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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 2

Auguste Descarries : un musicien québécois à redécouvrir

Par Hélène Panneton / 1 octobre 2013

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Auguste Descarries

C’est à juste titre que le nom d’Auguste Descarries commence à trouver résonance dans l’esprit des musiciens et mélomanes du Québec.

En décembre 1929, Descarries rentre à Montréal au terme d’un séjour de huit ans à Paris où l’avait conduit le Prix d’Europe en 1921. Au fil de sa carrière, il sera actif à titre de compositeur, professeur, concertiste, conférencier, maître de chapelle et organiste. À son retour au Québec, il éprouve cependant quelques difficultés à se tailler une place dans un milieu musical dont les chefs de file ne jurent que par la musique française. Or, en France, Descarries avait plutôt fréquenté des musiciens russes représentatifs du mouvement néoromantique. La musicologue Marie-Thérèse Lefebvre résume ainsi ses influences :

« En tant que pianiste, il s’inscrit dans le courant de l’école pianistique allemande représentée par les deux grands pédagogues du XIXe siècle, Franz Liszt et Teodor Leszetycki. Comme compositeur, il est l’héritier de la tradition beethovénienne défendue par de nombreux compositeurs russes issus des conservatoires impériaux de Saint-Pétersbourg et de Moscou, dont Léon et Jules Conus, Georges Catoire, Alexandre Glazounov et Nicolas Medtner. »

Ces influences transparaissent dans les œuvres sacrées que Descarries conçoit pour le culte à l’église Saint-Viateur d’Outremont où il est maître de chapelle de 1938 jusqu’à sa mort en 1958. Il compose des œuvres majeures en lien étroit avec l’action liturgique, à une époque où le prêtre, dos au peuple, célèbre encore la messe en latin. Nous sommes avant Vatican II. Le corpus de musique religieuse, qui a fait l’objet d’un tout premier enregistrement sur disque, comprend cinq motets pour voix solistes et orgue ainsi que six œuvres chorales, dont deux messes pour chœur à voix égales.

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On connaît les hautes exigences du chant qui n’a pas le soutien d’un accompagnement instrumental. Par contre, l’effet obtenu est saisissant. Dans une interprétation a cappella de la Messe brève, le caractère spirituel de la musique s’exprime idéalement, rehaussé par les techniques vocales héritées de la tradition chorale russe. La présence de l’orgue apporte par ailleurs beaucoup de dynamisme à la Messe des Morts, largement inspirée des thèmes grégoriens de la Liturgie des défunts et émaillée de passages dramatiques associés aux angoisses du Jugement dernier. Quant aux motets pour voix solo et orgue, ils sont empreints de lyrisme : la voix s’y déploie dans un très large registre, le caractère est expressif, souvent dans une grande liberté rythmique – un défi pour les interprètes les plus chevronnés ! Mentionnons en ce sens l’admirable Pie Jesu, composé en 1942 à l’occasion des funérailles du sénateur Raoul Dandurand.

Il faut songer que ces œuvres sacrées, les seules à être accessibles au public, ne représentent que le huitième de la production totale du compositeur. Car Descarries a aussi écrit des mélodies et plusieurs œuvres de musique de chambre. Mais c’est sans doute dans ses pièces pour piano qu’il trouve un mode d’expression idéal, lui qui, au dire de ses élèves et de ses proches, était un improvisateur prodigieux au clavier (orgue ou piano). On sait qu’il avait eu le plaisir de fréquenter Nicolas Medtner lorsque celui-ci était en France, et qu’il lui demandait des conseils, en particulier sur les notions de rythme, en plus de causer musique avec lui autour d’une bonne table en compagnie de leurs femmes respectives. L’influence de ce compositeur-pianiste réputé, né à Moscou en 1879, est surtout notable dans la Sonate pour piano de Descarries (1953).

C’est toutefois par sa Rhapsodie canadienne (1928) que Descarries se fait connaître chez lui. Basée sur deux thèmes folkloriques, Marianne s’en va-t-au moulin et Isabeau s’y promène, l’œuvre est un véritable concerto pour piano et orchestre qui est créé en 1936 par le pianiste américain Helmut Baerwald sous la direction de Wilfrid Pelletier à la tête de la Société des concerts symphoniques de Montréal. À quand une nouvelle interprétation de cette grande Rhapsodie ? Les partitions sont à l’état de manuscrit… et il faudra compter sur l’audace d’un chef d’orchestre capable de soulever l’enthousiasme de ses musiciens et de ses partenaires financiers pour réaliser un tel projet. Pourquoi l’un des premiers concertos pour piano de l’histoire du Québec ne trouverait-il pas preneurs en un chef et un pianiste virtuose qui s’emploieraient à le sortir de l’oubli ?

Quoi qu’il en soit, l’année 2013 marque un jalon important dans la redécouverte d’un musicien d’envergure. Auguste Descarries resurgit comme une pièce manquante dans le paysage musical des années 1930 à 1960 au Québec, auquel il aura apporté une contribution remarquable. 

CHRONOLOGIE D’UNE REDÉCOUVERTE
23 avril 2012 : fondation de l’Association pour la diffusion de la musique d’Auguste Descarries.
Novembre 2012 : enregistrement à l’église Saint-Viateur d’un premier disque consacré à ses œuvres sacrées sur étiquette Espace 21.

11 octobre 2013, église Saint-Viateur d’Outremont, dans le cadre du centenaire de l’église et de l’orgue Casavant opus 520 :
19 h – Conférence présentée par la Société québécoise de recherche en musique : « Auguste Descarries, le plus russe des musiciens québécois »; Marie-Thérèse Lefebvre, musicologue; Gabrielle Beaudry, pianiste.
20h – Lancement du disque de ses œuvres sacrées (Espace 21) dans un grand concert pour 2 chœurs, 5 solistes et orgue. Lancement d’une partition de la Messe des Morts aux éditions du Nouveau Théâtre Musical.

Décembre 2013 : publication d’un article musicologique de quarante pages dans Les Cahiers des Dix.
26 janvier 2014 : concert de ses œuvres sacrées dans la série « Les Saints-Anges en musique » à Lachine.

L’organiste Hélène Panneton est présidente-fondatrice de l’Association pour la diffusion de la musique d’Auguste Descarries (ADMAD). www.associationaugustedescarries.com


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