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La Scena Musicale - Vol. 20, No. 2

Stéphane Tétreault : Un soliste en or

Par Caroline Rodgers / 1 octobre 2014

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Stéphane Tétreault, photo Alain Lefort

Depuis déjà quelques années, Stéphane Tétreault s’est taillé une belle place dans le cœur des mélomanes québécois grâce à son immense talent. Le précieux Stradivarius qui lui a été confié en 2012 a fait parler de lui non seulement chez nous, mais au-delà de nos frontières. Alors qu’il poursuit ses études de maîtrise à l’Université de Montréal, il s’apprête à devenir le premier soliste en résidence dans l’histoire de l’Orchestre Métropolitain.

« C’est mon gros projet de l’année, dit le jeune musicien, particulièrement emballé par cette perspective. Pour moi, c’est un honneur, mais plus que ça : l’OM a été l’un des premiers orchestres à m’inviter à jouer. À seize ans, je jouais le concerto de Khatchatourian dans sa série Airs de jeunesse. Ce fut une expérience extraordinaire de jouer avec orchestre pour l’une des premières fois, mais surtout en raison de l’accueil chaleureux que les musiciens m’ont réservé. »

En 2012, il jouait de nouveau en tournée avec l’OM, cette fois dans le Concerto pour violoncelle de Dvořák sous la direction de Julian Kuerti.

« Quand ils m’ont demandé d’être leur soliste en résidence, j’ai été vraiment touché. Yannick Nézet-Séguin a dit qu’il voulait inviter non seulement un musicien que l’orchestre aimait, mais un musicien qui, lui aussi, aimait l’orchestre. »

Son rôle de soliste en résidence implique aussi un volet pédagogique. « Ils vont organiser des cours de maître avec des élèves du primaire et du secondaire de Montréal. J’aime beaucoup travailler avec les jeunes et partager ce que je sais avec eux. »

Europe et nouveau disque

Si la carrière internationale de Stéphane Tétreault n’est pas encore vraiment sur les rails – n’oublions pas qu’il n’a que 21 ans –, il a du moins donné quelques concerts en Europe cette année.

« Ce que je veux, c’est être un soliste international. Pour le moment, c’est un beau début et des projets commencent à naître. Ma carrière a fait un bond important quand j’ai eu mon Stradivarius, car l’instrument a généré énormément d’attention, surtout au Canada, mais je veux aller encore plus loin. Je continue à travailler en ce sens. »

En juin dernier, son récital aux Flâneries musicales de Reims, avec la pianiste Marie-Ève Scarfone, a fait l’objet d’une captation diffusée sur le site medici.tv, ce qui lui a donné une belle visibilité. Il était aussi invité à jouer au 10e Festival de musique de Wissembourg, en Alsace, au mois d’août, pour trois événements.

« J’ai donné un récital avec piano, un récital en duo avec un organiste et un autre avec un quatuor à cordes. Nous avons fait le Quintette à cordes en do majeur (NDLR : D. 956, op. posth. 163, aussi appelé quintette à deux violoncelles) de Schubert. C’est l’une de ses dernières œuvres composées. Pour moi, c’était vraiment la réalisation d’un rêve que de jouer ce quintette, une œuvre qui m’est très chère. »

En mars prochain, il donnera un récital avec piano au musée du Louvre. Trois jours plus tard, il jouera également au musée de Grenoble. Pour ces deux récitals, il jouera la Sonate pour violoncelle et piano no 1 en mi mineur de Brahms, la Sonate pour violoncelle et piano de Rachmaninov et le Divertimento pour violoncelle en ré majeur de Haydn. « Ces œuvres figureront sur mon deuxième disque avec Analekta, qui sera lancé en mars, soit à la même période que mes récitals européens. »

Parmi ses autres occupations de musicien, il y a aussi l’orchestre Nouvelle Génération, fondé par Yuli et Eleonora Turowski en 2011. Non seulement Tétreault y joue du violoncelle, mais il dirige aussi cet ensemble en alternance avec deux autres chefs et réalise des arrangements d’œuvres pour les concerts. D’autre part, il a formé avec d’autres membres de Nouvelle Génération le Quatuor Turovsky.

