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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 9 juin 2012

Farid et Godin se partagent le clavier au son de Rachmaninov

Par Emmanuelle Piedboeuf / 1 juin 2012

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June Discovery CDC’est au Conservatoire de musique de Montréal que Myriam Farid et Olivier Godin se sont connus, où déjà ils rêvaient de pouvoir un jour jouer les difficiles Danses symphoniques de Rachmaninov. C’est aujourd’hui mission accomplie, puisque cette œuvre a été exécutée quelques fois par le duo et fut enregistrée en même temps que la sélection de ce disque.

Bien connu sur la scène canadienne, mais aussi internationale, Olivier Godin a trouvé quelques minutes, entre ses responsabilités au Conservatoire de musique de Montréal et à McGill, pour nous rencontrer. Pianiste de chambre, il dit préférer cette voie à celle de soliste « parce qu’être toujours seul au piano est quelque chose qui l’ennuie profondément ». Grand amateur de mélodie française, passion tirée de son enfance, il a consacré une grande partie de sa carrière à la revitalisation de la musique française rare, surtout avec le baryton Marc Boucher. Ce disque de Rachmaninov est donc un écart par rapport à son créneau habituel, « un défi auquel [il a] dit oui tout de suite » ! Godin admet toutefois retrouver en Rachmaninov ce qui l’intéresse dans la musique française : « une musique du cœur et de l’esprit ».

Première œuvre sur le disque, le Prélude en do dièse mineur op. 3 no 2est une des œuvres qui aura poursuivi Rachmaninov toute sa vie. Écrit à sa sortie du Conservatoire, le prélude sera immédiatement remarqué pour l’emportement romantique qui deviendra sa signature. La popularité du prélude deviendra telle qu’il sera impossible à Rachmaninov de donner un concert sans le jouer. En entrevue au Minneapolis Tribune en 1921, il confiera : « Je regrette souvent de l’avoir écrit [...] J’ai écrit de la bien meilleure musique, qui n’est pas à moitié autant appréciée […] J’ai l’impression que le public ne vient à mes concerts que pour m’entendre jouer cette pièce. »

Malgré la frustration que Rachmaninov développera par rapport au Prélude, qui éclipsera le reste de son répertoire, il en écrira une transcription pour 2 pianos en 1938, époque à laquelle il se produisait fréquemment en concert avec Horowitz.

En écoutant sa Suite no 1 op. 5 (ou Fantaisie-Tableaux pour 2 pianos) 40 ans plus tard, Rachmaninov dira : « Ne jugez pas ce morceau trop sévèrement, j’étais mineur quand je l’écrivis. » Pourtant, cette suite, composée sur 4 poèmes (de Lermontov, Byron, Tioutchev et Khomyakov), est déjà l’œuvre d’un compositeur accompli. Dédiée à Tchaïkovski, dont Rachmaninov avait fait la connaissance chez son professeur de piano, l’œuvre surprend non seulement par la fluidité de son écriture, mais aussi par le son évocateur des cloches qui traverse l’œuvre. Aussi, la répartition équilibrée des voix de piano confère à l’œuvre un puissant timbre orchestral, qui sera récréé dans sa deuxième Suite. Godin souligne que le langage de Rachmaninov s’est beaucoup élargi au cours des années, passant d’un style assez près de Liszt pour aller vers une esthétique beaucoup plus moderne. Il est donc normal qu’en écoutant une de ses œuvres de début de carrière, le compositeur l’ait jugée un peu dépassée, ce qui ne nous empêche pas aujourd’hui de la trouver plus que digne d’attention !

Composée à la suite d’un pari, la Rhapsodie russe en mi mineur fut écrite en seulement 3 jours alors que Rachmaninov était encore étudiant. Il aurait en effet été dit qu’il était impossible de composer quelque chose sur un certain thème russe, et Rachmaninov aurait sauté sur l’occasion. Choisissant une forme de variations, le compositeur développera exhaustivement le thème imposé, allant même jusqu’à faire une allusion à la Fantaisie hongroise de Liszt vers la fin de son œuvre. Alexander Goldenweiser, présent lors de la première, se souvient que la Rhapsodie russe « se terminait sur une variation en octaves alternant d’un pianiste à l’autre, [où] chacun accélérait le mouvement ». Rachmaninov simplifiera ensuite la partition, supprimant l’accelerando final et ramenant toutes les octaves au premier piano, pour donner la version que l’on connaît aujourd’hui.

Pour Rachmaninov, l’interprète a beau être un musicien très talentueux, la profondeur de son sentiment et sa palette de couleurs musicales ne pourra jamais égaler celle du compositeur. Ce à quoi Godin répond qu’il n’a pas tort. Pour Godin, «le rôle de l’interprète, ce n’est pas de faire ce que le compositeur voulait. C’est de faire ce qu’on croit au plus profond de nous que le compositeur voulait. [Avec Rachmaninov], j’essaie donc de comprendre cette énorme palette de couleurs et de sentiments ».

S’il parvient à transmettre au public la trame émotive et la palette de couleurs d’une œuvre, Godin juge que son rôle d’interprète est bien rempli. Ce qui, entre la partition, l’instrument et le public, n’est pas toujours une mince affaire, admettons-le !

Dans un futur proche, on verra Godin enregistrer l’intégrale des mélodies de Poulenc pour le cinquantième anniversaire de la mort compositeur, avec les chanteurs François Leroux, Marc Boucher, Hélène Guillemette, Julie Boulianne, Julie Fuchs et Pascal Gaudin, ainsi qu’avec le pianiste Billy Eidi. On pourra aussi entendre Godin dans un disque solo de Chaminaz ainsi que dans un disque de mélodies inédites d’Ernest Chausson, avec Marc Boucher.
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(c) La Scena Musicale 2002