Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 19, No. 3

Jazz : Improviser en région : Quand Rimouski débarque à Montréal

Par Marc Chénard / 1 novembre 2013

English Version...


Version Flash ici.

le GGRIL

Qui dit jazz, dit musique urbaine. De son berceau à la Nouvelle-Orléans, la note bleue a conquis le monde au cours du siècle dernier. S’emparant d’abord de Chicago et de New York, elle a enivré les grandes capitales européennes, passant de Londres à Paris pour ensuite se diffuser aux quatre coins du globe. Dans la foulée du free jazz des années 1960, une autre musique a vu le jour, qualifiée à défaut de « musique improvisée ». Ouverte à toutes les possibilités, elle se veut davantage une pratique musicale plutôt qu’un genre défini. De ce fait, elle peut rassembler des musiciens de toutes traditions et compétences instrumentales, amateurs et professionnels, et ce, dans un effort de création commune. Souvent décrites comme « expérimentales » ou « créatives », ces musiques ont une vie propre à elles, sans filon historique précis comme le jazz.

Chez nous en province, un bel exemple de cette réalité se retrouve dans la ville de Rimouski, située à quelque cinq cents kilomètres au nord-ouest de Montréal. D’une part, ce chef-lieu du Bas-Saint-Laurent est le théâtre d’un festival de jazz depuis plus de 25 ans, tenu annuellement le week-end de la fête du Travail. D’autre part, il est le siège de Tour de Bras, un organisme de production de musiques improvisées, qui lui aussi tient son propre événement d’automne : les Rencontres internationales de musique spontanée/
improvisée/nouvelle. Âme dirigeante de cette aventure depuis ses débuts en 2002, le bassiste électrique Éric Normand, 35 ans, a bien tiré son épingle du jeu. D’un regroupement de musiciens indépendants de la région, un ensemble à géométries variables a pris forme en 2007 : le Grand groupe régional d’improvisation libérée (GGRIL). S’étant doté de structures administratives et incorporé au sein d’un mouvement coopératif (La Coop Paradis), l’ensemble se produit dans un ancien théâtre de la ville.

Rejoint au bout du fil récemment, Normand brosse le portrait de l’ensemble dans sa configuration actuelle : « Au niveau de l’instrumentation, on a beaucoup de cordes, moi à la basse électrique et pas moins de trois guitaristes, tous autodidactes et ayant des approches tout à fait différentes. L’un d’eux a une sensibilité de jazz, un autre une approche bruitiste tout à fait déglinguée, alors que je viens plutôt d’un milieu rock et punk, des musiques auxquelles je me suis initié très jeune, découvertes en parallèle au free jazz. »

Pour certains, il serait difficile d’envisager que la mise sur pied d’une telle entreprise pourrait marcher en dehors des grands centres (déjà une dure tâche), mais Normand voit les choses d’un autre œil. « En ce moment, la musique improvisée est vraiment hot en région. En fait, il y a un aspect étrange à la présentation de la culture en province, soit la logique de toujours laisser les artistes de Montréal venir roder leur matériel chez nous. On veut sortir de cette logique en disant que nous pouvons aussi faire de la création dans notre coin et l’improvisation est à mon sens le meilleur moyen pour s’affirmer. »

Des concerts aux disques

De ses modestes débuts, Tour de Bras (comme le GGRIL) a gagné en confiance et en ambition en invitant des confrères de Montréal, mais aussi quelques pointures internationales, la plus connue à ce jour étant le saxophoniste
britannique Evan Parker. Membre d’un réseau national de dix présentateurs en musiques improvisées qui s’étend de Vancouver à Halifax (le Canadian Circuit for Improvisers), Tour de Bras bénéficie de fonds publics accordés à cette initiative pour promouvoir la cause de cette musique en région, globalisant du même coup son propre « village ».

À ce volet de spectacles s’ajoute l’étiquette de disques du collectif (http ://tourdebras.com). Plus de vingt titres sont inscrits au catalogue, la plupart provenant d’enregistrements en direct, étoffés par quelques productions studios, tous disponibles pour écoute en ligne, téléchargement sur achat ou en configuration CD pour certains titres. Par ailleurs, grâce à ses connexions, Normand a pu voyager à
l’étranger, dont une invitation à se produire dans un festival similaire en Australie, bel exemple s’il en est du dicton que la musique fait voyager.

Dans la foulée de son plus récent festival, qui a accueilli deux invités internationaux, le Français Jean-Luc Guionnet, organiste, et le saxophoniste autrichien, John Fischer, Tour de Bras viendra faire son tour à Montréal le 13 de ce mois (v. info en fin d’article) pour lancer le nouvel enregistrement du GGRIL, disponible – ô surprise ! – en format vinyle. Interrogé à ce sujet, Normand déclare : « On voulait produire un bel objet et le vinyle nous paraissait plus intéressant que le CD. Mais il y a l’aspect d’écoute aussi, liée à une limite de temps de 40 minutes. Un compact aurait été plus long, mais ce n’est pas nécessairement une bonne chose. J’aime bien l’idée des deux faces du vinyle, cela divise le tout en deux petites doses de 20 minutes. Pour ce qui est de la musique, une face comporte deux versions d’un même schème, basé sur un jeu de cartes traditionnel où chaque musicien en tire une au hasard, celle-ci lui donnant une certaine consigne. L’autre face en revanche offre deux improvisations collectives dirigées par deux chefs différents qui peuvent autant se compléter que se contredire dans leurs directives, la résultante étant une approche très ludique. »

Bien qu’éloigné de Montréal, Tour de Bras s’inscrit dans cette mouvance des musiques actuelles, incarnée chez nous par l’étiquette Ambiances magnétiques. Normand ne nie pas ce lien et ne perçoit pas de divergences idéologiques avec cette maison de disques, si ce n’est que les deux groupes sont de générations différentes et que leurs choix esthétiques sont plus concentrés sur la libre improvisation que les Montréalais. Pour Normand, l’improvisation demeure d’abord et avant tout un lieu privilégié d’échange, pas juste musical mais humain surtout. Et pour lui donner le dernier mot, « cette idée de rencontre est de mise en musique improvisée et cela fait partie de son hygiène ».

Le GGRIL – spectacle + lancement de disque.
Mercredi 13 novembre, le Patro Vys, 356, avenue du Mont-Royal Est, 20 h. Infos : brasderic@gmail.com


English Version...
(c) La Scena Musicale