Les leçons de Yuli

En 2013, Stéphane Tétreault perdait son ami, professeur et mentor, le regretté Yuli Turovsky, fondateur d’I Musici de Montréal, de qui il a tant appris. L’influence du maître n’est jamais loin ! Stéphane Tétreault se souvient :

« Yuli m’a transmis énormément de leçons importantes. Quand j’étais jeune et que déjà, vers douze ans, j’étais très bon techniquement, il m’a dit : un jour, les autres violoncellistes seront aussi bons techniquement et capables de jouer aussi vite que comme toi. La façon de se démarquer n’est pas d’être parfait, mais de se créer une personnalité unique comme musicien. C’est un but vers lequel j’ai travaillé avec lui pendant des années, et je continue de le faire. Parfois, je jouais une œuvre en pensant que c’était musical et touchant, mais pour lui, ça n’était pas encore ça. Il fallait toujours retravailler, intensifier. »

« Il m’a toujours dit : joue chaque note comme si c’était la dernière de ta vie. C’est l’une des phrases qui m’ont le plus marqué, et je m’efforce de suivre ce conseil. Quand on donne beaucoup de concerts, cela peut facilement devenir une routine. Pour lui, c’était important, quand on entre sur scène, d’en donner pour son argent au public qui a payé cher pour être là et pour nous entendre. Même si tu n’es pas en forme, tu dois donner le meilleur de toi-même. Ç’a été une leçon assez marquante. »

« Je retiens aussi son approche de la musique de chambre. Pour lui, l’interaction entre les musiciens signifiait d’aller chercher quelque chose chez l’autre. Il ne suffit pas de jouer des parties ensembles et que tout soit là, rythmiquement et musicalement. Pour lui, l’échange était important. Il fallait que tout colle et soit imbriqué jusqu’à ne faire qu’un. J’essaie toujours de rechercher cela quand je joue avec d’autres musiciens. » 

Cinq œuvres qui l’ont marqué

Le Concerto pour violoncelle no 1 de Chostakovitch (1959)

« Ce concerto demande une puissance et une énergie hors du commun. On y ressent vraiment la peine et la douleur de Chostakovitch et c’est très touchant, même dans les parties dures et rythmiques. Quand tu es sur scène et que tu viens de finir le troisième mouvement, tu as l’impression que tu vas mourir, or il te reste encore à jouer tout le quatrième mouvement, énorme ! Mais l’énergie que te donne la musique te permet de continuer. C’est une expérience unique, jouer ce concerto, que j’ai étudié à fond avec Yuli. Je l’ai joué avec l’Orchestre de l’Académie d’Orford sous la direction de Jean-François Rivest. »

Don Quixote, de Richard Strauss (1897)

« Je l’ai joué l’été dernier au Festival de Lanaudière avec l’Orchestre du Festival sous la direction de Jean-Marie Zeitouni. J’avais parlé à des violoncellistes avant pour savoir comment ils approchaient l’œuvre, et quelques-uns d’entre eux m’ont dit qu’à leur avis, c’était l’œuvre la plus enrichissante à jouer pour un musicien, sur le plan personnel. Je ne comprenais pas clairement ce qu’ils voulaient dire, mais une fois sur scène, à la fin, dans la mort de Don Quichotte, j’ai ressenti une vibration incroyable, une grosse vague d’émotion. »

Concerto pour violoncelle d’Elgar (1919)

« C’est un concerto que je n’ai joué qu’une fois. C’était avec l’Orchestre symphonique de Laval sous la direction d’Alain Trudel, au printemps dernier. Je n’avais jamais osé le jouer auparavant, même si on me disait que j’étais capable. Pour moi, les problèmes n’étaient pas d’ordre technique, mais je ne me sentais pas prêt sur le plan émotif. Je ne l’ai jamais travaillé avec Yuli, même si c’était une œuvre qu’il aimait beaucoup. Finalement, quand Alain Trudel m’a demandé de le jouer, je me suis dit qu’il était temps. Je vais le refaire en tournée avec l’Orchestre Métropolitain en avril prochain pour le concert Jardins anglais, sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. Nous allons le faire sept ou huit fois – et c’est peut-être, pour lui aussi, un de ses concertos préférés. Ce concerto m’a toujours profondément touché à cause de l’image de l’œuvre qui a été créée par Jacqueline du Pré. C’est sa version que j’écoute depuis que j’ai neuf ans. Je me souviens que lors de ma première expérience sur scène, je pensais beaucoup à elle. »

