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La Scena Musicale - Vol. 2, No. 8

Schubert et La Belle Meunière : une Histoire D'amour

Par Jacques Desjardins / 1 mai 1997

English Version...


Oeuvre de maturité, le cycle La belle meunière (D. 795 op. 25) de Franz Schubert semble avoir été composé de mai à décembre 1823 au cours d'une période de création exceptionnellement féconde. En effet, Schubert travaillait au même moment à son opéra Fierabras, monumental drame lyrique en trois actes qui n'a jamais été présenté du vivant du compositeur.1 Selon Brigitte Massin, il semble que Schubert ait tenu bien davantage à son cycle de Lieder qu'à son opéra. Le livret décevait autant par la faiblesse de la trame dramatique que par les maladresses d'écriture. Une seule raison semble avoir poussé Schubert à mener son opéra à terme : l'auteur du livret, Josef Kupelweiser, était aussi le secrétaire du théâtre de la porte de Carinthie, personnage influent s'il en fut, et Schubert espérait sans doute obtenir enfin la consécration que lui aurait assuré un triomphe dans un «vrai» théâtre.2 Il ne fait aucun doute que c'était son souhait le plus cher, Schubert comptant déjà à son actif au moins une douzaine d'opéras, tous refusés par les directeurs de théâtre de l'époque3. Si Schubert cherchait à travers l'opéra sa voie vers la célébrité, il semble que c'est dans ses cycles de Lieder qu'il réalisa pleinement ses ambitions artistiques.

Wilhelm Müller avait fait publier en 1820 un recueil de poèmes au titre aussi évocateur qu'excentrique : Soixante-dix-sept poèmes découverts dans les papiers abandonnés d'un corniste ambulant, livre I. Ce n'est que trois ans plus tard que Schubert prend connaissance de ce volume. Il est tout de suite séduit par la simplicité des thèmes, la régularité de la métrique et par la grande cohérence du cycle de La belle meunière. Bien que n'ayant jamais rencontré Müller, Schubert a trouvé chez lui un partenaire artistique naturel. Les poèmes lui ont permis de mettre en musique une intrigue en une vingtaine de tableaux, chacun évoquant un sentiment particulier. En ce sens, Schubert a pu réaliser, à plus modeste échelle, son rêve de devenir un grand compositeur de scène. Son mode d'expression musicale se prêtait mieux à une suite d'instantanés, fixés hors du temps pour ainsi dire, qu'à la difficile élaboration d'une intrigue lentement menée à son dénouement. S'il avait vécu à la fin du vingtième siècle, Schubert aurait probablement préféré le métier de photographe à celui de cinéaste !

Pourtant, Schubert tenait malgré tout à une certaine trame dramatique entre les différentes chansons. Ce n'est sûrement pas un hasard si Pause a été placé en plein milieu du cycle... Soulignons aussi l'ouverture (Wohin? - vers où?) et la conclusion (Des Baches Wiegenlied - la berceuse du ruisseau) faisant toutes deux une allusion explicite au ruisseau. D'autres chansons sont clairement destinées à être perçues par paires (et interprétées à la suite l'une de l'autre?) : Das Wandern (Le voyage) et Wohin?; Der Neugierige (Le curieux) et Ungeduld (Impatient); Morgengruss (Salut matinal) et Des Müllers Blumen (Les fleurs du meunier); Die liebe Farbe (La belle couleur) et Die böse Farbe (La mauvaise couleur). Cette unité, réussie presque par induction dans Die Schöne Müllerin, deviendra une planification calculée dans le prochain chef-d'oeuvre que Schubert produira avec Winterreise.

La cohérence du cycle tient non seulement au retour fréquent des mêmes thèmes (le ruisseau, le promeneur, la nature, la meunière, etc.) mais aussi au rappel subtil des mêmes tournures musicales. Le motif d'accompagnement en doubles croches, par exemple, évoque chaque fois le courant rapide du ruisseau. Cette association d'un motif à un personnage particulier annonce déjà la technique du leitmotiv de Richard Wagner. Du point de vue de la forme, Schubert a su habilement espacer les chansons de type strophique entre des chansons aux structures formelles asymétrique, assurant ainsi une variété qui sait garder l'attention de l'auditeur jusqu'à la toute fin du cycle.

