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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 7

Jean-Philippe Tremblay : Passeur de savoir

Par Caroline Rodgers / 1 juin 2014

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Jean-Philippe Tremblay

Il a beau être encore jeune, la feuille de route de Jean-Philippe Tremblay est déjà impressionnante. À 35 ans, il a déjà dirigé des orchestres sur trois continents et demeure depuis 2001 à la tête de l’Orchestre de la Francophonie (OF), qu’il a cofondé. Portrait d’un chef qui trouve de plus en plus sa vocation dans des projets musicaux à saveur pédagogique.

Pour Jean-Philippe Tremblay, la vie de musicien idéale se décline en trois grands axes : la pratique instrumentale en musique de chambre – il joue encore de son instrument, l’alto –, la carrière de chef invité et la transmission du savoir et de la passion musicale grâce à des projets à vocation pédagogique comme l’OF. À travers ces trois volets, il recherche l’équilibre.

« Je passe une quinzaine de semaines par an à diriger de grands orchestres. C’est très bon pour moi, mais c’est aussi bon pour l’OF. Je leur ramène de l’expérience, des connaissances, du nouveau répertoire. Cela fait de moi un meilleur chef. »

Tout au long de son parcours, il a rencontré nombre de grands musiciens qui avaient une véritable passion pour l’enseignement et qui ont su la lui transmettre. « Un bel exemple est celui de Pinchas Zukerman, avec qui j’ai beaucoup travaillé. Même s’il a une grande carrière internationale, il ne pourrait pas se passer de l’enseignement, qui occupe maintenant les deux tiers de son temps. Quand il est avec des jeunes, il devient une autre personne. »

En ayant grandi comme chef avec l’OF, Jean-Philippe Tremblay constate à quel point il aime lui aussi travailler avec de jeunes musiciens. « À l’OF, nous avons des gens dont la moyenne d’âge se situe autour de 22 ans. Ils sont excellents techniquement et très motivés. C’est le moment idéal pour essayer de les guider sur la meilleure voie possible. »

Changer le monde avec la musique

« J’adore diriger de grands orchestres et c’est très important dans ma carrière, dit Jean-Philippe Tremblay. Mais plus le temps passe et plus je constate que ce qui m’allume vraiment, ce sont les projets qui font une différence dans la société. »

L’exemple le plus évident qui vient à l’esprit est celui d’El Sistema, ce fameux système national d’éducation musicale du Venezuela. « J’ai dirigé à quelques reprises l’Orchestre symphonique Simon Bolivar, qui fait partie d’El Sistema, à l’invitation de Gustavo Dudamel et de José Antonio Abreu, le fondateur d’El Sistema. Je compte bien y retourner. »

Ce fort penchant pour la transmission du savoir l’influence même parfois quand vient le moment d’accepter ou de refuser de diriger un orchestre en tant que chef invité.

« Je privilégie autant que possible les orchestres qui ont des programmes jeune public, qui incluent de la musique contemporaine dans leurs programmes et qui investissent dans l’éducation. Si on veut se créer un public et donner le goût aux jeunes d’écouter de la musique, c’est primordial. »

Et si les concerts d’initiation de type « matinées symphoniques » sont une excellente chose, ils ne suffiront pas à former le public de demain, selon lui. « On fait de bons concerts pour le jeune public, mais il faut s’attaquer davantage au cœur du problème. Pour sauver notre métier, la chose intelligente à faire, c’est de mettre plus de musique dans les écoles. L’enseignement musical n’est plus obligatoire dans le système public, alors il faut que les institutions musicales prennent la relève. C’est ce qu’a fait, par exemple, la Vancouver Symphony Orchestra School of Music en Colombie-Britannique en donnant des cours gratuits. C’est un immense succès. »

Les preuves ne sont plus à faire : l’apprentissage de la musique développe aussi les capacités cognitives. « On ne compte plus les articles scientifiques à ce sujet », dit-il.

La musique peut non seulement changer la vie des individus, mais aussi la société. Suivant cette conviction, l’OF a ajouté depuis trois ans un volet communautaire à son programme en travaillant avec le Garage à musique. Situé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, ce projet de la Fondation du Dr Julien offre la possibilité aux jeunes de se développer grâce à la pratique collective de la musique.

« Grâce au Garage à musique, ces jeunes de milieux défavorisés vont avoir une formation extraordinaire, peu importe qu’ils deviennent musiciens ou non plus tard. La discipline, la méthode de travail, la conscience de groupe et l’esprit d’équipe que leur donne la pratique musicale sont des apprentissages qui leur serviront toute la vie. »

Pendant deux semaines chaque été, des membres de l’OF sont jumelés avec des jeunes musiciens du camp musical d’été du Garage à musique. Il s’agit d’un véritable mentorat dont le point culminant sera un concert de l’OF avec les jeunes du Garage à musique à la Maison symphonique.

