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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 3

En route avec Bishop : Le voyage musical de Suzie Leblanc en mémoire d’Elizabeth Bishop

Par Emilie White / 1 novembre 2013

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Suzie LeblancElizabeth Bishop, une des grandes poètes américaines du vingtième siècle, a vécu en Nouvelle-Écosse auprès de ses grands-parents maternels lors de sa tendre enfance. Cet endroit, qu’elle considérait son chez-soi, est le cadre de plusieurs de ses poèmes.

En 1978, un an avant son décès, Elizabeth Bishop écrit dans le journal Christian Science Monitor : « j’imagine que vous connaissez la baie de Fundy qui s’étend sur des centaines de milles et ses marées dont la hauteur peut atteindre 80 pieds. Le sol a la couleur de la terre cuite et la baie, par une journée ensoleillée, est tout rose; les champs sont jaunes et vert lime très pâle; en arrière-plan se dressent les conifères d’un bleu-vert sombre. C’est le paysage à la fois le plus simple, le plus triste et le plus riche du monde. »

Ce qui dans la poésie d’Elizabeth Bishop a attiré et touché la soprano Suzie LeBlanc, c’est l’esprit des lieux, ce sentiment d’appartenance qui en émane. Une découverte fortuite en 2007 dans un sous-sol d’église de la Nouvelle-Écosse. La chanteuse lyrique a alors décidé d’entreprendre une exploration en hommage à la poète. Ce « voyage », qui a duré sept ans, est le plus long et le plus émouvant jamais entrepris par Suzie Leblanc.

« Sa façon particulière d’évoquer les lieux, les gens et la nature faisait que je me sentais en quelque sorte liée aux Maritimes » affirme Suzie LeBlanc. « Elle n’y a vécu qu’une partie de son enfance pour n’y retourner qu’à l’âge adulte. Sa mère était originaire de cet endroit qui, sans aucun doute, est devenu sa mère patrie. »

Le disque de la soprano, qui souligne l’attachement d’Elizabeth Bishop envers la Nouvelle-Écosse, a été enregistré dans cette province avec des musiciens locaux. « Nous voulions honorer sa mémoire au Canada. Elle se plaisait à dire qu’elle était au trois quarts Canadienne et un quart Néo-Angleterrienne alors qu’elle était d’origine américaine. »

La soprano a laissé les quatre compositeurs libres de créer. « Alasdair MacLean et John Plant sont des admirateurs d’Elizabeth Bishop », rapporte-t-elle. « Christos Hatzis et Emily Doolittle ont choisi leurs poèmes et les ont assimilés de façon sublime. Je ne voulais en aucune façon intervenir. Je souhaitais qu’ils expriment ce qu’Elizabeth Bishop leur inspirait. »

Quelques poèmes de Bishop, « Sandpiper », « Anaphora » et « Insomnia » par exemple, ont déjà été mis en musique par plusieurs compositeurs américains réputés comme Elliot Carter. Luciana Souza, compositrice et chanteuse de jazz brésilienne, a également mis en musique certains poèmes dont « Insomnia ». Rappelons qu’Elizabeth Bishop a séjourné dix-huit ans au Brésil où elle a écrit la plupart de ses poèmes sur la Nouvelle-Écosse.

La récente pièce « Insomnia » d’Hatzis, inspirée de la musique pop des années 60 et en particulier celle des Beatles, est une tout autre version par comparaison à celle plus rêveuse de Carter et Souza. On peut lire dans le livret du CD le commentaire d’Hatzis : « La sagesse extravagante de Bishop, notamment à la fin du poème qui surprend par cette phrase « et tu m’aimes », est un retour en musique vers l’intérieur. » Si Hatzis s’est permis de répéter les derniers mots du poème, c’est pour mieux accrocher le public.

Leblanc affirme avoir souffert d’insomnie une fois le projet terminé : une expérience profitable en vue de sa prochaine tournée. Elle présentera un concert avec l’Orchestre de chambre du Manitoba en février prochain et déjà d’autres orchestres canadiens ont manifesté un intérêt. La soprano acadienne espère faire une tournée avec le quatuor du disque, le Blue Engine String.

L’album intitulé « I am in need of music » a été mis en musique par Hatzis qui a composé la chanson « Unbeliever » afin de créer une petite suite. La suite étant à ses yeux inachevée, il a obtenu la permission d’ajouter une autre chanson, une adaptation de Anaphora, pour mieux clôturer l’album.

Quatre autres poèmes ont été retenus par MacLean et Leblanc pour former un triptyque. Par exemple, « Dear, my compass », mis en musique auparavant par l’Américain John Harbison, a été ajouté. MacLean souhaitait que le triptyque raconte la famille, la communauté, l’amour durable, enfin la séparation imminente marquée par la fin de la vie. »

Deux pièces de plus longue durée sont l’œuvre du compositeur John Plant. Emily Doolittle offre une version plus longue de « A Short, Slow Life ».

L’enregistrement du DVD est une expérience qui a profondément transformé Suzie Leblanc. L’amour porté par l’intrépide Elizabeth Bishop pour les Maritimes, en particulier pour la Nouvelle-Écosse, explique sa traversée à pied de la péninsule d’Avalon à Terre-Neuve en 1932. « Marchant pendant trois semaines à Terre-Neuve en suivant le trajet décrit dans le journal d’Elizabeth Bishop, j’ai appris à connaître la poète. Le fait de retrancher du temps de ma vie trépidante pour me plonger en silence dans la nature sauvage m’a incité à réaliser ce projet. »

Le financement collectif du projet

Suzie LeBlanc savait que son ambitieux projet nécessiterait un financement dépassant la plus généreuse subvention du Conseil canadien des arts afin de rétribuer les quatre compositeurs, les musiciens, les chefs d’orchestre et les ingénieurs du son.

Intriguée par le phénomène du financement collectif par l’entremise de sites Web comme Kickstarter et Indiegogo, elle a décidé de tenter sa chance espérant que les amateurs de musique contemporaine canadienne et de la poésie d’Elizabeth Bishop appuieront son initiative. Elle a créé une annonce sur son site Web pour recueillir les dons. « Nous nous sommes dit que nous n’avions rien à perdre. » C’est ainsi qu’elle a décidé d’utiliser son site Web plutôt que les plateformes de financement collectif puisque que déjà dans le cadre de sa stratégie marketing, elle communique par courriel à d’éventuels donateurs et orchestre une activité de financement à Toronto.

Par l’entremise du blogue de financement collectif, une somme de 37 601 $ a été amassée. « C’est un excellent résultat. Je crois que nous avons amassé à peine quelques centaines de dollars en moins que la subvention que nous avons reçue. »

Le projet comprend également un film intitulé Walking with Elizabeth Bishop, produit par Linda Rae Dornan, qui a vu le jour grâce au financement récolté via Indiegogo.


I am in need of music, Centredisques (CMCCD 19413). 10 poèmes de Elizabeth Bishop, musique d’Emily Doolittle, Alasdair MacLean, John Plant et Christos Hatzis, Suzie LeBlanc, soprano, les musiciens d’Elizabeth Bishop, Dinuk Wijeratne, chef d’orchestre et le quatuor Blue Engine String. DVD en prime : Walking with Elizabeth Bishop.

www.suzieleblanc.com, www.centrediscs.ca, www.themco.ca

Traduction : Lina Scarpellini


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