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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 7

La tradition, une corde sensible : Le Nouveau Quatuor Orford

Par L. H. Tiffany Hsieh / 1 juin 2014

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New Orford String Quartet

En se remémorant sa collaboration avec l’Orchestre de chambre Mahler en Europe, invité à titre de premier violon il y a quelques années, Jonathan Crow se dit épaté par la fougue que chaque musicien apportait à chacun des concerts. Cet orchestre, à la structure organisationnelle non traditionnelle et sans port d’attache, réunit des musiciens pour réaliser des tournées selon une approche par projet, en résidence dans diverses villes à travers le monde.

« C’était une expérience unique, dit-il, que de travailler de concert avec un groupe de musiciens, tous au même diapason, qui mènent chacun leur carrière et qui choisissent de jouer dans cet orchestre dans leur temps libre. Chacun de nos concerts gagnait ainsi en spontanéité et en engagement. »

Lorsque David Joachim a demandé à Jonathan Crow, il y a cinq ans, de réunir un ensemble de musique de chambre au Centre d’arts d’Orford, à environ 100 km de Montréal, un ensemble qui le représenterait à l’année lors de concerts tant au Québec qu’à l’étranger, il n’a pas hésité une seconde. Ainsi, quarante-cinq ans après la naissance du célèbre Quatuor à cordes Orford, lequel donna son dernier concert en 1991, un nouveau quatuor à cordes voyait le jour : le Nouveau Quatuor à cordes Orford.

« Le Quatuor Orford a été une source d’inspiration pour nous tous, jeunes musiciens, affirme M. Crow. Quand nous avons créé l’ensemble, nous avons consulté les membres du quatuor d’origine à propos du nom et ils ont aimé l’idée. Terry Helmer et Andrew Dawes ont assisté à nos concerts cette année. Nous sommes si fiers d’avoir leur accord, tout comme celui de Marcel Saint-Cyr et de la famille de Ken Perkins, pour poursuivre l’œuvre magistrale qui a vu le jour grâce à eux. »

Prenant la relève en 2009 pour perpétuer la tradition et la réputation de son prédécesseur, le Nouveau Quatuor Orford est rapidement acclamé par la critique lors de concerts pour la plupart à guichets fermés. Le quatuor a remporté deux prix Opus dans la catégorie « concert de l’année » et a été finaliste pour un prix Juno. À l’instar des membres de l’Orchestre de chambre Mahler, chacun mène une carrière comme instrumentiste au sein d’un orchestre symphonique. Jonathan Crow, violoniste, et Eric Nowlin, altiste, occupent des postes à l’Orchestre symphonique de Toronto; le violoniste Andrew Wan et le violoncelliste Brian Manker évoluent au sein de l’Orchestre symphonique de Montréal. Le quatuor a un horaire réduit de tournées, offrant environ 25 à 30 concerts par année, soit le quart du nombre présenté par un quatuor à temps plein. De plus, l’ensemble doit planifier sa programmation pour les deux prochaines saisons.

« Nous avons de la chance de mener une carrière musicale hors du quatuor. Le fait de se détacher un peu du groupe, après avoir travaillé en si étroite collaboration, nous aide à garder l’équilibre, affirme Crow. C’est aussi un atout du point de vue musical. On prend souvent ensemble des décisions qu’on croit fondées, mais quand on revisite le même répertoire quelques semaines plus tard, on s’aperçoit alors que chacun en a une vision différente. Le fait de mettre en pratique dans le quatuor ce que nous faisons dans un autre contexte, lors des répétitions par exemple, nous aide à élargir nos horizons, à enlever nos œillères, parfois portées par ceux qui ne font que de la musique de chambre. »

S’il est vrai que les membres du Nouveau Quatuor ont plusieurs goûts en commun, comme aller au restaurant, prendre un verre après une prestation, l’amour du hockey, l’humour débridé lors des tournées et la visite des vignobles de l’Okanagan entre deux concerts, ils se sont réunis pour révolutionner le concept du quatuor à cordes au Canada, inspiré du succès de l’Orchestre de chambre Mahler.

