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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 9 juin 2012

Andrew Wan : Un virtuose modeste

Par Bill Rankin / 1 juin 2012

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Tout comme la plupart des enfants qui se mettent sérieusement au violon, Andrew Wan a commencé à jouer quand il est entré en maternelle. Lorsqu’il est arrivé à l’école secondaire, dans sa ville natale d’Edmonton, il était bon, mais n’avait aucune ambition de faire de la musique sa vie. À l’école secondaire très compétitive qu’il fréquentait, lui et ses pairs envisageaient des carrières en ingénierie ou en médecine. Lorsqu’il était plus jeune, il se voyait devenir architecte. « C’est à l’âge de trois ans que ma fiancée a décidé qu’elle deviendrait violoniste », dit Wan, qui est devenu coviolon solo de l’OSM en 2008 à l’âge de 24 ans. « Dans mon cas, j’avais du plaisir à jouer et je travaillais, mais je n’ai pas vraiment eu la même volonté jusqu’à plus tard, lorsque cette ambition a vraiment pris le dessus. » L’ambition qui l’a mené à huit années d’étude à Juilliard est une chose que reconnaissent ceux qui ont été ses professeurs ou ont joué avec lui, mais tous croient que ce sont d’autres de ses qualités qui expliquent probablement le succès inhabituel qu’il a obtenu si rapidement, dans un monde où le pur talent est rarement suffisant pour assurer la réalisation d’une carrière.

Wan a quitté Edmonton pour l’école Juilliard en 2004 avec les ambitions typiques d’un étudiant en musique talentueux et travailleur. Il gagnerait des concours et voyagerait à travers le monde comme soliste de concert. Pour ce faire, il trouverait les professeurs dont il avait besoin, développerait des associations musicales avec ceux de ses pairs avec lesquels il pourrait collaborer fructueusement et garderait ses objectifs bien en vue. Juilliard le mena jusqu’à cette première étape. « Une chose que j’ai obtenue en allant à Juilliard, c’est la richesse des connaissances d’un grand nombre de personnes, autant des étudiants que des professeurs », dit-il dans une interview depuis son domicile à Montréal.

Le violoniste du Quatuor Juilliard Ron Copes a été l’un des deux principaux professeurs de Wan à Juilliard – l’autre étant Masao Kawasaki. Copes dit de Wan qu’il a des talents qui dépassent les talents musicaux nécessaires à une carrière. « Lorsque j’ai entendu Andrew pour la première fois, il était clair qu’il était un violoniste exceptionnel, d’autant plus doué qu’il avait développé sa propre voix. Il jouait magnifiquement, et impérieusement. » Mais il y avait en lui plus que des talents musicaux. « Très tôt, il a démontré qu’il avait une flexibilité mentale particulière et extraordinaire envers lui-même, et cette flexibilité mentale apporte aux élèves la possibilité d’aller là où les choses les mènent, de ne pas rester confinés dans une voie particulière, observe Copes. Je crois que cela a eu beaucoup à voir avec son habilité à prendre avantage des opportunités qui se sont présentées. C’est une autre des composantes de son talent. »

Copes a tout particulièrement vu en Wan cette facilité à prendre de nouvelles directions lorsque Wan a postulé pour le très select programme Diplôme d’artiste. Chaque année, Juilliard accepte de deux à six candidats dans ce programme d’études supérieures. À l’occasion de cette demande, Copes a encouragé Wan à revoir où il en était et où il souhaitait aller. « Dans ce processus, je l’ai vu effectuer la transition entre élève et artiste, non pas en tant que musicien, mais dans sa conception de lui-même, dit Copes. J’ai été très impressionné par la volonté avec laquelle il s’est engagé dans cette tâche, car souvent pour un élève, quel que soit son niveau d’excellence, le renoncement à cette qualité d’élève est un peu risqué mentalement. »

À Juilliard, Wan a remporté sa part de concours, incluant le concours de concerto de l’école en jouant le concerto d’Elgar, qui n’est pas un choix de répertoire typique. Il a aussi formé un trio pour piano, le New Trio, qui joue toujours ensemble aujourd’hui, et travaillé en tant que premier soliste de l’orchestre de l’école.

En 2007, Wan a établi ce qui est devenu la fondation de sa nomination au poste de violon solo de l’OSM l’année suivante. Il joua le concerto d’Elgar de nouveau pour le concours OSM Standard Life et remporta le grand prix. (Autre signe de cette ouverture d’esprit qu’on lui attribue, deux semaines avant le concours, son collègue du New Trio, le pianiste Julio Elizade, a suggéré que Wan rejoue l’Elgar plutôt que le Sibelius qu’il avait prévu de jouer.) Les critiques locaux s’extasièrent sur sa performance et les membres de l’OSM furent impressionnés. Ils encouragèrent leur chef Kent Nagano à prendre Wan, toujours aux études supérieures, puisque l’orchestre recherchait depuis plusieurs années un coviolon solo qui partagerait la charge avec le vétéran Richard Roberts.