Concerto pour violoncelle de Dvořák (1895)

« C’est le concerto que j’ai le plus souvent joué avec orchestre. C’est un monument pour le violoncelle et tous les violoncellistes l’ont joué énormément. Le plus difficile est donc de trouver sa signature de l’œuvre tout en la respectant. C’est même plus difficile que les passages techniques les plus exigeants. Pour moi, c’est une œuvre qui raconte une histoire grandiose que l’on se sent privilégié de raconter. C’est l’histoire la plus unique de tous les concertos. »

Symphonie concertante  de Prokofiev (1952)

« Je n’ai pas encore osé la jouer, mais j’ai hâte. Je l’adore. Si je ne l’ai pas encore jouée, ce n’est pas pour une raison musicale, mais pour des raisons purement techniques. Maintenant, je pense que je pourrais me permettre de la faire ! C’est l’une des œuvres concertantes pour violoncelle parmi les plus difficiles, à mon avis. C’est aussi une œuvre assez longue qui demande de l’endurance et de l’énergie. Elle a été popularisée surtout par Rostropovitch. Je préfère cependant l’interprétation du violoncelliste russe Daniil Schafran. Il n’a jamais eu de grande carrière internationale comme Rostropovitch, mais pour cette œuvre, c’est peut-être mon violoncelliste préféré. Yuli adorait ce musicien et l’avait entendu plusieurs fois en concert, et justement il m’avait dit que c’était la version la plus extraordinaire qu’il avait jamais entendue. J’ai déniché un enregistrement, et par pur hasard, c’était exactement la même version. C’est à couper le souffle. On verra si je suis capable un jour de recréer cela à ma façon. »

Stéphane Tétreault, une biographie

1993 : naissance à Montréal
À 7 ans, il commence le violoncelle à l’école FACE
À 9 ans, il auditionne pour Yuli Turowski et devient son élève
À 10 ans, il participe pour la 1re fois au Concours de musique du Canada
À 14 ans, il est lauréat de la catégorie « 17 ans et moins » du Concours OSM
À 15 ans, il participe à son premier concours international, le Concours de Genève
2009 : il participe à la dernière édition du Concours Rostropovitch, à Paris
2011 : il participe au Concours Tchaïkovski à Moscou. Il termine dans les 24 premiers.
2012 : il se voit confier le violoncelle Stradivarius de 1707 « Paganini, Comtesse de Stainlein » ayant appartenu à Bernard Greenhouse, grâce à l’intervention de la mécène Jacqueline Desmarais qui acquiert l’instrument
2013 : premier concert en Europe, à Londres, dans le cadre du 10e anniversaire de la London Cello Society
2013 : Il devient le premier lauréat de la Bourse Fernand-Lindsay et reçoit 50 000 $

2014 : il devient le premier soliste en résidence dans l’histoire de l’Orchestre Métropolitain

Quelques concerts à venir en 2014

Récital violoncelle et piano avec Michel-Alexandre Broekaert, pianiste. 18 octobre, salle Saint-François Xavier, Prévost. www.diffusionsamalgamme.com

Récital du Quatuor Turovsky, 19 octobre, St. Paul Anglican Church, Saint-Paul-d’Abbotsford.

Concert de musique espagnole, Orchestre Nouvelle Génération, direction Stéphane Tétreault, 8 novembre, 20 h, salle Claude-Champagne. orchestrenouvellegeneration.com

Concert « Soirs d’hiver » – œuvres de Tchaïkovski et Corelli
Orchestre Métropolitain sous la direction d’Alexandre Bloch
17 décembre,  19 h 30, église Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, Verdun
18 décembre,  19 h 30, Maison de la culture de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve
19 décembre,  19 h 30, Maison symphonique
20 décembre,  19 h 30, Maison Mirella et Lino Saputo, Saint-Léonard
orchestremetropolitain.com


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