« Je ne décrirais pas nos rapports comme une relation d’amitié, mais nous nous entendons assez bien », confie M. Manker, ajoutant que « la relation est avant tout musicale, en deuxième lieu, c’en est une d’affaires, et en dernier, amicale. »

Intense comme quatre, et pour cause ! Lorsque Manker, Crow, Nowlin et Wan font ensemble une tournée, la fougue avec laquelle chacun se livre est incroyable, sans commune mesure avec l’ardeur qui les animerait s’ils étaient ensemble à l’année. La formation poursuit l’objectif de présenter et de promouvoir des œuvres canadiennes à chacun de ses concerts dans un répertoire composé, entre autres, d’œuvres magistrales de compositeurs comme Beethoven, Haydn et Ravel. Lors de son concert inaugural, le quatuor avait présenté un programme ambitieux, comprenant le Quatuor en do majeur op. 20 no 2 de Haydn, le Quatuor en do mineur d’Ernest MacMillan et le Quatuor en la mineur op. 132 de Beethoven. Depuis, l’ensemble a élargi son répertoire pour inclure des œuvres de compositeurs canadiens tels Jacques Hétu, Claude Vivier, R. Murray Schafer, Ana Sokolović, Airat Ichmouratov. Cette année, le quatuor a interprété à plusieurs reprises le Quatuor en si bémol majeur, op. 18 no 6 de Beethoven, le Quatuor en fa majeur de Ravel et le Quatuor no 1 de Schafer.

Selon M. Crow, « interpréter les œuvres de ces divers compositeurs, sentir la différence au niveau du son, de la tonalité, est une belle façon de voyager à travers l’histoire de la musique, et plus précisément celle du quatuor à cordes. Des premières œuvres de Beethoven jusqu’à ses harmonies dans la Malinconia (La mélancolie) qui inaugurent le quatrième mouvement de l’opus 18 no 6, annonciatrices d’une orientation nouvelle et d’une démarche inédite, en passant par les idées impressionnistes de Ravel pour conclure avec une succession de grappes de demi-tons atonaux de Schafer. […] Je trouve les liens entre Beethoven et Schafer fascinants et j’espère présenter au public de nouvelles pièces pour qu’il les découvre et apprenne à les aimer autant que nous. Notre but, c’est de susciter de l’intérêt pour chacun de nos concerts et faire en sorte que chaque concert soit un événement en soi. »

M. Nowlin fait remarquer que le Nouveau Quatuor poursuit l’engagement de son prédécesseur de promouvoir les compositeurs canadiens, assurant ainsi la continuité artistique. « Dès le début, nous nous sommes présentés comme un ensemble canadien jouant de la musique canadienne et nous nous estimons chanceux d’avoir de nombreuses œuvres à portée de la main, ajoute-t-il. Si nous avons la possibilité de travailler avec un compositeur, nous pouvons le questionner pour connaître son intention musicale. J’aime ce processus créatif. C’est très enrichissant. »

Quand le compositeur est décédé ou non disponible, le quatuor doit, au dire de Nowlin, décider ce que le compositeur voulait exprimer et lire entre les lignes de la partition ce qu’il avait en tête.

Il ajoute : « Nous abordons chaque projet selon cinq points de vue : celui du compositeur et celui de chacun des membres du quatuor. Il va de soi que le point de vue du compositeur prime sur les nôtres, qui ne sont que des interprétations du point de vue du compositeur. Nous confrontons les points de vue pour dégager les idées, les mettre à l’épreuve, les accepter ou les mettre de côté, ou même voter si nécessaire. Ce processus donne lieu à des discussions, voire à des débats, du fait qu’il n’y a pas de réponse toute faite. Notre interprétation prend forme à partir de ce processus et continue d’évoluer tant que nous jouons ensemble. »

Nowlin compare la dynamique du quatuor à « un mariage musical avec trois autres personnes avec lesquelles on doit s’entendre et composer pour mener à bien ce qu’on doit faire si on veut que tout fonctionne bien ». Selon lui, le respect mutuel, la confiance et l’ouverture au compromis sont des éléments clés.