La recherche avait amené à Montréal des violons solos de l’Europe et du Japon bien établis. Avant de gagner le concours de Montréal, Wan n’était pas sur la carte. Il n’avait aucune expérience professionnelle d’orchestre. Nagano a été attentif à l’enthousiasme à propos du jeune violoniste et invita Wan à une audition.

Cet été-là, Wan était au Programme de musique Pearlman à Shelter Island Heights, N.Y. Les participants ne sont pas généralement autorisés à s’absenter du camp, mais Wan a obtenu la permission d’Itzhak Perlman d’aller rencontrer Nagano à Montréal pour une journée, et Nagano a confirmé ce qui avait tant ébloui ses collègues. Dans un courriel envoyé depuis Munich où il dirigeait le cycle de l’Anneau de Wagner, Nagano a dit de Wan qu’il possédait des qualités qui ne peuvent être enseignées, et que l’âge d’un individu est sans importance dans cette question. Nagano ajoutait que Wan avait une « personnalité constructive », qui « gagne le respect naturellement ». Il dit encore que la combinaison, en Wan, de virtuosité accomplie, « d’ouverture à de nouveaux styles musicaux » et « d’un profond sens de la responsabilité et de dévouement à des normes supérieures… sont des attributs qu’il est très rare de retrouver chez un individu. Ce sont des traits en majeure partie internes, qu’il est pratiquement impossible ‘d’apprendre’ ».

James Ehnes fait écho à la caractérisation de Nagano. Ehnes a invité Wan au Festival de la Société de musique de chambre de Seattle ces deux dernières années. Cet été, Wan y jouera avec David Harding, Marc-André Hamelin et Karen Gomyo. Ehnes, devenu directeur du festival l’année dernière, dit que la programmation est telle cette année que tout ce que lui et Wan vont jouer ensemble sera du gâteau.

Tout comme Nagano, Ehnes a eu vent des talents de Wan par des collègues qui avaient entendu Wan jouer. « Je crois que tout est une question de proportion. Il y a des gens qui peuvent avoir un son excitant, mais qui n’ont pas une technique exceptionnelle. Ou alors, certains ont une technique solide, mais ne sont pas des musiciens intéressants. Habituellement, il y a un talon d’Achille quelque part. Andrew par contre est vraiment un musicien complet, dit-il. Il y a une certaine humilité qui émane de lui en tant qu’interprète. Il est véritablement toujours au service de la musique. »

Richard Roberts, à 66 ans, célébrait en mai dernier sa trentième année en tant que violon solo à l’OSM. En cherchant quelqu’un avec qui partager sa tâche, il espérait plus que simplement un excellent musicien. « Je crois que Kent comptait sur mon conseil pour trouver quelqu’un qui était non seulement qualifié pour la position, mais aussi avec qui je pourrais m’entendre, et qui pourrait également convenir au tempérament et au son de l’orchestre. On pourrait trouver un violoniste flamboyant, mais il n’est pas sûr qu’il pourrait bien s’intégrer avec la section ou avec le partenaire de pupitre », explique Roberts.

Lors de l’audition de Wan, dit Roberts, lui et Wan se sont « entendus comme des frères ».

« [Andrew] avait toutes les qualifications d’un violon solo expérimenté. L’une des choses requises est d’être un violoniste hors pair. Mais il faut aussi être un leader naturel, et tout cela constitue un ensemble d’aptitudes différent de ce qui est requis pour être simplement violoniste dans l’orchestre, dit Roberts. Il faut être capable de mener une section entière de cordes, et cela n’est pas forcément comme tourner rapidement lorsqu’on roule à bicyclette. C’est plutôt comme faire tourner un transatlantique. Il a été immédiatement à l’aise. Il a une habileté étonnante à sentir l’orchestre. Il est non seulement un bon violoniste, mais aussi un bon violoniste d’orchestre. Il était donc inévitable qu’il soit engagé. »

Tous ceux qui connaissent Wan soulignent son amabilité et sa courtoisie. Roberts croit Wan en mesure, à un si jeune âge, d’entreprendre un rôle d’une telle responsabilité, dans lequel il lui faudra collaborer avec des musiciens de parfois trois fois son âge, mais aussi les conseiller, car maintenant âgé de 28 ans, Wan possède « un sens merveilleux de la diplomatie, chose également requise », dit-il. « Il faut savoir choisir ses batailles. On ne peut pas chercher à tout corriger, on ne peut pas être un tyran. D’une certaine façon, il faut savoir s’entendre avec ce qui se trouve en face, le chef d’orchestre, et ce qui se trouve derrière, la section des violons. À son âge, il s’en tire de façon absolument remarquable, je n’ai jamais rien vu de pareil. »

