Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 17, No. 7 avril 2012

Maxim Vengerov : Le touche-à-tout

Par Crystal Chan / 1 avril 2012

English Version...


Version Flash ici.

Maxim VengerovÀ quelque chose malheur est bon. Souffrant de microtraumatismes à l’épaule depuis le début de 2007, Maxim Vengerov a dû annuler plusieurs concerts avant d’annoncer sa semi-retraite après un dernier concert en juin. À l’époque, c’était la pire chose qui pouvait lui arriver. Âgé de 32 ans seulement, il avait signé un contrat d’enregistrement avec EMI et gagné une foule de prix – Grammy, Edison, Echo Klassik. Il avait joué sur le violon de Paganini, et son emploi du temps débordait de concerts avec les meilleurs orchestres dans les salles les plus prestigieuses. Plus grave encore : ce n’était pas sa première pause imprévue. En effet, le violoniste venait à peine de reprendre son instrument après un arrêt forcé en octobre 2005. Cette nouvelle absence risquait de sonner le glas d’une carrière prometteuse si elle se prolongeait. Et elle s’est prolongée… quatre ans durant, jusqu’à son retour, le 3 mai 2011, à Bruxelles.

«Je me sens tout jeune et frais, s’exclame le virtuose. Ce repos a été ravigotant. Je suis redevenu un violoniste rempli de promesses… et amoureux du violon.» Le mot clé ici – «redevenu» – fait comprendre pourquoi un musicien aussi acclamé, en pleine possession de ses moyens et ayant tout son avenir devant lui pourrait se dire chanceux d’avoir été ainsi immobilisé. Maxim Vengerov s’acharnait sur son violon depuis ses tendres quatre années, et il avait remporté son premier concours international – le Wieniawski (division junior) – à 10 ans. Des années de dur labeur avaient émoussé son amour du violon. Les attentes qui pesaient sur ses épaules constituaient la face obscure de son succès. En avril 2008, il déclarait au Times de Londres qu’il était entièrement guéri. Il lui a suffi d’un an pour se remettre physiquement, mais il lui a fallu cinq années pour retrouver sa vigueur mentale.

Même s’il a dû lâcher le violon, Maxim Vengerov n’a pas laissé tomber la musique. Il a décidé de réaliser son «vieux rêve»: la direction d’orchestre. Le décès de Mstislav Rostropovitch, au printemps 2007, avait été un dur coup pour lui, et cette décision était peut-être une façon de rendre hommage au violoncelliste et chef d’orchestre, comme s’il emboîtait le pas à son mentor. Formé en direction d’orchestre auprès de Vag Papian vers la fin des années 1990, il s’était perfectionné auprès de Yuri Simonov en 2006. Après avoir renoncé à jouer du violon en public, il a pris ce nouveau tournant bien plus au sérieux. L’année même de son microtraumatisme à l’épaule, il partait en tournée nord-américaine avec l’Orchestre du festival de Verbier, faisant escale à Carnegie Hall. En juin 2008, Valeri Guerguiev l’a invité à monter sur le podium devant l’Orchestre du théâtre Mariinsky, l’une des nombreuses formations qu’il a dirigées au cours des années suivantes (notamment les orchestres symphoniques de Toronto et de Montréal).

«La direction d’orchestre est quelque chose de plus vaste, affirme le jeune maestro. C’est une façon totalement différente de communiquer avec le public et avec les musiciens. Ce n’est pas une activité solitaire comme le violon. En fait, c’est le côté humain qui m’intéresse le plus. Un orchestre peut bien jouer sans chef, mais il a tout de même besoin de lui comme une armée doit avoir un général. Ensemble, nous nous battons pour la musique.»