« Savoir faire des compromis en particulier, dit-il. Souvent, on doit ajuster un phrasé ou jouer d’une certaine façon avec laquelle on peut ne pas se sentir à l’aise, mais si les autres membres décident qu’il en est ainsi, alors il faut composer avec cette décision. On n’est pas toujours d’accord sur tout, mais on s’efforce de ne pas en faire une affaire personnelle. »

Nowlin poursuit : « À mon avis, quand un quatuor se réunit, c’est parce que ses membres partagent des opinions musicales et l’amour de la musique de chambre. La sonorité de l’ensemble évolue de façon organique et n’est pas déterminée d’avance. Chacun trouve sa voix dans l’ensemble et prend certains éléments de chacun des membres du simple fait de jouer ensemble, ce qui a l’avantage d’équilibrer et d’uniformiser l’ensemble. »

Si la sonorité de chaque quatuor est la combinaison de la sonorité et de la musicalité de chaque membre, l’unisson et le juste équilibre jouent un rôle déterminant dans le succès de l’ensemble, selon M. Manker.

« Un instrument à cordes bien accordé avec des intervalles purs peut avoir une sonorité ample, voire imposante, explique-t-il. Notre sonorité est ample, parfois symphonique, mais nous savons aussi produire un son doux. Dans certains cas, le vibrato nuit à l’ensemble et mieux vaut éviter une surenchère, laissant les sons des instruments s’unir au lieu de se faire concurrence. En revanche, en d’autres occasions, le vibrato apporte une touche magique qui rehausse la couleur, la respiration musicale, exprime une émotion ou un sentiment d’urgence. »

Jusqu’à présent, le Nouveau Quatuor, dont les deux violonistes alternent à la place de premier et second violon à chacun des concerts (à l’instar du Quatuor Emerson), présente un jeu similaire au Quatuor Guarneri, né de la fusion du jeu des quatre instrumentistes, « et non de quatre musiciens qui jouent ensemble une œuvre », précise Nowlin. Il ajoute : « Je crois que ce qui nous distingue du Quatuor Orford n’est pas tant la sonorité de l’ensemble que le style de jeu de chacun d’entre nous et à ses opinions musicales. »

À la suite de l’enregistrement de trois albums et de plusieurs vidéos pour CBC, M. Wan affirme que l’ensemble a développé une sonorité qui lui est propre. Un critique a remarqué que le Nouveau Quatuor a atteint « une excellence technique, une qualité de son, une harmonie et une grande expressivité comparables à celles développées en un quart de siècle par son prédécesseur ». Selon Wan, « [il] est évident que la présentation de nombreux concerts aide en ce sens, mais l’analyse au peigne fin de nos enregistrements nous permet d’ajuster notre jeu pour harmoniser l’ensemble ».

Les membres du Nouveau Quatuor, liés par l’amour de la musique de chambre ou par des raisons professionnelles, comptent jouer autant que possible selon leurs horaires respectifs et collaborer avec la relève comme l’ont fait leurs prédécesseurs. « Jouer un tel répertoire s’avère bien souvent une leçon de modestie, car les partitions pour quatuor demandent une grande virtuosité. Nous avons chacun nos opinions bien ancrées et il est important d’accepter les idées des autres tout en mettant en valeur les siennes pour la continuité de l’ensemble. Au cours des cinq dernières années, nos rapports ont évolué, pour le meilleur ou pour le pire. Nous avons appris à mieux nous connaître du fait de notre collaboration et du partage de nos vues sur la musique. »

« Nous aimons partager notre savoir et chaque année, nous avons hâte à l’été pour partager notre expérience lors du séminaire pour quatuors à cordes à Orford, affirme Nowlin. C’est un événement stimulant et une belle occasion de transmettre nos idées à la relève. »

Enregistrements :
En 2011, le Nouveau Quatuor à cordes Orford lançait sous étiquette Bridge Records son premier album des derniers quatuors de Schubert et de Beethoven.
Cet automne sortira sous étiquette Naxos Canada un nouvel album consacré aux œuvres de musique de chambre de Jacques Hétu qui mettra en vedette le violoncelliste Colin Carr et l’altiste Steve Dann.
La parution d’un troisième album, sous étiquette Bridge Records, des quatuors op. 51 de Brahms est prévue en 2015.

Concerts à venir :
6 juillet : Music et autres mondes, Ottawa, Ontario;
10 juillet : Musique de Chambre à Ste-Pétronille, Québec;
12-18 juillet : Festival Orford, Québec;
20 juillet : Morningside Music Bridge, Calgary, Alberta

www.neworford.com

Traduction par Lina Scarpellini


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