Pendant la période où Wan envisageait de prendre le poste de violon solo, il a consulté quelqu’un qui savait à quoi devrait faire face un jeune musicien chargé de mener la section des cordes de l’OSM. Jonathan Crow a lui-même été violon solo de l’OSM à un plus jeune âge que Wan s’il acceptait l’emploi à l’âge de 24 ans. « Je lui ai dit que la chose la plus importante était de chercher à apprendre de l’orchestre. Dans les grands orchestres, il y a tant de gens qui sont là depuis des années, qui connaissent très bien le répertoire et qui ont déjà tout joué, dit Crow, aujourd’hui violon solo de l’Orchestre symphonique de Toronto. C’est une situation un peu embarrassante, d’arriver là pour la première fois et d’avoir à jouer toutes ces œuvres que tu n’as jamais jouées avant, et de conduire ces musiciens. Ce que j’ai trouvé le plus utile pour moi a été de m’assurer que j’apprenais de tout le monde dans l’orchestre. Il ne faut pas arriver avec suffisance et croire qu’il faut enseigner à tout le monde tout de suite, mais plutôt se montrer prêt à apprendre des autres autour de soi. Tenter de tout absorber. »

Copes croit que l’évolution de Wan à Juilliard a inclus le développement d’une meilleure appréciation de ce que jouer dans un orchestre peut offrir. Wan lui-même dit que de se joindre à un orchestre ne lui a jamais paru un compromis. « Je n’avais pas une attitude défaitiste face à l’éventualité de me joindre à un orchestre. J’avais une grande admiration pour l’Orchestre symphonique d’Edmonton. J’ai grandi en écoutant l’Orchestre symphonique de Montréal. Il fut un temps où il était l’orchestre le plus enregistré dans le monde. »

Les conditions que Nagano a offertes à Wan ont dissipé tout doute que le jeune homme aurait pu avoir concernant le sacrifice de ses nombreuses autres ambitions afin de jouer dans un grand orchestre. Wan dit que Nagano a compris que l’aspirant soliste et chambriste grandissant pourrait craindre de perdre son indépendance s’il rejoignait un contingent de 93 musiciens d’orchestre symphonique. « Nagano n’a pas simplement tenu pour acquis que je sauterais sur l’occasion. Il m’a dit ‘Tu es encore jeune et tu as d’autres projets, mais ce qui est particulièrement appréciable avec ce poste, c’est que nous pouvons t’offrir beaucoup de temps libre pendant lequel tu pourras te livrer à l’enseignement, à la musique de chambre, au travail de soliste’, et cela a été extrêmement attirant pour moi. »

Wan a pris avantage de la flexibilité que lui a accordée l’OSM. Il accroît sa tâche d’enseignement. (Il ajoute présentement à son propre studio certains des élèves de Crow maintenant que Crow quitte l’École de musique Schulich de McGill.) Et Crow l’a invité à l’aider à la formation du New Orford String Quartet il y a quelques années. Cette opportunité donne à Wan une intense aventure de musique de chambre, et aussi accroît son expérience d’enseignement. Depuis que le premier CD du NOSQ a été finaliste pour un Juno en 2011, l’ensemble a été inondé de demandes d’élèves qui veulent travailler avec ses membres au Centre d’arts Orford cet été. Le quatuor va enregistrer deux nouveaux disques en 2013 – des quatuors de Brahms et de la musique de chambre pour cordes de Jacques Hétu. À la fin mai, Wan était le soliste-vedette de l’OSM dans l’exécution du Concerto pour violon no 1 de Chostakovitch. À la fin de l’été, il jouera le Double concerto pour violon de Bach à Genève et collaborera avec un autre de ses enseignants de Juilliard, Cho-Liang Lin, au festival de La Jolla de Lin, où Wan jouera également avec sa fiancée, Arianna Warsaw-Fan.

La vie à Montréal est bonne pour Wan. Sa fiancée a déménagé de New York pour être avec lui. Il joue sur un violon Bergonzi de 1744, courtoisie du philanthrope local David Sela. Il a une position confortable dans l’un des meilleurs orchestres du monde. Il s’établit en tant que professeur convoité et interprète. Dans un domaine où les grandes ambitions ne garantissent rien, Wan est un peu un phénomène, mais sa situation relativement unique ne devrait pas être perçue comme un mystère. La clé a été le talent, bien sûr, le travail acharné, l’intégrité personnelle, et peut-être, enfin, cette notion que, comme l’a observé T.S. Eliot, « l’humilité est infinie ».

Traduction : Juliette Colinas


» 23 juin à 20 h : Les quatuors pour piano de Brahms à Orford

» 11 août à 18 h : L’Automne et l’Hiver des Quatres Saisons de Vivaldi avec l’Orchestre de l’Académie Orford/Jean-François Rivest, dans le cadre de La virée classique

www.osm.ca, www.neworford.com, www.newtrio.com, www.arts-orford.org
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