Oeuvre-charnière dans la carrière du compositeur, Die schöne Müllerin révèle toute l'universalité de son immense talent de mélodiste et, disons-le, de raconteur. L'histoire qui nous est chantée depuis maintenant plus de cent cinquante ans continue de nous émouvoir à ce jour, et c'est pourquoi il faut se persuader que Schubert entretenait un véritable sentiment d'amour envers son cycle de La belle meunière.

1 L'été dernier, le FM de Radio-Canada a fait entendre un enregistrement de Fierabras à l'émission L'Opéra du samedi. Je dois admettre que j'ai trouvé cela inutilement «fourni». Ça se résumait à une suite de jolies mélodies lourdement accompagnées, entrecoupées d'interludes instrumentaux à l'orchestration artificiellement dramatique. (Ce commentaire n'engage que l'auteur de ces lignes).

2 Brigitte Massin. Franz Schubert. Fayard, 1977, p. 1016.

3 Il faut dire qu'au même moment, les Italiens détenaient un quasi monopole dans le domaine de l'opéra. Ne citons que les noms de Bellini, Donizetti et Rossini pour s'en convaincre. Il faudra attendre Carl Maria von Weber et son Freischütz pour faire enfin admettre aux directeurs de théâtre du début du dix-neuvième siècle qu'un Allemand pouvait écrire aussi bien pour la scène qu'un Italien...

Jacques Desjardins DMA, compositeur, professeur d'analyse et d'Écriture, École de musique, Université de Sherbrooke

SCHUBERT AND THE FAIR MAIDEN OF THE MILL :
A LOVE STORY
by Jacques Desjardins

A work of maturity, the song cycle "The Fair Maiden of The Mill" or Die Schöne Müllerin (D. 795 op. 25) by Franz Schubert seems to have been composed from May till December 1823 during an exceptionally prolific period. Indeed, Schubert was working at the same time on his opera Fierabras, a huge lyrical drama in three acts which was never performed during the composer's lifetime1. According to Brigitte Massin, there is reason to believe that Schubert was more interested in his song cycle than in his opera. The opera's libretto was based on a rather thin storyline and contained many stylistic and syntactic problems. One reason seems to have compelled Schubert to complete the opera project: the librettist, a definitely influential character, Josef Kupelweiser, was also Secretary at the Theatre of Carinthia's Gate. Schubert certainly hoped to obtain the recognition that a big success in such an important theatre could provide2. His dozen or so already composed operas, all refused by theatre directors of the time, are a statistical confirmation of this assumption3. If opera was, in Schubert's mind, his ticket to fame, his song cycles seem to have been his medium of choice to fully achieve his artistic ambitions.

In 1820, Wilhelm Müller had a collection of poems published with a title as eccentric as it was evocative : Seventy poems as found in the leftover papers of a wandering horn player, book I. Schubert discovered the book only three years later. He was immediately impressed by the thematic simplicity, the metrical regularity and the great coherence of the Schöne Müllerin collection. Despite his never having met Müller, Schubert found in him a natural artistic partner. The poems allowed him to set to music a storyline in twenty short tableaux, each suggesting a particular mood. In a way, Schubert did realize on a smaller scale his dream of becoming a great composer for the stage. His artistic expression lent itself better to a series of snapshots, taken out of time so to speak, instead of the laborious unfolding of a plot toward its conclusion. Had he lived at the end of the twentieth century, Schubert might have preferred the job of photographer to that of film director !

