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La Scena Musicale - Vol. 19, No. 1

Jazz : ONJ Montréal, critiques

Par Marc Chénard / 1 septembre 2013

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Et c’est parti ! ONJ Montréal

l'ONJ

Le 6 juillet dernier, dans le cadre de la plus récente édition du FIJM, un concert d’exception s’est déroulé, soit la première d’un ensemble montréalais des plus prometteurs: l’Orchestre national de jazz de Montréal. Réunissant la crème de notre élite jazzistique, cette formation proposa un programme recoupant à la fois des compositions originales de ses membres et des pièces de répertoire, dont des arrangements de chansons de Joni Mitchell et quelques pages réorchestrées de l’album Africa Brass de John Coltrane. Éclectique dans ses choix, l’orchestre s’est donné à fond pendant une bonne heure et demie et ne put tout jouer son programme par souci de ne pas trop allonger la soirée.

Mais ce spectacle de l’ONJ Montréal (le « de » a été supprimé depuis) n’était pas qu’une initiative éphémère, applaudie le temps d’un soir, mais bien le coup d’envoi d’une saison complète d’activités, lancées dès ce mois-ci (le jeudi 19) à l’Astral de la Maison Rio Tinto Alcan.

Le seul fait de rassembler 16 musiciens sur une base régulière est un défi de taille. Pourtant, il faut féliciter la ténacité de son fondateur Jacques Laurin. Rencontré au cours de l’été, ce contrebassiste de formation et preneur de son de métier retrace les principaux jalons de l’aventure, livrant aussi quelques informations sur sa première saison d’activités et les projets à plus long terme. Laurin, faut-il d’abord savoir, n’en est pas à ses premières tentatives de promotion de la note bleue dans notre communauté. En effet, dès les années 1980, il a édité une collection de compositions de jazzmen de chez nous, Les Cahiers du jazz, le premier volume d’une série hélas sans lendemain. Lors de la dernière décennie, il avait tenté vaillamment de donner une visibilité à notre communauté par le « Rassemblement des musiciens de jazz du Québec », mais ne put assurer une continuité, faute d’une mobilisation suffisante. Mais comme il n’y a jamais deux sans trois, Laurin revient à la charge avec cette nouvelle entreprise, de loin la plus ambitieuse de toutes.

Une idée qui a fait son chemin

« L’idée d’origine remonte à 2005, déclare-t-il, et celle-ci partait du constat suivant: en théâtre, en danse et en musique aussi, la musique classique à titre d’exemple, on retrouve des organismes établis de longue date dans notre communauté qui jouissent de solides appuis financiers (tant privés que publics). Je me suis donc posé la question: pourquoi ne pas faire la même chose pour le jazz ? »

Pour les amateurs, l’acronyme ONJ évoque une formation similaire mise au monde en France il y a déjà plus d’un quart de siècle. (Depuis, il en existe d’autres, dont un assez récent en Écosse.) Avec ces précédents en tête, Laurin a donc envisagé d’établir un ensemble permanent destiné à se produire sur une base mensuelle (l’objectif visé) et a alors entrepris des discussions avec André Ménard du FIJM. La voie était ainsi ouverte pour le concert inaugural de l’été dernier, mais aussi à d’autres, soit sept au total, qui se poursuivront jusqu’en mai prochain. Après la première de ce mois-ci, l’ONJ sera de retour sur scène le 1er novembre et le 13 décembre avant de faire relâche jusqu’en février 2014.

Aussi important que soit le contenant, il faut aussi l’alimenter par du contenu. Suivant son statut de coopérative, l’orchestre est géré de manière collective, mais quatre de ses membres en assurent la ligne artistique: Christine Jensen, directrice artistique de cette saison, Marianne Trudel, Samuel Blais et Jean Nicolas Trottier. Ce dernier, tromboniste de relève de premier plan et compositeur de grand talent, assumera la direction de ce premier rendez-vous d’automne et il proposera un programme en deux volets, le premier regroupant des titres de sa propre plume, l’autre des compositions de Thad Jones (cofondateur avec le batteur Mel Lewis du légendaire big band du lundi soir au Village Vanguard de New York). À cet effet, Laurin déclare que cette double vocation, de présenter la musique originale de ses membres et des pièces du répertoire orchestral, constituera les principales assises de l’ONJ. De plus, il vise à ce que la musique soit la mieux travaillée possible, prévoyant pas moins de trois répétitions avant chaque concert.

À l’approche de cette première soirée, Laurin, en tant que directeur administratif, multiplie ses démarches, notamment l’établissement d’un plan d’affaires qu’il remet en ce moment à différentes instances publiques et privées.

