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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 9 juin 2012

Renaud Garcia-Fons : La contrebasse... toute en hauteur

Par Annie Landreville / 1 juin 2012

English Version...


Version Flash ici.

Renaud Garcia-Fons est un grand contrebassiste, un musicien qui repousse sans cesse ses limites et celles de son instrument. Il vient de publier un splendide disque en solo (v. critique ailleurs dans ces pages), enregistré dans un lieu magnifique, le Prieuré de Marcevol. Cet été, le Festival international de jazz de Montréal l’accueille en soirée de clôture (7 juillet) en concert exclusif.
Né aux environs de Paris en 1962, Garcia-Fons grandit dans un milieu où l’on valorise les arts, son père étant peintre. Pourtant, c’est par la musique qu’il choisit de s’exprimer. Compte rendu d’une rencontre virtuelle (merci Skype) avec un homme chaleureux, aux propos aussi précis que son doigté.

Renaud Garcia-Fons : J’ai baigné dans une relative ambiance musicale. Mon frère jouait du piano et l’on écoutait beaucoup de musique en famille. Mon père peignait en écoutant de la musique dans son atelier. Lorsque je rentrais de l’école, j’écoutais toutes sortes de genres musicaux. Mon frère est resté au stade amateur, mais moi, j’ai continué et suis le premier musicien professionnel de la famille. Dès l’âge de 12 ans, je savais que je voulais être musicien, mais je n’avais pas encore trouvé mon instrument. Je jouais de la guitare classique, du rock...

Et comment avez-vous découvert toutes ces musiques parmi lesquelles vous naviguez maintenant ? Vous avez étudié le classique et avez fait du jazz. Et toutes ces musiques orientales, le flamenco, était-ce dans votre environnement sonore ?
RGF : Mon intérêt pour la musique orientale, le flamenco, la contrebasse, tout ça est arrivé à peu près en même temps. C’est à 16 ans que j’ai découvert mon instrument. Pendant mes études, j’étudiais la contrebasse classique et, en même temps, je jouais aussi dans de petits ensembles de jazz. J’écoute depuis toujours toutes sortes de musiques. En jouant de la contrebasse, j’ai écouté beaucoup de musique non européenne, comme le jazz. Le flamenco, j’en écoutais dès l’enfance, mais au début de la vingtaine, j’ai eu un regain d’intérêt, je ne l’écoutais plus de la même façon. J’ai commencé à écouter le flamenco de manière plus active. Finalement, j’écoute de tout depuis l’enfance, sans me fixer vraiment sur une musique en particulier !

Sans vous fixer peut-être, mais avez-vous développé ces intérêts en parallèle ou bien par phases ?
RGF : Il y a eu des phases, évidemment, parce qu’il y a eu des rencontres importantes et aussi des passions, de grandes passions qui se sont développées durant mes études de contrebasse. Par exemple, la première fois que j’ai écouté un disque du Brésilien João Gilberto, j’ai écouté cela nuit et jour !
Lorsque j’ai découvert le sârangî, un instrument à archet de l’Inde, avec le musicien Ram Narayan, je crois n’avoir écouté que cela pendant deux ans ! Je m’en abreuvais à un tel point que j’avais commencé à faire de la musique indienne à Paris, mais bon, il a bien fallu que je revienne me concentrer sur la contrebasse. Et pendant tout ce temps, je me suis nourri de ce solfège différent qu’est la musique indienne. Il y a donc eu un parallélisme entre tous ces genres croisés pendant que j’étais au conservatoire. J’ai très peu joué dans les orchestres finalement ! Dès le début de la vingtaine, j’ai commencé à gagner ma vie dans toutes sortes de contextes, souvent assez créatifs. J’ai joué avec des musiciens marocains, irakiens, des formations de jazz, des musiciens indiens et d’autres instrumentistes comme moi qui étaient en recherche.

Et votre relation avec le jazz ?
RGF : En France, à cette époque-là, le jazz était cloisonné. Au milieu des années 1980, il y avait les free-jazzeux d’un côté, les boppers de l’autre et je ne faisais partie d’aucune chapelle. Mais j’ai quand même fait du be-bop ! J’ai joué avec Kenny Clarke et,peu de gens le savent, j’ai même fait du big band ! Cependant, très vite on m’a engagé pour ma spécialité, c’est-à-dire l’archet, et j’ai moins fait de jazz.

Vous avez étudié avec un grand maître, François Rabbath, quelqu’un qui a aussi un parcours musical au spectre assez large. Quel est son héritage ?
RGF : Il y a sûrement quelque chose de fondateur, surtout dans l’aspect technique, avec l’archet. Mais il faut replacer les choses en contexte. Il a été mon professeur de l’âge de 16 à 21 ans. Je le voyais tous les trois mois, quatre fois l’an. J’avais aussi un autre professeur au conservatoire. C’était très important. Maisj’ai cessé d’avoir des professeurs à l’âge de 21 ans. Je voulais reconstruire ma technique moi-même sur la base de mes propres réflexions, mais aussi à partir de réflexions qui me venaient de Rabbath. Je suis parti dans mon monde musical en ne me référant pas à son travail, peut-être parce que je suis allé du côté de l’improvisation, alors qu’il est retourné du côté du classique. Alors oui, c’est quelqu’un qui m’a beaucoup apporté à mes débuts par quelques fondements et quelques bases qui sont très importantes, des axes de travail qui m’ont vraiment aidé.

Cette idée de trouver votre son, de développer de nouvelles techniques, demande de l’expérimentation, des recherches. Comment travaillez-vous ?
RGF : J’ai essayé d’élargir le langage de l’instrument, mais ça n’a jamais été de la recherche pour la recherche. J’avais dans l’idée de faire avancer mon propre discours musical. Or, il se trouve qu’en essayant de trouver ma musique, j’ai dû développer des techniques de son sur la contrebasse. Mais ce n’est pas gratuit, l’enjeu est vraiment musical. Je cherche à faire passer « mon chant », donc le reste est une conséquence de cet enjeu.

