil québécois de la musique.

Sur scène, Cléo Palacio-Quintin semble œuvrer au sein d’un bloc opératoire, sa flûte étant branchée par de multiples fils à une sorte d’engin respiratoire–l’ordinateur–qui lui resouffle les sons captés et transformés. Hyper-flûte (ou flûte augmentée), traitement du son en direct et musique interactive constituent les assises techniques de son élan créateur en plus de l’improvisation avec laquelle elle s’est familiarisée dès son plus jeune âge en jouant dans des ensembles de jazz.

Dans un article qu’elle écrit pour la revue Circuit1, la compositrice inscrit sa démarche dans une jeune tradition où « l’ordinateur est invité à participer activement à la création en direct de l’œuvre ». On parle alors de musique interactive. Il lui est cependant primordial, comme interprète, de pouvoir contrôler la synchronisation des sons électroacoustiques qui lui sontrenvoyés : « [L]e choix de recourir au geste instrumental, pour lequelj’étais déjà une experte, allait de soi pour parvenir à mes fins », écrit-elle.

Il s’agit pour cela d’installer des capteurs en différents points de la flûte qui saisiront les gestes de l’interprète transformés en données numériques puis transmis à l’ordinateur. À chacun des gestes est assigné un effet sonore que l’ordinateur renvoie à l’interprète qui réagit à son tour. Le geste utilisé « comme élément de communication avec la machine » permet de déclencher l’accompagnement électroacoustique.

Si la compositrice décrit clairement ses processus techniques, elle est peu encline à intellectualiser son rapport à la musique ou à produire un discours esthétisant sur son œuvre : « Ma musique est sentie et organique, elle vient du souffle et du geste musical. » L’on se contentera de cette brièveté, du reste inspirante. Pour Marie-Chantal Leclair de l’ensemble Quasar, la poésie imprègne toute l’œuvre de Cléo Palacio-Quintin : « C’est un esprit indépendant et libre, elle suit sa voie et ne s’embarrasse pas des modes et des tendances. Poésie, intériorité, intimité et profondeur : si elle utilise souvent la technologie, c’esttoujours au service du propos musical. » Cléo Palacio-Quintin intègre plusieurs poèmes dans ses compositions ainsi que la vidéo qui subit le même traitement en direct pour créer un environnement multimédia enveloppant.

En plus de ses propres œuvres, Cléo Palacio-Quintin interprète la musique d’autres compositeurs à qui elle passe des commandes. Elle écrit aussi pour une diversité d’ensembles de musique de chambre avec intégration ou non de l’électroacoustique. En plus de composer, Cléo Palacio-Quintin travaille activement à faire connaître la jeune scène de musique nouvelle : elle a produit de nombreux concerts de la relève lors de son mandat comme directrice à la société de concerts Codes d’Accès de 2004 à 2007, elle est membre du groupe Le Vivier et travaille actuellement pour l’ensemble de musique improvisée SuperMusique.

Les 2 et 6 mars prochain, trois de ses œuvres seront jouées à l’édition 2015 du festival Montréal/Musique Nouvelle, Il y aura deux créations : Le sens de l’ombre, une œuvre/installation pour violon solo avec traitement audionumérique, projections d’ombres et vidéos interactives interprétée par la violoniste Nadia Francavilla, ex-membre du quatuor Bozzini, et Fluctuations électroniques, joué par l’ensemble de musique contemporaine israélien Meitar. Cléo Palacio Quintin reprendra en outre l’interprétation de sa composition Synesthesia 4 : Chlorophylle pour hyper-flûte et vidéo interactive inspirée d’un poème de Jessica Vigneault.

(1) Cléo Palacio-Quintin (2012) : « Composition interactive : du geste instrumental au contrôle de l’électronique dans Synesthesia 4 : Chlorophylle », Circuit, vol. 22, no 1, p. 25-40.


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