Sur le plan artistique, cet orchestre ne manque pas d’ambition non plus, car il caresse déjà l’idée de faire appel à des compositeurs d’ici et d’ailleurs ou à des solistes de renom, et même d’augmenter son effectif pour des projets ponctuels. À plus long terme, Laurin souhaite faire tourner l’orchestre, en province bien sûr, ou encore dans le reste du Canada, un autre défi en soi. Mais comme le jazz est une musique d’individualistes, chacun travaillant ses projets en petites formations, cela a longtemps nui à la reconnaissance de la musique auprès des décideurs culturels et du public. Par son effet rassembleur, l’ONJ offre une solution de rechange, sinon un moyen de remédier à cette situation. La table est donc mise en ce moment et tous les espoirs sont permis. Voici donc une occasion à saisir pour tout bon amateur de jazz qui se respecte ou plutôt qui respecte cette musique déclinée en grand nombre, et ce, tous genres confondus.

 » Rappel
Orchestre national de Jazz – Montréal
Jeudi 19 septembre, l’Astral (Maison Rio Tinto Alcan) 20h Direction: Jean-Nicolas Trottier
Œuvres de Trottier et de Thad Jones

 » Prochains rendez-vous
1er novembre, salle du Gesù (sous la direction de Christine Jensen)
13 décembre, l’Astral

 » Sur la toile: www.onjm.org

 » À voir: Extrait du concert du 6 juillet au FIJM

Entrevue filmée avec Laurin

 

CRITIQUES : Enfin dans nos bacs

Depuis près de cent ans, le soi-disant « Vieux » Continent a donné un sérieux coup de pouce à cette « jeune » musique américaine. Combien d’Américains ont bénéficié de cette attention pour faire valoir leur art à juste mesure ?... Combien de jeunes talents ont fait leurs premières armes sur des petites maisons d’Outre-Atlantique pour ensuite percer chez eux ?... Parmi ces étiquettes indépendantes qui misent sur l’audace, Intakt Records de Suisse est un cas patent de cet état de fait. Longtemps introuvable chez nous, ses titres se retrouvent désormais chez nos braves disquaires qui tiennent encore le coup. Voici quatre nouveautés, méritant toutes quatre étoiles, disponibles en magasin depuis peu. Merci à Naxos d’en assurer la distribution.

Aki Takase – My Ellington (Intakt 213)
Quelle meilleure porte d’entrée pour le néophyte qu’un disque piano solo dédié à Duke Ellington. Japonaise d’origine mais Berlinoise d’adoption, Aki Takase démontre qu’elle sait comment jouer cette musique et comment jouer avec elle aussi. Elle connaît les techniques traditionnelles du swing, mais sait aussi s’en écarter avec des échappées plus libres, savamment dosées. Son programme de 17 pièces réparties sur une heure est bien varié, recoupant des thèmes célèbres du maestro et d’autres plus obscurs. Jamais tradition n’a sonné aussi bien et aussi actuelle.

Mark Feldman – Sylvie Courvoisier Duo Live at Théâtre Vidy-Lausanne (CD 210)
Résolument moins jazz, le duo violon et piano de Mark Feldman et Sylvie Courvoisier penche davantage du côté d’un classicisme contemporain parsemé de lueurs postromantiques ou sérielles. Quatre improvisations brèves totalisant 15 minutes suivent trois compositions plus longues qui font preuve d’autant de virtuosité dans la conception que dans l’exécution. Après trois disques en quartette pour cette compagnie, ces conjoints reviennent ici à leurs premières amours, tirant leur épingle du jeu avec leur brio habituel.

Christof Irngier Trio – Gowanus Canal (CD 223)
Inconnus, ces trois jeunes matadors, sous la direction du saxo Christoph Irngier, se présentent dans une formule instrumentale presque classique: le trio saxo, basse et batterie. Bien que cette combinaison soit emblématique d’un certain post bop ou du free jazz, ces messieurs proposent une musique moins éclatée, nous donnant l’impression de choisir soigneusement chaque note. En moins de 45 minutes, ils interprètent neuf pièces de leur cru, la plus longue frisant les sept minutes. Plutôt que d’être décoiffante, la musique demeure assez bien coiffée.

Trio 3 + Jason Moran – Refraction Breakin’ Glass (CD 217)
L’amateur de plus musclé sera servi ici. Trois vétérans de la musique noire américaine (Oliver Lake, Reggie Workman et Andrew Cyrille, autrement connus comme le Trio 3) poursuivent ici une aventure commune entamée il y a plus de 15 ans. Chez Intakt, ils ont fait appel aux services de pianistes comme Irène Schweizer et Geri Allen, recrutant Jason Moran pour cette nouvelle cause. Ce dernier se prête très bien au jeu de ses aînés, si bien qu’on parlerait d’un quartette et non d’un 3+1. Certains apprécieront le tranchant sonore du saxo Lake, mais d’autres pourront avoir des réserves sur sa justesse. À vous d’en juger.


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