« Quand on donne le concert, les enfants sont assis à côté de leur mentor et ils jouent avec nous. C’est important qu’ils soient sur scène pendant le vrai concert. Pour un jeune, jouer à la Maison symphonique devant une salle pleine, devant ses parents, cela représente une expérience incroyablement valorisante. Mais ce jumelage n’est pas seulement bon pour les enfants : cela transforme aussi nos musiciens de travailler avec eux. Je suis convaincu que ce travail fait d’eux de meilleurs musiciens et de meilleurs êtres humains. »

Mais attention : on ne lance pas de programme musical ou d’activité éducative n’importe comment. « Les programmes doivent être faits avant tout en fonction des besoins des jeunes et non en fonction de ceux de l’organisme. Malheureusement, certaines activités semblent conçues pour le prestige et servir les besoins des institutions qui les lancent. Il faut consacrer nos efforts aux gens à qui on s’adresse, pour qu’ils apprennent vraiment à aimer la musique. »

Une biographie
1978 : Naissance à Chicoutimi.
À six ans, il commence l’apprentissage du violon.
À onze ans, il passe du violon à l’alto.
Études : Conservatoire de Saguenay, Royal Academy of Music de Londres et Maîtrise en direction d’orchestre à l’Université de Montréal.
À 17 ans, il participe aux camps d’été de l’École Pierre-Monteux.
2000 : sélectionné parmi 400 candidats pour participer au camp d’été en direction d’orchestre à Tanglewood.
2001 : il cofonde l’Orchestre de la Francophonie.
2003 : lauréat du Concours international Dimitris Mitropoulos, en Grèce.
2004 : débuts comme chef invité aux matinées symphonique de l’OSM.
2004-2005 : il participe, avec Gustavo Dudamel, au programme Allianz International Conductor’s Academy.
2008 : Débuts à l’Orchestre national de France aux Champs-Élysées.
2012 : Débuts à l’Orchestre philharmonique de la Radio des Pays-Bas.
D’autres orchestres qu’il a dirigés : Orchestre du Centre national des Arts d’Ottawa, orchestres symphoniques de Québec, Edmonton, Winnipeg, Orchestre Métropolitain, Youth Orchestra of the Americas.

Apprendre avec les grands

Quand on découvre la liste des maîtres expérimentés et des grands chefs qui ont croisé la route de Jean-Philippe Tremblay, on comprend pourquoi la pédagogie est si importante pour lui. Voici quelques-uns des musiciens pédagogues qu’il a côtoyés et qui l’ont influencé au fil des ans.

Les musiciens d’orchestre : « Mes meilleurs professeurs, ce sont les musiciens. Qu’ils soient étudiants ou professionnels, ce sont mes meilleurs coachs. C’est avec eux que j’apprends, sans que ça se fasse nécessairement de façon verbale. Juste le fait de voir comment ils réagissent à ma direction est un enseignement. Chaque fois que je rencontre un nouvel orchestre, c’est comme un nouveau professeur. »

Robert Spano : sa plus grande influence. « Il était directeur du programme de direction à Tanglewood. Il m’a fait sortir de ma zone de confort et fait envisager la direction d’orchestre comme quelque chose de beaucoup plus organique, où l’on se met dans la peau des musiciens. C’est un chef complet dans son approche et il ne tolère personne n’ayant pas une passion marquée pour la musique. Ç’a été deux mois d’apprentissage très exigeants. »

Yuko Inoue et Nobuko Imai : ses professeures d’alto et de direction d’orchestre à la Royal Academy de Londres.

Paolo Bellomia : son directeur de maîtrise en direction d’orchestre à la Faculté de musique de l’Université de Montréal.

Jutta Puchhammer Sédillot : sa professeure d’alto à l’Université de Montréal.

André Prévin, Seiji Ozawaet Daniel Barenboïm : cours de maître à Tanglewood.

Kurt Masur et Christoph von Dohnányi : il a travaillé à leurs côtés à Londres en tant que participant au programme de mentorat de l’Allianz Conductor
Academy.

Michael Tilson Thomas : il a passé deux mois avec lui en 2001 à la New World Symphony, à Miami. « C’est ce qui a servi de modèle pour l’OF. Pour moi, c’est la plus belle académie de musique sur la planète. J’ai pu observer ce qu’ils faisaient sur le plan pédagogique et sur le plan organisationnel. »

L’Orchestre de la Francophonie en chiffres

L’OF a été fondé en 2001 dans le cadre des IVe Jeux de la Francophonie Ottawa-Hull. Depuis sa fondation, il a :
créé 40 œuvres nouvelles de jeunes compositeurs québécois et canadiens
donné près de 300 concerts
enregistré cinq disques ou coffrets
invité 68 solistes à jouer à ses côtés
reçu 1127 musiciens participants
75% de ces participants ont depuis intégré des orchestres nationaux et internationaux.

L’été de l’Orchestre de la Francophonie :

 » OTTAWA
Concert au Centre national des Arts d’Ottawa : Boléro de Ravel, Mouvement symphonique d’Éric Champagne et Concerto pour piano no 2 de Brahms. Soliste : Jimmy Brière. 11 juillet

 » MONTRÉAL
Concert-bénéfice à l’Arsenal : La Valse, Tzigane et Boléro de Ravel – 15 juillet
Résidence à la Société des Arts technologiques, du 20 au 23 juillet
Soirée-bénéfice Connexion avec Haïti, œuvres de Plamondon, Robert Charlebois et Diane Dufresne ainsi que La marche du soldat marin de Jacques Anderson Bernier – 21 juillet
Concert d’œuvres de Barber et de Brady avec Robert Uchida – 22 juillet
Musique de chambre – 23 juillet, Maison symphonique de Montréal
Concert avec Alexandre Da Costa et le Garage à musique – 27 juillet
Concert Ravel rencontre Champagne et Bertrand – œuvres de Ravel et d’Éric Champagne. Création d’un Concerto pour piano avec Jean Desmarais – 28 juillet

 » AILLEURS
Église de Saint-Eustache
Concert d’œuvres de Mozart, Tchaïkovski, Dvořák et Olivier Larue. Avec Alexandre Da Costa – 18 juillet
Domaine Forget
Concert-dégustation avec Louis Lortie – 3 août.


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