Est-ce que vous répétez beaucoup ?
RGF : La plupart du temps, oui, mais ce n’est pas toujours la règle. Par contre, si je partage un répertoire avec des musiciens, alors là, certainement. J’aime bien essayer d’approfondir, de travailler, d’affiner le plus possible le rôle que je pourrais jouer dans l’ensemble… et les notes à choisir !

Vous utilisez une contrebasse à cinq cordes, ce qui est assez inusité. Comment en êtes-vous venu à cet instrument ?
RGF : J’utilisais une basse à quatre cordes sur mon premier album, Légendes. Mais après une dizaine d’années avec la contrebasse, j’ai éprouvé une forte envie d’élargir les possibilités d’accords. Et une fois que j’ai eu en main cette contrebasse à cinq cordes, j’ai dit : bon, ça y est, maintenant il faut travailler ! Vous savez, la contrebasse est un instrument qui a beaucoup évolué depuis sa création. Au début, elle avait pour seule fonction de créer du grave, de doubler, d’accompagner. Ce n’est qu’au XIXe siècle que des virtuoses ont écrit des concertos et ont fait évoluer la lutherie. Puis au XXe siècle, le jazz a fait connaître la contrebasse sous un jour nouveau, avec ses solistes et ses chefs de groupe. Mon travail s’inscrit dans l’évolution de mon instrument. À mon avis, la contrebasse est devenue, au fil des ans, un instrument à part entière et non pas seulement un instrument qui assume une fonction dans un orchestre.

Vos propos rejoignent ceux de Joëlle Léandre. (V. article paru dans ces pages en octobre dernier, vol. 17 no 2.) Vous avez
l’impression de vivre, de participer à l’émancipation de la contrebasse ?

RGF : Oui, depuis pas mal d’années. Je pense que la personnalité du jazz qui a enclenché cette émancipation est Scott LaFaro. Il a marqué les musiciens avec un langage en pizzicato, à sa façon de mener dans un trio. Il a développé un chant de la contrebasse qui s’est fait entendre et reconnaître.

Et développer ce chant, avec votre contrebasse à cinq cordes, on imagine que c’est plus exigeant. Est-ce que vous
l’accordez comme une contrebasse normale ou comme un violoncelle ?

RGF : J’ai une contrebasse à cinq cordes avec un do aigu, ce qui est assez rare. C’est peu développé, mais Barre Philips, par exemple, a joué longtemps sur une contrebasse avec un do aigu. Aujourd’hui, dans les orchestres, on utilise souvent une contrebasse avec une corde de plus dans les graves, pour avoir au moins une octave sous le violoncelle. Moi, je l’accorde selon la norme, en quartes. Le violoncelle, par contre, est accordé en quintes. J’ai un registre un peu plus étendu que la contrebasse à quatre cordes, une quarte de plus en fait. Et bien sûr, avec d’autres possibilités de doigtés ! Ça facilite certaines choses et ça en complique d’autres. À l’archet, par exemple, l’angle pour jouer chaque note est plus restreint. Ça demande une bien plus grande précision. Et cette cinquième corde, il faut apprendre à la jouer, parce qu’elle sonne toujours un peu différemment des autres, c’est une autre logique de doigté.

Quand on regarde l’ensemble de votre carrière, vous avez souvent été entouré de cordes : l’Orchestre de contrebasses,
la tradition flamenco et, plus récemment, le guitariste Sylvain Luc.

RGF : Il y a une sympathie à la fois naturelle, humaine, musicale et physique du son des cordes. Avec un guitariste par exemple, vous jouez acoustique, vous avez un rapport de volumes naturel qui est agréable et qui permet de faire ce que j’aime beaucoup : un travail de musique de chambre qui permet de développer des dynamiques et un phrasé communs. Un saxophone est beaucoup plus puissant, une batterie, n’en parlons pas... on est dans un autre rapport, une autre logique. C’est vrai que souvent, dans mes formations, j’essaie toujours d’aller vers une complémentarité instrumentale ainsi qu’un rapport de son et de volume qui repose sur une base purement acoustique où l’on ne compte pas seulement sur l’amplification pour instaurer un équilibre. Ça doit sonner de façon naturelle.
À la biennale de flamenco de Séville en 2010, j’ai reçu une médaille. Je suis le premier contrebassiste à recevoir un tel honneur. J’en tire une certaine fierté, parce que j’y vois la reconnaissance de toute une démarche qui va avec cette musique et qui consiste à trouver un sens dans le jeu de la contrebasse. Très heureux d’avoir trouvé ma place et de constater que mon jeu est crédible auprès de ceux qui aiment le flamenco et qui détiennent ses clés.

Vous serez au Festival International de Jazz de Montréal avec une formation de flamenco atypique avec flûte, contrebasse, piano, mais sans guitare.
RGF : Tout à fait ! Mais nous avons ici l’un des plus grands pianistes du flamenco, David Peña Dorantes. Vous savez, comme la contrebasse, le flamenco a évolué et s’est ouvert à des instruments qui ne sont pas de la tradition flamenca, comme le piano et la contrebasse.

Vous y revenez tout le temps, au flamenco. Il y a une grande passion entre vous et le flamenco ?
RGF : Quand même oui, je l’avoue ! (Éclat de rires…)


À voir : Montréal le 7 juillet, FIJM, en solo, suivi du Free Flamenco Trio.

www.montrealjazzfest.com
www.renaudgarciafons.com


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(c) La Scena Musicale 2002