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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 3 novembre 2012

Le Legs Herreweghe

Par Bill Rankin / 1 novembre 2012

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Alors qu’il était étudiant en médecine à l’Université de Gand dans les années 1970, Philippe Herreweghe a créé une chorale afin d’explorer de nouvelles façons de mettre en valeur la musique vocale baroque et de la Renaissance. Cet intérêt pour les pratiques chorales originales du baroque a attiré l’attention de Nikolaus Harnoncourt et de Gustav Leonhardt, eux-mêmes pionniers de l’interprétation éclairée par l’étude historique, et ils ont invité le chef belge et son chœur à contribuer à leur enregistrement de l’ensemble des cantates de Bach.

Il y avait un décalage entre ce que faisaient les adeptes des instruments d’époque et les chanteurs au moment où Herreweghe, maintenant âgé de 65 ans, a fondé le Collegium Vocale Gent en 1970, explique Ivars Taurins, directeur musical du Tafelmusik Chamber Choir. Celui-ci avait chanté en concert, quand il était étudiant, dans la formation dirigée par Herreweghe. « Son chœur s’est constamment amélioré. Il avait déjà une sonorité remarquable, et il demeure différent de ce que j’appelle les chœurs utilitaires », fait remarquer le chef trentenaire.

Selon Taurins, les innovations de Herreweghe influencent le monde choral depuis des décennies, y compris son propre travail avec le chœur Tafelmusik. Il estime que le son distinctif du Collegium Vocale a frappé l’imagination de nombreux ensembles et chefs d’orchestre. « Leur recherche m’a inspiré le désir d’atteindre un son choral idéal. »

Le style adopté est celui d’un son pur, avec relativement peu de vibrato, celui-ci étant réservé à l’ornementation. Ce style a été largement adopté, mais avant l’époque de Herreweghe, la musique baroque s’écoutait à travers le filtre d’une sensibilité romantique très expressive.

Le son du Collegium Vocale est également caractérisé par une justesse parfaite, même si cette notion demeure étonnamment flexible. À ce propos, « il faut savoir que les systèmes d’intonation ont changé au fil des siècles, dit Taurins. Si vous écoutez les Tallis Scholars chanter la musique de la Renaissance, demandez-vous pourquoi chaque accord résonne si magnifiquement : c’est parce qu’ils sont conscients de ce système d’intonation pure. » Les Tallis Scholars sont un ensemble fondé par Peter Phillips en 1973.

Ces dernières années, Herreweghe a adapté la sonorité de son chœur à différents répertoires, y compris des œuvres de compositeurs baltes et scandinaves. Il prévoit une programmation complète de musique occidentale pour ses ensembles instrumentaux.

Taurins croit que la philosophie musicale de Herreweghe englobe quelques grandes ambitions. En plus de son exigence de la justesse, le Belge cherche une interprétation pure de Bach : « Sans aller jusqu’à parler de passion, c’est une attitude très profondément émotionnelle. Son travail, en particulier avec Bach, produit quelque chose de très simple et direct, mais il y a beaucoup de réflexion et de dévouement derrière cela... Ce n’est pas juste une question de phrasé, d’articulation, d’intonation, de nomenclature ou de tout aspect grammatical du texte, mais c’est le contenu des œuvres qui est déterminant. »

Herreweghe écrit dans ses notes pour le dernier enregistrement des motets de Bach par le Collegium Vocale : « Il est si facile de se perdre dans les méandres de la virtuosité vocale, l’esthétisme, les rythmes gratuitement extravagants, l’enjolivement ou des formes artificielles d’expression... Pour notre part, nous avons cherché à respecter une seule ligne de conduite dans notre approche : chanter et jouer le texte en “prédicateur inspiré” (et jeune de surcroît) qui transmet le message à ses paroissiens afin de les convaincre par l’émotion, qui ne peut que renforcer le pouvoir de conviction. »

« L’approche de Herreweghe est discrète, mais toujours dans le souci de la beauté formelle », explique le contre-ténor canadien Matthew White, directeur adjoint nouvellement nommé de la formation Early Music Vancouver, qui a enregistré deux séries de cantates de Bach et des œuvres de Heinrich Schütz avec le Collegium Vocale. Celui-ci ajoute que « c’est très différent du style plus théâtral ou de l’approche viscérale que j’associe avec quelqu’un comme Bernard Labadie ou John Elliot Gardner. Il a une attitude d’humilité, surtout à l’égard de la musique sacrée. Il ne veut surtout pas faire de cabotinage ».

Herreweghe a donné une attention accrue au texte dans ses interprétations. « Il est obsédé par la rhétorique et par la communication du texte sans aucune fioriture, dit White. Une bonne partie de son travail en répétition, que j’ai toujours trouvé très intéressant et utile, c’est de nous regarder intensément pour déterminer si on communique le texte, si on l’incarne constamment... S’il voit qu’on se met en mode chanteur, où on produit des sons pour faire joli, il met fin à cela en protestant : Non, non. Ce n’est pas ça, c’est quelque chose de plus profond. Vous devez vous connecter avec le texte. Une grande partie de la musique baroque concerne la compréhension de la rhétorique et du texte. Alors, elle devient authentique et réelle. »

Des mots comme « humble », « authentique », « vrai », « réel » reviennent dans les conversations sur Herreweghe, mais selon Christopher Jackson, fondateur du Studio de musique ancienne de Montréal, le plus ancien groupe de musique baroque au Canada, ces notions d’authenticité ne sont pas reliées aux obsessions des experts en musique ancienne qui ont influencé les débuts de la renaissance baroque au 20e siècle.

