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La Scena Musicale - Vol. 18, No. 1 septembre 2012

En souvenir de Fischer-Dieskau

Par Joseph So / 1 septembre 2012

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Le monde de la musique est en deuil depuis la disparition récente d’une icône de l’opéra, d’un artiste hors du commun: le baryton allemand Dietrich Fischer-Dieskau. Il est, sans aucun doute, le plus grand chanteur lyrique germanique de la seconde moitié du vingtième siècle.

Né à Berlin en 1925, d’une famille bourgeoise, Fischer-Dieskau débute le chant à l’âge de 16 ans, mais ses études sont interrompues lorsque éclate la Seconde Guerre mondiale. Mobilisé dans l’armée allemande en 1943, il est fait prisonnier en 1945, en Italie où il séjournera deux ans dans un camp. En 1947, il retourne dans son pays natal où il fait ses débuts dans le Requiem allemand de Brahms en tant que baryton soliste. Il est engagé au Städtische Oper Berlin (maintenant Deutsche Oper Berlin) en qualité de baryton résident et fait ses débuts à l’opéra dans le rôle de Rodrigo de Don Carlos de Verdi. Sa carrière gravite autour de Berlin et Munich avec quelques incursions à Hambourg, Salzbourg et Vienne ainsi que dans des opéras et des salles de concert en Suisse, en France, en Italie et en Grande-Bretagne. Il a entrepris une tournée en Amérique du Nord en 1950, mais ses apparitions dans le Nouveau Monde se sont raréfiées par la suite. Aussi, le public canadien n’a pu l’apprécier qu’en de rares occasions.

La carrière de Fischer-Dieskau fut impressionnante par la quantité et la diversité de ses œuvres artistiques non seulement en tant qu’interprète, mais également en qualité de chef d’orchestre, d’auteur et de peintre. On rapporte qu’il est le chanteur classique comptant le plus d’enregistrements, fait qui n’a pas été démenti. Au cours de sa carrière qui s’est échelonnée sur plus de quarante ans, de 1951 jusqu’à son retrait de la scène en 1992, il a enregistré sous plusieurs étiquettes (principalement EMI, DG et Orfeo): des opéras intégraux dans la langue originale ou en allemand, quelques opérettes, des oratorios, des récitals d’arias, des solos dans des œuvres symphoniques et un énorme répertoire de mélodies. Il enregistra le cycle complet de lieder La Belle Meunière, son premier de ce type de répertoire, avec Gerald Moore, un pianiste anglais qui fit son éducation musicale au Canada. Ce partenariat entre Fischer-Dieskau et Moore a duré longtemps, et ce, même au-delà du concert d’adieu du pianiste en 1967. En effet, c’est en 1972 que tous deux complètent l’ambitieux projet d’enregistrer la presque totalité des 600 lieder de Schubert, du moins ceux qui étaient adaptés à la voix masculine, une tâche colossale il va sans dire. Ces enregistrements sont d’ailleurs devenus le point de référence pour les suivants. En tant que chef d’orchestre, Fischer-Dieskau a laissé à la postérité un nombre respectable d’enregistrements d’œuvres de Berlioz, Brahms, Mahler, Schubert, Strauss et Wagner. À Munich, il chanta Arabella en compagnie de sa quatrième femme, la soprano roumaine Julia Varady qu’il épousa en 1977. Il la dirigea dans l’enregistrement de deux albums sous l’étiquette Orfeo: un album d’airs d’opéras allemands et l’autre, les Wesendonck Lieder de Wagner. Comme si cela ne suffisait pas, Fischer-Dieskau a également rédigé plusieurs essais sur l’interprétation vocale du lied et publié ses mémoires, Nachklang, en 1987. La version française, Résonances, parut en 1992. Il a commencé à peindre en 1960 et ses œuvres ont été exposées au grand public pour la première fois en 1980, à Bamberg. On peut voir un aperçu de sa peinture à l’adresse suivante: www.mwolf.de/painter.html.

Si Fischer-Dieskau a régné en maître absolu du lied, ses incursions dans l’opéra italien ont suscité la controverse. Même ses plus fervents admirateurs admettent que la voix de FiDi (surnom affectueux attribué au chanteur) ne possédait ni la brillance ni la puissance que les amateurs d’opéra attendent d’un baryton verdien. Aux dires de certains, ce qui contribue au caractère intimiste et nuancé du lied peut apparaître affecté, voire déplacé, dans le monde passionné de l’opéra italien. Néanmoins, ses rôles de Falstaff, Rigoletto et Rodrigo sont parmi les meilleurs du répertoire de Fischer-Dieskau grâce à sa musicalité innée, son sens impeccable de la musique et l’attention portée à la compréhension du texte.

L’album à découvrir ce mois-ci est le sublime Die schöne Mullerin, ou La Belle Meunière en français, un cycle de lieder particulièrement prisé par Fischer-Dieskau. Il l’enregistra à trois reprises avec le pianiste Gerard Moore, soit en 1951, en 1961 et en 1971. Martin Kettle, critique au quotidien The Guardian, a récemment choisi ce cycle de lieder comme l’un des 12 meilleurs enregistrements de Fischer-Dieskau qui l’a chanté tant au début qu’à la fin de sa carrière. L’enregistrement de son récital à Paris, en 1992, à la salle Pleyel, avec Christoph Eschenbach est disponible sur YouTube à l’adresse: www.youtube.com/watch?v=e5gWlmJqaB4. Si la voix semble manquer de souplesse et la production un peu forcée, il faut faire preuve d’indulgence; après tout, il avait 67 ans! Toutefois, la puissance de son interprétation demeure. L’album de 1961 révèle un Fischer-Dieskau au sommet de son art tant par la maîtrise vocale que par l’interprétation. Normalement, la voix s’assombrit avec l’âge, mais Fischer-Dieskau module délibérément le chant pour alléger le timbre, notamment dans les onze premiers lieder, afin d’exprimer les désirs d’un jeune homme amoureux. Puis, dans la seconde moitié du cycle, quand le jeune homme découvre que sa bien-aimée en aime un autre, la voix se remplit d’ironie et de désespoir, touchant l’auditoire en plein cœur. Cette prestation renferme l’essence de l’art de Dietrich Fischer-Dieskau.

Traduction: Lina Scarpellini


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