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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 6

Wanda Kaluzny : Une musicienne et pionnière canadienne

Par Paul E. Robinson / 1 avril 2014

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Wanda Kaluzny

Il y a un an, deux grands maestros russes ont commis une bourde magistrale en tenant des propos sexistes concernant les femmes chefs d’orchestre. Vasily Petrenko, le directeur musical de l’Orchestre philharmonique royal de Liverpool, a déclaré que « les musiciens sont mieux dirigés par la baguette d’un homme chef d’orchestre ». À la tête de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, Yuri Temirkanov a affirmé que « la profession de chef d’orchestre requiert de la force. Or, la fragilité fait partie de la nature féminine ».

Ces chefs doivent être débranchés de la réalité, car nombreuses sont les femmes qui dirigent avec brio de grands orchestres de par le monde. Véritable figure de proue, Marin Alsop mène une carrière internationale. À la tête de l’Orchestre symphonique de Baltimore, la « maestra » dirige également l’Orchestre symphonique de São Paolo, au Brésil. Elle est devenue la première femme de l’histoire de la musique à diriger la fameuse Dernière nuit des Proms. Avec elle, on compte d’autres femmes dans cette profession.

JoAnn Falletta dirige l’Orchestre symphonique de Buffalo, Jane Glover, le Metropolitan Opera et Susanna Mälkki est régulièrement invitée à diriger des orchestres comme l’Orchestre philharmonique de New York et l’Orchestre symphonique de Chicago. Depuis longtemps, l’Orchestre symphonique de Dallas fait appel à des femmes chefs d’orchestre. Keri-Lynn Wilson a été chef associée de 1994 à 1998, Rei Hotada a été chef assistante et Karina Canellakis a été assignée à ce même rôle. Le Canada compte également plusieurs femmes à la tête d’orchestres. Tania Miller dirige l’Orchestre symphonique de Victoria et Anne Manson, celui de l’Orchestre de chambre du Manitoba. Susan Haig a été la directrice musicale de l’Orchestre symphonique de Windsor. Quant à Agnès Grossman, elle a fait un travail remarquable auprès des Chamber Players of Toronto et de l’Orchestre Métropolitain.

Toutefois, la première Canadienne à entrer dans la profession de chef d’orchestre, considérée alors la chasse gardée des hommes, n’est nulle autre que la montréalaise Wanda Kaluzny. En 1974, elle a fondé l’Orchestre de Chambre de Montréal (OCM) et cette année, elle soulignera son quarantième anniversaire à la direction de l’orchestre. Représentez-vous le Québec des années 1970 et imaginez un instant l’entrée de cette jeune femme dans le milieu de la musique, alors dominé par les hommes. À ce temps-là, il y avait, tout au plus, deux femmes qui menaient une carrière en tant que chefs d’orchestre : Sarah Caldwell et Antonia Brico. Au pupitre de chef d’orchestre, on retrouvait la plupart du temps un homme. Wanda Kaluzny semblait l’ignorer et qui plus est, ne s’en préoccupait pas du tout.