The score itself hints at Schubert's intention to connect his songs dramatically. For example, it cannot be attributed to chance if Pause was placed right in the middle of the cycle. Also noteworthy are the clear allusions to the brook at the beginning (Wohin? - Where ?) and at the conclusion (Des Baches Wiegenlied - The Brook's Lullaby), as if the story had naturally returned to its initial source of inspiration. Other songs are clearly meant to be heard in pairs (and performed in succession ?) : Das Wandern (The Voyage) and Wohin?; Der Neugierige(The Curious One) and Ungeduld (Impatient); Morgengruss (Morning Greeting) and Des Müllers Blumen (The Miller's Flowers); Die liebe Farbe (The Beloved Colour) et Die böse Farbe (The evil Colour). This unity, achieved almost by induction in Die Schöne Müllerin, will be carefully planned in Die Winterreise, Schubert's next masterpiece.

Consistency is realized not only through the frequent allusions to the same literary themes (the brook, the wanderer, nature, the fair maiden, etc.), but also through the reminder of similar musical ideas. The sixteenth-note accompaniment motive, for example, refers each time to the brook's running waters down its stream. Such a close association between a motive and a character already foreshadows Richard Wagner's leitmotiv technique. In terms of form, Schubert has cleverly separated the strophic songs with songs of asymmetrical formal structure, thus keeping the listener's attention till the very end of the cycle.

A landmark work in the composer's creative output, Die schöne Müllerin reveals the universal scope of Schubert's great talent as a melodist and, to a certain extent, as a raconteur. The story which has been sung by generations of performers for more than one hundred and fifty years continues to move the audiences of today, and that is why it is safe to claim that Schubert entertained a true feeling of love for his Fair Maiden of The Mill cycle.

1 Last Summer, Radio-Canada FM broadcast a recording of Fierabras on L'Opéra du samedi. I have to admit that I found the work unnecessarily "busy". It could be summed up as a succession of nice melodies heavily accompanied, interspersed with instrumental interludes of artificially dramatic orchestration.

2 Brigitte Massin. Franz Schubert. Fayard, 1977, p. 1016.

3 At the same time, however, Italian composers had a quasi monopolistic control over opera. With contemporaries such as Bellini, Donizetti and Rossini around, competition was fierce for germanic composers. It will take Carl Maria von Weber and his Freischütz to finally persuade the theatre directors of the nineteenth century that a German could write for the stage just as well as an Italian....

Jacques Desjardins DMA, composer, professor of theory and writing skills, École de musique, Université de Sherbrooke

CD Review : Die schöne Müllerin
by Wah Keung Chan

Of the many interpretations on recordings of Schubert's Die schöne Müllerin, the two universally recommended are those of Fritz Wunderlich and Dietrich Fischer-Dieskau. Wunderlich's recording with pianist Hubert Giesen (DG 423 956-2) is known for great voice and a fantastic legato. It has recently been re released under 'The Originals' series. Fischer-Dieskau's many recordings with accompanist Gerald Moore are known for sensitivity of style.

Tenor Peter Schreier is also recognized as a great interpreter. Unfortunately, the Gramophone Award winning recording with pianist András Schiff on London-Decca has been deleted from the catalogue in North America and is no longer available. Fortunately, Berlin Classics has recently release two schöne Müllerins featuring Schreier, one a 1974 recording with pianist Walter Olbertz (0092842BC) while the second is a 1982 recording with guitarist Konrad Ragossnig (0011232BC). Both find Schreier in good youthful voice and his interpretations are consistently good. The later version with guitar accompaniment is closely miked thus giving the impression of an intimate salon recital. To accomplish a just balance with guitar Schreier scales back his voice. It is quite well done; though not suited to my taste, it should appeal to the record buying public used to closed miking. There are some limitations inherent within the confines of a guitar reduction of a piano score. Certain songs such as Ungeduld found Ragossnig challenged to play all the notes in tempo. Most other songs were taken at a slower than usual tempo, but Schreier hold them together with a great sense of line. The earlier version with Olbertz is a more standard sound recording with voice and piano. Naturally, Schreier is in younger voice, yet the musical line is already there and reveals a consummate musician.


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(c) La Scena Musicale 2002