« Le mot authentique ne peut être interprété comme une approche muséale et puriste à cette musique, tout sauf ça, insiste Jackson. [Herreweghe] est beaucoup plus intéressé par le fond de la musique elle-même que de savoir si on fait un trille de telle façon ou si on joue d’un instrument de telle autre. »

White est d’accord avec Jackson, qui reconnaît l’influence de Herreweghe sur sa propre pratique chorale, mais il se félicite également de ce que les premières recherches sur la pratique originale du baroque ont apporté aux générations suivantes d’interprètes.

« On dit que ces gens étaient trop intéressés par la théorie, dit White. Ils ont passé beaucoup de temps à faire des recherches que la nouvelle génération n’a pas eu à faire. Or, il y a toute une génération de gens très talentueux qui considérait les “Birkenstock”, comme on les appelait, comme du monde qui perdait son temps. Toutefois, plusieurs musiciens parmi les plus excellents reconnaissent la validité de ce travail. Nous sommes maintenant à une sorte d’âge d’or, quand tout ce savoir vient rendre la musique plus expressive, en plus de tout le talent international qui existe. Nous avons vraiment le meilleur des deux mondes. »

L’authenticité que Herreweghe véhicule ne tient pas de l’intégrisme religieux. Bach a écrit une grande partie de sa musique pour l’église ; aussi, une représentation de l’Oratorio de Noël (qui concerne vraiment la naissance de Jésus, contrairement au Messie de Haendel que l’on entend constamment à ce temps de l’année) aura une saveur religieuse.

White pense que Herreweghe va au-delà de la ferveur chrétienne dans son interprétation. « Je sens qu’il a une vénération non pour la sainteté, mais pour la beauté de la musique, explique-t-il. Il se met en retrait, ce qui fait qu’au lieu de Herreweghe, on entend Bach. J’aime beaucoup cela, d’autant plus que l’interprétation des grands chefs d’orchestre du 20e siècle me pose problème. Je ne pense pas qu’il faille nécessairement être partout et dicter ce qu’on est censé ressentir. »            

Traduction : Anne Stevens


Festival Bach de Montréal

Le Collegium Vocale Gent se produit surtout en Europe, bien que le prestigieux ensemble vocal belge ait fait des tournées en Amérique du Sud et en Asie, et occasionnellement à New York. Après plus de quarante ans à sa tête, Philippe Herreweghe amène ses spécialistes en musique vocale baroque et ses instrumentistes accompagnateurs (45 musiciens au total), pour présenter l’Oratorio de Noël, une cantate en six parties de Bach, à Montréal (début local les 12 et 13 décembre), Toronto (le 14) et à New York (le 15).

Alexandra Scheibler, directrice du Festival Bach de Montréal qu’elle a fondé il y a six ans, explique que la participation du Collegium Vocale a nécessité plusieurs années de préparation. Le soutien financier obtenu du gouvernement de la Belgique a rendu possible la mini-tournée du chœur avec escales au Canada.

Le Festival oriente toujours sa programmation sur Bach. Les concerts comprennent de grandes œuvres telles que l’Oratorio de Noël que le Collegium Vocale chante à la demande de Scheibler, ainsi que du jazz, et même du Beethoven et du Bruckner. Tout lien, aussi ténu soit-il, avec l’ancêtre de la grande musique peut suffire à justifier l’inclusion : « Puisque Bach est le fondement de tout ce qui a suivi, toute musique sonne bien avec Bach. »

Scheibler, une musicologue formée en Allemagne qui a écrit sa thèse sur la musique sacrée de Leonard Bernstein, se souvient qu’après son installation à Montréal en 2005, aux alentours de Noël, elle n’a pas trouvé un seul groupe qui interprétait l’Oratorio de Noël. C’est la principale raison qui a inspiré la fondation du Festival Bach de Montréal, qui se déroule cette année du 1er au 13 décembre.

Le Messie est omniprésent en Amérique du Nord. En Europe, les gens écoutent les cantates sacrées de Bach qui concernent plus précisément la naissance du Christ.

Le festival donne une impulsion à la vibrante scène locale de la musique baroque, mais Scheibler invite également des étoiles mondiales. L’Akademie für Alte Musik Berlin y était en 2009, et Ton Koopman, parrain d’honneur du Festival, y a participé à plusieurs reprises, notamment dans une Passion selon saint Jean avec l’OSM l’année dernière. Il y a quatre décennies, Koopman faisait avec la musique instrumentale ce que Herreweghe a fait dans le domaine de la musique vocale.

Christopher Jackson dit que les Montréalais apportent un soutien exceptionnel à la musique baroque. Le premier concert de son propre groupe, il y a 39 ans, a attiré près de 400 auditeurs, pratiquement sans aucune publicité.

« Montréal est un phénomène inhabituel en Amérique du Nord, dit Jackson. Je ne sais pas s’il existe une autre ville où travaillent 16 ensembles de musique ancienne. Le calibre des musiciens est excellent. » Malgré l’enthousiasme des Montréalais pour le baroque, la métropole ne figure pas sur la liste de tournée des groupes internationaux comme le Collegium Vocale. Jackson est heureux que le Festival Bach ait pu attirer de tels artistes : « Il rassemble un grand nombre de groupes locaux tout en nous permettant de recevoir des formations internationales. Cela permet d’intensifier les échanges. »

bach-academie-montreal.com  
performance.rcmusic.ca


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