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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 3

Ensemble Caprice : Explorateurs musicaux

Par Caroline Rodgers / 1 novembre 2014

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Version Flash ici.

Ensemble Caprice

L’Ensemble Caprice a 25 ans cette année. La Scena Musicale a rencontré son fondateur, Matthias Maute, et sa codirectrice artistique, Sophie Larivière, pour faire le point sur ce quart de siècle musical et discuter de leur vision artistique, une vision qui ne fait pas l’unanimité, mais qui leur a gagné un public fidèle au fil du temps.

Ensemble à géométrie variable, Caprice est formé de cinq membres principaux et s’adjoint d’autres musiciens en fonction des projets abordés. Ces membres sont Matthias Maute, flûtiste, compositeur et chef, sa conjointe Sophie Larivière, également flûtiste, David Jacques, guitariste, Suzie Napper, gambiste et violoncelliste, et Ziya Tabassian, percussionniste.

« On est un peu à la marge, artistiquement, dit Matthias Maute. Cela suscite des réactions négatives, notamment de la part de la critique qui nous tape dessus. En musique classique, c’est tellement traditionnel, formalisé et religieux que si on sort un peu des normes, il y a des réactions épidermiques. »

« Dans le milieu baroque, c’est moins conservateur, mais cela dépend de ce à quoi on touche, ajoute Sophie Larivière. Avec Bach et les œuvres très connues, les gens sont plus frileux. Si on joue par contre des compositeurs que peu de gens connaissent, comme nous l’avons fait sur notre disque Salsa baroque, cela nous donne une liberté. De toute façon, même quand on essaie de s’inspirer de toutes les lectures d’époque, il y aura toujours un mélomane ou un critique qui se sera fait une version intérieure au-delà de laquelle, pour lui, on ne peut pas aller. »

Pour Matthias Maute, la vie de musicien et d’artiste est un projet de recherche, de découverte et d’exploration constante, plus qu’un rôle de fidèle interprète.

« Ce qui m’intéresse le plus, c’est de trouver une façon d’explorer la réalité avec la musique. Au moment où l’on monte sur scène, il se passe quelque chose. Ce ne sont pas que des notes. Il faut atteindre un état où l’on est hors de soi-même. »

La Messe en si mineur

Cette recherche donne des résultats qui peuvent parfois choquer. Ce fut le cas de leur interprétation de la Messe en si mineur de Bach à la Fonderie Darling avec une quarantaine de chanteurs et musiciens, en 2009. Un concert controversé, qui avait à la fois impressionné les spectateurs et déclenché les foudres de la critique. Le Devoir avait notamment qualifié celui-ci de « poudre aux yeux qui asphyxie la musique et nie sa portée spirituelle » tandis que The Gazette comparait le concert à du « speed metal ».

« Pour ce concert, nous avons reçu le prix Opus 2011 du Concert de l’année dans la catégorie musique médiévale, de la Renaissance et baroque, dit Matthias Maute. Et en même temps, de très mauvaises critiques. Mais surtout, Ton Koopman, légende de la musique ancienne qui était à Montréal en tant que président d’honneur du Festival Bach, était présent au concert et il a détesté notre interprétation. Des amis qui l’ont rencontré en Europe l’an dernier m’ont raconté qu’il parle encore de ce concert comme d’une chose épouvantable. À l’époque, j’ai reçu un coup de fil de mon agent européen qui avait entendu un enregistrement. Il m’a demandé : mais qu’est-ce que c’est que ça ? Tout cela m’a traumatisé. On a pris des libertés que certains ont trouvées inacceptables. J’ignorais qu’on pourrait choquer à ce point des connaisseurs. Ce n’était pas notre objectif. Mais si l’on voit quelque chose dans la musique et qu’on le réalise, on y trouve une énergie et une force incroyable qui nous bouleversent. C’est cela qui nous intéresse, avec Caprice. »

Que l’on aime ou que l’on déteste ce qu’ils font, les musiciens sont déterminés à poursuivre leur quête.

« Il y a un critique aux États-Unis qui a utilisé, à notre sujet, l’expression “réentendre le monde”. C’est devenu notre devise et notre but, très difficile à atteindre et qui nous motive artistiquement. »

« Il y a quelque chose de tellement baroque dans cette approche, dit Sophie Larivière. À l’époque, ces questions ne se posaient pas de la même façon puisqu’on ne rejouait pas les mêmes choses. Les compositeurs empruntaient des idées à d’autres, Haendel reprenait des extraits de ses propres œuvres pour les mettre dans d’autres. Le problème de l’interprète aujourd’hui, c’est que les mêmes œuvres sont rejouées mille fois. Cela crée des attentes. Mais pour nous, interprètes, il est important d’avoir des programmes de concerts qui nous stimulent et même nous font un peu peur. Sans cela, on ne peut pas se développer. »

Beethoven et Dave St-Pierre

Pour célébrer son 25e anniversaire, l’Ensemble Caprice prépare un concert tout à fait original : une interprétation de la Symphonie no 2 de Beethoven pendant que des danseurs exécuteront une chorégraphie de Dave St-Pierre.

Matthias Maute se dit impressionné par l’approche du chorégraphe montréalais, réputé pour son audace et son côté innovateur. 

