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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 3 novembre 2014

Les adieux d’Iwan Edwards

Par Kristine Berey / 1 novembre 2014

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Iwan EdwardsDepuis son arrivée à Montréal, il y a près d’un demi-siècle, le chef de chœur et professeur Iwan Edwards a énormément enrichi la scène musicale montréalaise.

En effet, l’éminent chef d’origine galloise a accumulé de nombreux prix et distinctions au cours de sa carrière, dont l’Ordre du Canada. Son plus grand legs ? Le nombre impressionnant de chœurs exceptionnels qu’il a créés et, le moment venu, quittés. Mentionnons, entre autres, le Chœur Saint-Laurent (créé en 1972), le FACE Treble Choir (fondé en 1981 à la demande de Charles Dutoit, qui dirigeait alors l’OSM), le Chœur de chambre canadien (1999) et le Chœur de l’OSM (qu’il a dirigé de 1986 à 2007 et dont le noyau amateur était le Chœur Saint-Laurent).

Cette année marque ce que le dynamique chef appelle « la rupture la plus difficile », car il s’apprête à quitter Concerto Della Donna (CDD), formation qu’il a fondée en 2000. Cet ensemble unique, composé de 18 jeunes femmes, est dédié à la beauté de la voix féminine et présente des pièces composées par des femmes. Bon nombre d’entre elles avaient déjà chanté avec M. Edwards à l’adolescence, au FACE Treble Choir.

« De tous mes groupes, c’est celui avec lequel j’ai entretenu les liens les plus étroits », dit le chef. Il s’estime privilégié d’avoir pu travailler avec Concerto Della Donna, et aussi avec I Medici di McGill, un orchestre formé de médecins et d’étudiants en médecine qu’il dirige depuis 14 ans. « Ce sont deux groupes dotés d’une éthique de travail incroyable, explique-t-il. À chaque répétition, ils s’engagent à fond. »

Concerto Della Donna présente quatre grands concerts par année. « Chacune des choristes s’investit au moins à 100 % », souligne-t-il. Lorsqu’il parle d’interprétation, M. Edwards insiste sur l’importance du texte. Il trouve que certains chefs tendent à oublier la primauté des mots. « J’essaie d’amener les choristes à penser en images. Lorsqu’on chante un air mélancolique, il ne suffit pas de dire “voilà une musique triste”, on s’en rend compte. J’essaie de les mettre en situation. Je leur demande d’imaginer leur réaction, afin de dépasser les mots et les notes et de pénétrer au cœur même de la musique. C’est alors qu’on peut se détacher de la partition. »

Lorsqu’il décide de quitter un chœur, est-ce parce que celui-ci a atteint son apogée ? Non, s’empresse-t-il de répondre. « L’apogée n’est jamais atteint. Lorsqu’on arrive à un sommet, on se met en route vers le suivant. C’est un processus continu. Si l’on n’adopte pas cette attitude, le chœur s’en ressent. » En réalité, il part dès qu’il estime ne plus pouvoir donner le meilleur de lui-même, parce qu’il n’a plus l’énergie nécessaire pour faire avancer le chœur.

Du temps où Iwan Edwards dirigeait le chœur de l’OSM, Charles Dutoit était son allié musical : « J’ai beaucoup aimé collaborer avec lui. Il me donnait toujours l’espace dont j’avais besoin, sans jamais m’imposer quoi que ce soit. Il n’assistait pas aux répétitions, se contentant de me demander de faire en sorte que le chœur soit prêt. »

L’OSM a remporté un Grammy et deux Juno pour ses enregistrements de chant choral au cours des 21 années du mandat de M. Edwards. Il déplore que l’OSM, après l’arrivée de Kent Nagano, n’ait pas conservé le Chœur Saint-Laurent pour son volet amateur. En deux ans, il s’est fait mettre de côté, il ne sait pourquoi. « C’est un chœur que j’ai mis 35 ans à monter. »

M. Edwards aime particulièrement travailler avec des enfants. Après son départ de l’OSM, un groupe de parents de FACE lui a demandé de diriger à nouveau une chorale d’enfants. « C’était une nouvelle chance de travailler avec des enfants, alors j’ai dit oui. J’ai adoré ça. » Il apprécie chez les enfants la curiosité et leur ouverture à différents types de musique. « Je leur présentais de la musique de Murray Schafer et ils trouvaient ça “cool”, dit-il. Ça les passionnait. Je pense que les gens s’efforceront toujours de faire ce qu’on leur demande, à condition que ce soit formulé d’une manière respectueuse et raisonnable. On peut alors réaliser des miracles, surtout avec des enfants. Pour les enfants, les seules limites sont celles que les adultes leur imposent. »

Le dimanche 30 novembre, Concerto Della Donna présente son dernier concert, intitulé Once and for All, une célébration et un hommage au chef bien-aimé, avec la collaboration d’anciens choristes et de musiciens invités. Le maestro est particulièrement enthousiasmé par le Magnificat de la jeune compositrice Christine Donkin. « L’ambiance sonore dans ce morceau est magnifique, fait-il remarquer. Sa musique est fondamentalement tonale, mais elle produit un effet unique. » Il mentionne également la compositrice Marie-Claire Saindon, aussi membre de CDD.

Avec le départ de son chef, c’est aussi le dernier concert de CDD. « Il renaîtra [malgré cela] de ses cendres comme un phénix sous une nouvelle appellation et sera un nouveau type d’ensemble. Elles ont beaucoup d’affinités et sont très fières de l’image projetée par CDD. »

Amena Ahmed, membre de CDD qui décrit son expérience de chant comme « spirituelle, thérapeutique et source d’humilité », a réalisé avec lui un documentaire dont le sujet est « une quête de l’art du bonheur pendant les derniers mois de la carrière d’un directeur musical ». Ce projet de financement collectif a reçu l’appui de ce qu’on peut appeler la communauté Iwan Edwards, qui lui a permis de réunir 26 791 $. Il se dit étonné de l’attention dont il est l’objet dans les médias sociaux, où des gens parlent de l’influence déterminante qu’il a exercée sur leur vie.

« Je ne me suis jamais vu comme une personne qui réalise des prouesses, dit-il. Tout ce que je voulais, c’était partager ma musique et essayer de convaincre les gens qu’il n’y a rien d’impossible. »

www.concertodelladonna.ca


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