Elle n’avait que onze ans quand elle remplit les fonctions d’organiste et de directrice de chorale à l’église Sainte-Croix de Montréal. Un « baptême de feu », voilà les mots qui lui viennent à l’esprit quand elle se remémore ces années. Elle a certes démontré un talent et un sens de l’initiative exceptionnels pour son âge même si sa personnalité affirmée lui a valu parfois quelques contrariétés. Par exemple, quelques membres plus âgés de la chorale s’étaient plaints à ses parents, disant qu’elle « était très sévère durant les répétitions ». Mais la jeune Wanda demeura en fonction en raison des bons résultats qu’elle réussit à obtenir de l’ensemble.Elle reçut une bourse pour étudier la direction d’orchestre auprès de Stefan Stuligrosz en Pologne. Elle travailla par la suite avec Charles Bruck, à l’école de direction d’orchestre Pierre Monteux. Elle a ensuite été invitée à diriger des orchestres tant au Canada qu’en Europe pour découvrir que ce qu’elle aimait le plus, c’était diriger son propre orchestre dans sa ville natale. Mme Kaluzny est donc devenue le modèle à suivre pour les jeunes femmes désireuses d’embrasser la carrière de chef d’orchestre, et reconnue, à juste titre, comme pionnière dans le milieu musical. En 1999, elle a été lauréate du prix Femme de mérite de l’année de la Fondation YWCA et du Prix d’excellence des Femmes de carrière en interaction. En 2012, on lui a décerné la Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II pour son « engagement inébranlable à soutenir l’épanouissement musical des jeunes artistes et sa volonté de promouvoir des solistes, des compositeurs et des répertoires uniques en leur genre ». En fondant l’Orchestre de chambre de Montréal en 1974, Wanda Kaluzny a su tirer profit des nombreux musiciens talentueux cherchant un emploi à Montréal. Après la création de l’Orchestre Métropolitain, de nombreux postes de musiciens étaient alors disponibles. Les deux orchestres puisent à présent leurs musiciens dans le même bassin de talents. L’Orchestre de chambre de Montréal est, depuis ses débuts, un orchestre professionnel. Le financement pour le fonctionnement et l’essor de l’orchestre était, et demeure, une source de préoccupations. Au début, Wanda Kaluzby s’occupait de tous les volets de la gestion d’un orchestre : de la direction au financement, sans oublier la promotion et les questions de logistique. Heureusement, des membres du conseil d’administration et des bénévoles sont venus prêter la main, assumant plusieurs de ces responsabilités. Au dire de Mme Kaluzny, cela n’a pas toujours été rose. Comme tout orchestre, l’Orchestre de chambre de Montréal a connu des hauts et des bas au gré des conseils d’administration qui se sont succédé. Actuellement, l’orchestre peut compter sur l’appui d’un excellent conseil d’administration et, selon Mme Kaluzny, sur « une directrice générale hors pair en la personne de Mona Awad », ce qui lui permet de tirer satisfaction du travail accompli en toute tranquillité d’esprit.

L’Orchestre de chambre de Montréal est fier d’être un orchestre innovateur. Son budget limité ne lui permet certes pas de retenir les services de solistes commeYo-Yo Ma ou Joshua Bell, mais ne dit-on pas que la nécessité est mère de l’invention ? Aussi, les nouveaux talents ont la possibilité de se produire au sein d’un orchestre professionnel et de se faire remarquer par de plus grands orchestres et par les présentateurs de concerts. Par exemple, Jens Lindemann, Sharon Kam, Ben Heppner et bien d’autres musiciens et compositeurs canadiens ont fait leurs débuts à l’OCM. Wanda Kaluzny a révélé le talent de plusieurs compositeurs comme Jim McGrath (connu pour avoir composé la musique de la populaire série télévisée de CBC Republic of Doyle), John Plant et Louis Babin. L’OCM propose un abonnement donnant droit à cinq concerts à la salle Bourgie et offre plusieurs concerts gratuits à l’intention des enfants. Wanda Kaluzny caresse le projet de présenter des concerts à l’heure du lunch pour les gens d’affaire et les aînés réticents à aller au concert le soir. L’OCM soulignera son 40e anniversaire lors d’un concert de gala, le mardi 3 juin 2014, à la salle Bourgie. Des « anciennes » découvertes y seront à l’honneur comme la pianiste Sara Davis Buechner, la soprano Gianna Corbisiero et le trompettiste Jens Lindemann. De plus, le violoniste Fumiaki Miura, lauréat 2009 du premier prix du Concours international de violon de Hanovre, y interprétera le Concerto pour violon en mi mineur, op. 64 de Mendelssohn. Cette prestation marquera ses débuts en Amérique du Nord.

www.mco-ocm.qc.ca

Traduction par Lina Scarpellini


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