« Il est extrêmement bien structuré et organisé, c’est donc facile de travailler avec lui. Il a une vision axée sur le positif quand il travaille avec ses danseurs. Souvent, en musique classique, on a une approche négative axée sur des règles, avec des gens qui disent “non, on ne peut pas faire ça”, ainsi qu’une façon de travailler où seul le chef décide. Avec Caprice, j’essaie de renforcer ce qui est bon et de souligner aux musiciens les forces qu’ils possèdent. »

Le fait d’entrer en contact avec la danse moderne, dont la démarche est très différente de celle de la musique classique, impose une réflexion et une recherche. Mais quelque part en chemin, cette approche créative rejoint la philosophie de l’Ensemble Caprice et de son chef.

« La danse doit exprimer quelque chose qui nous est proche, dit-il. Avec la musique, on travaille plutôt avec la grande tradition. Or, à mon avis, ce n’est pas la tradition qui nous rend plus proches de la musique et de son contenu. Je trouve important de l’oublier pour chercher une façon qui permettrait au futur de devenir la matière de la musique classique. C’est difficile, car on change les règles du jeu. Par exemple, je dis parfois aux musiciens qu’ils peuvent jouer des fausses notes, ce n’est pas si grave que cela. Le plus important, c’est de faire ressortir autre chose de la musique, une énergie qui nous touche. Si, à la fin d’un concert, on a l’impression que l’on n’est plus la même personne, pour moi, c’est cela, la musique. Dave St-Pierre fait la même chose avec la danse, mais de façon plus radicale. »

Selon lui, cette expérience hors des sentiers battus en compagnie d’un artiste considéré par le milieu de la danse contemporaine comme un « enfant terrible » permettra à l’ensemble d’aller encore plus loin dans sa recherche d’innovation.

« Ça va nous permettre d’être encore plus audacieux et de faire des expériences avec nous-mêmes parce qu’au fond, c’est ça, l’art : suivre une perception et une vision qui n’existaient pas avant. Le problème en musique classique, c’est que les œuvres font maintenant partie d’un canon. À l’époque de leur création, les symphonies de Beethoven étaient révolutionnaires, mais maintenant, elles sont intégrées à ce canon. Personnellement, le canon et la tradition ne m’intéressent pas, pour nous-mêmes. Je préfère que l’on tente des expériences, au risque que ça ne fonctionne pas dans les concerts. La vraie barrière à franchir, c’est de trouver une façon de contourner tout ce qui empêche la musique de nous transformer au moment où on la fait. »

Ce concert aura lieu le 17 janvier 2015, à 20 h, à la salle Pierre-Mercure. 

Ensemble Caprice : Chronologie
1989 Matthias Maute fonde l’Ensemble Caprice en Allemagne, avec deux amis.
1990 Matthias Maute remporte le premier prix dans la catégorie soliste au Concours de musique ancienne de Bruges.

1997 Sophie Larivière se joint à l’ensemble dont elle devient la codirectrice artistique.

1999 Matthias Maute déménage au Québec où il reforme l’Ensemble Caprice. Le groupe enregistre son premier album au Québec sur Atma Classique

2009 L’album Gloria ! Vivaldi et ses anges remporte le prix Juno du meilleur album classique dans la catégorie « musique vocale ou chorale ».

2013 Présentation de l’opéra Motezuma de Vivaldi, au Théâtre St-James.

Quatre disques marquants

En 25 ans, Caprice a gravé 17 disques. Depuis 2007, l’ensemble travaille avec un partenaire très apprécié, Analekta. Parmi les plus récents, en voici quatre qui ont marqué son histoire.

1) Vivaldi, Les gitans baroques (2007) 
En nomination aux prix Opus, à l’ADISQ et aux prix Echo Klassik.
« Vivaldi habitait près d’un port où les étrangers d’Europe de l’Est arrivaient. Ils venaient avec leurs instruments. En général, on n’aime pas cette idée de mêler la musique savante des grands compositeurs à celle de gens comme les gitans dont la présence n’était pas voulue dans les villes et les villages. » – Sophie Larivière

2) Gloria ! Vivaldi et ses anges (2008) 
Gagnant d’un prix Juno en 2009

3) Telemann, Les gitans baroques (2009)
En nomination aux prix Opus et à l’ADISQ
« Telemann s’est vraiment intéressé à la musique gitane, qu’il a commentée dans ses écrits. Il parlait d’une beauté barbare et disait qu’après avoir entendu cette musique, il était inspiré pour toute sa vie. Elle a vraiment eu un impact sur lui. Pour nous, ce fut une révélation de découvrir des influences gitanes dans sa musique et cela nous a fait avancer musicalement » – Sophie Larivière

4) Bach, Concertos brandebourgeois et Préludes de Chostakovitch op. 87 (2012)
Mentionné par le magazine New Yorker parmi les meilleurs albums de l’année.

Cette année, l’ensemble n’a pas enregistré de nouveau disque et s’est plutôt consacré à faire des vidéos que l’on peut voir sur le site noncerto : vimeo.com/channels/noncerto

Concerts à venir

• Vêpres de Claudio Monterverdi
15 novembre et 16 novembre, 19 h 30, église Saint-Pierre-Apôtre

• Symphonie no 2 de Beethoven
17 janvier, 20 h, salle Pierre-Mercure

• Profondeur et consolation
22 février, 14 h, salle Bourgie

• Noël baroque
12 décembre: Port Hope
14 décembre: Barrie
11 décembre: Pointe-Claire

www.ensemblecaprice.com


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