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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 2 octobre 2012

Bruce Mather : 45 ans d’assiduité à l’écriture musicale

Par Louise Bail / 1 octobre 2012

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Installé à Montréal depuis 1966, Bruce Mather, Torontois d’origine (1939), fait carrière à l’Université McGill en tant que professeur de composition, d’écriture et d’analyse (1966-2001). Il y dirige l’Ensemble de musique contemporaine (1981-1996) et y prône le maintien d’un esprit ouvert et international. Amoureux de la culture française, il s’intègre très tôt dans les milieux montréalais de la musique. Il participe au lancement de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), dont il fait partie des premiers conseils d’administration (1967-1980). L’ampleur du catalogue de ses œuvres nous laisse entrevoir un besogneux d’écriture qui cultive l’art dans tous les aspects de la vie et un curieux à la recherche de toute nouvelle exploration sonore et stylistique.

Mather est décrit par ses commentateurs comme un esthète rigoureux et implacable lorsqu’il s’agit de démontrer les qualités d’une bonne musique. C’est à travers ses opinions sur divers aspects de la musique et la façon dont elle est exécutée et diffusée que l’homme livre le plus explicitement sa position esthétique et le sens de son engagement social par la musique. Ne lui demandez pas de vous décrire ce qu’il cherche à exprimer dans sa musique, il vous dira qu’il pourrait le faire s’il était poète. Ne l’étant pas, il dit ne pouvoir traduire en mots ce que la musique articule en sons.

Sa musique est certes comme un poème. L’ami du compositeur, regretté Bengt Hambraeus, décrit ainsi le passage d’une de ses œuvres, Music for Organ, Horn and Gongs (1973) : « Des vagues qui se chevauchent, engloutissent; des passages d’un son à un autre; une continuité sans faille où des structures nouvelles naissent de façon presque inaudibles… ».

Cette description incitant à la contemplation et à la méditation, « comme un dessin à la plume autour d’une idée poétique », est un des aspects les plus singuliers de la musique de Mather que l’auditeur reconnaîtra sans peine dans l’œuvre Pommard. Ce dernier trait de caractère le conduit à écrire spontanément l’œuvre Pommard pour le quatuor de violoncelles Ponticello. Toujours à l’affût d’interprètes pouvant partager ses vues esthétiques, il allègue n’avoir jamais écrit pour quatuor à cordes, adorer la sonorité des cordes graves et surtout avoir été impressionné par le jeu des membres du Quatuor Ponticello, qu’il avait eu l’occasion d’entendre lors d’un des concerts de l’Ensemble contemporain de Montréal dirigé par Véronique Lacroix en 2009.

Dans Pommard, les quatre violoncelles participent en effet à un entretien chuchoté où, en un délicat contrepoint, s’entrecroisent de très infimes et plus larges intervalles mélodiques (quarts de ton et demi-tons contre des sixtes mineures), des rythmes en doubles croches et des modes de jeu (pizzicati et frottements sul ponticello), qui glissent les uns sur les autres sans empêcher que des bribes plus incisives et marquées traversent la trame sonore pour affirmer l’identité des protagonistes, « créant ainsi une illusion de distance et de proximité ». Une coda fortissimo, sur une succession d’accords formant choral, se résorbe à l’unisson des parties, comme un bon vin dont on voudrait encore capter la robustesse en bouche…

Car Pommard partage d’autres similitudes avec le grand œuvre de Mather, ce qui lui fait prendre son rang dans l’évolution de la démarche compositionnelle. La pièce est écrite selon le système en quarts de ton découvert à la suite de la rencontre de Mather avec Wyschnegradsky en 1974. Impressionné par cette théorie qui divise « l’octave en intervalles plus petits que le demi-ton, avec des unités allant du quart au douzième de ton, [c]es micro-intervalles serv[a]nt à créer des subdivisions symétriques d’espaces non octaviants, autrement dit d’intervalles autres que l’octave », Mather a trouvé que ce système ouvrait de nouvelles possibilités d’écriture et l’a exploité jusqu’à en devenir l’un des maîtres exemplaires. Il n’a jamais cessé de composer en microtonalité depuis, comme le confirme Pommard, à écouter au microscope, car l’œuvre nous introduit dans l’univers physique de l’infiniment petit, univers qui ouvre les portes d’expériences spirituelles très intenses et expressives.

Pommard, c’est aussi la dernière cuvée d’œuvres « vineuses » (une vingtaine de titres depuis 1977), comme les désigne avec un brin de malice Mather. Y a-t-il des comparaisons à établir entre le vin et l’œuvre ? Il est aussi difficile de décrire un vin qu’une musique, nous explique-t-il encore. Certains rapprochements peuvent être faits, mais on ne peut aller au-delà. Le pommard est un vin rouge assez riche et corsé de Bourgogne. L’œnologue chevronné établit ainsi le type de correspondance générique entre le vin et la musique : « Un bon vin représente un équilibre entre le tanin, le sucré et l’acidité. Une bonne œuvre musicale représente aussi un équilibre entre, d’une part, l’intelligence, l’organisation des matériaux et, d’autre part, l’expressivité, l’émotion et le langage. »

Musicien éminent et subtil, Bruce Mather est certainement l’une des figures marquantes de la musique contemporaine montréalaise. Son langage compositionnel, clair mais sans crudité, naturel et tout en nuances, invite à jouir par l’audition. Homme cultivé et aux aguets d’expériences significatives, Mather transpose dans sa musique l’art de la dégustation que dénote son amour pour les vins exceptionnels. Une musique aux rares effluves pour un vin aux rares résonances.

• Écrit pour le Quatuor Ponticello, à l’occasion de son 10e anniversaire, le premier quatuor à cordes de Bruce Mather était présenté pour la première fois le 14 mai 2012. L’œuvre sera de nouveau présentée à dix reprises durant la saison 2012-2013. Liste des concerts sur le site Web.
www.quatuorponticello.com

Travaux de nuit (pour ensemble et baryton), l’Atelier de musique contemporaine sous la direction de Lorraine Vaillancourt, Salle Claude-Champagne, le 8 avril 2013.
www.musique.umontreal.ca/ensembles

Source : Compositeurs canadiens contemporains. (L. Laplante, dir.). Montréal : Les Presses de l’université du Québec


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