Une étoile est née… en Sibérie

Maxim Vengerov est né sous l’étoile de la musique, et son désir d’être à l’avant-scène s’est manifesté dès son plus jeune âge. Alors qu’il était tout petit encore, on l’a amené à un concert de l’Orchestre symphonique de Novossibirsk. On lui a dit que son père, le hautbois, donnait le la, mais il l’apercevait à peine depuis son siège. C’est alors qu’il a décidé qu’il jouerait d’un instrument à cordes… pour être en avant. À quatre ans, il a commencé à prendre des leçons de violon. À cinq ans, il était élève de Galina Tour­tchaninova, mais pas son préféré: dès le premier cours, il lui a donné un coup de poing dans le ventre, et il refusait de jouer. Sa mère a fondu en larmes en apprenant que Mme Tourtchaninova voulait se défaire de cet élève récalcitrant, alors le petit Maxim a éberlué tout le monde en jouant 17 pièces par cœur.

Le virtuose en herbe s’est alors vu imposer un horaire strict comprenant sept à huit heures de pratique tous les soirs. Il était motivé par le désir de faire plaisir à sa mère et les promesses qu’on lui faisait («après ta répétition, tu pourras jouer avec ton tricycle»… à trois heures du matin), mais sa mauvaise humeur se manifestait encore, comme lorsqu’il a cassé son archet dans un accès de colère. Sa famille n’était pas riche et vivait dans un deux-pièces au sous-sol. En Sibérie, les aliments étaient rationnés et les maisons mal chauffées en hiver. Néanmoins, le talent de Vengerov était reconnu, il était suivi par une professeure de renom, son père avait réussi à faire entrer dans le logement, en perçant un mur, un vieux piano à queue qui servait aussi de comptoir de cuisine… Tout cela était trop extraordinaire pour y renoncer afin que Maxim puisse jouer comme un enfant de son âge. Tout autour d’eux, dans la Russie soviétique, les gens consentaient des sacrifices bien plus pénibles.

Le jeu en valait la chandelle. À 7 ans, Vengerov était inscrit à l’École centrale spéciale de musique de Moscou, où il est allé vivre avec ses grands-parents. L’école avait omis de lui délivrer un visa, et il était régulièrement inquiété par la police. Au bout de trois années, son grand-père étant malade, Vengerov dut rentrer à Novossibirsk, où il s’est mis à étudier auprès de Zakhar Bron, également professeur de Vadim Repine. Après le prix Wieniawski, toutefois, les invitations à jouer en Europe et même au Japon ont donné à Vengerov une chance inimaginable pour un jeune Sibérien de milieu modeste: découvrir le monde. À 14 ans, il jouait avec le Concertgebouw, puis l’année suivante, il remportait le concours international de violon Carl Fesch ainsi que les prix d’interprétation, de la presse et du public. À 16 ans, il donnait son premier cours de maître à l’Université de Californie à Los Angeles.

Maxim Vengerov a suivi Bron à Londres, puis à Lübeck (Allemagne), mais en fin de compte, sa famille s’est établie en Israël, où son talent musical l’a de nouveau fait échapper au destin qui semblait tout tracé d’avance: quelques jours après avoir commencé son service militaire, il a été réformé.

Un terreau fertile

Voir son père dans un orchestre a pu l’inciter à apprendre le violon, mais les activités musicales de sa mère ont également produit une impression durable sur Vengerov. «[Elle] était chef de chœur, dit-il. Dès l’âge de 3 ans, je la voyais en répétition avec son splendide et énorme chœur de 500 enfants. J’ai vu la passion qui animait ma mère pour ces enfants. Elle a sûrement planté une graine qui a germé. Elle aurait voulu devenir chef d’orchestre, mais elle a dû y renoncer à ma naissance. À partir du moment où j’ai commencé le violon, elle m’a consacré tout son temps libre.»

Son «détour» comme violoniste lui est très utile en tant que chef d’orchestre: Vengerov connaît à fond les instruments à cordes, dont «la façon de respirer la musique, le phrasé, la coloration et tous les détails techniques» ne lui échappent pas. Ce sont les fondements de ses capacités à titre de chef d’orchestre. Ayant acquis une longue expérience de la direction d’orchestre du point de vue de l’instrumentiste, il des idées bien arrêtées sur la façon d’organiser une répétition de façon logique pour les musiciens. Son objectif ultime est d’être le défenseur de l’œuvre, du compositeur. «Je dois recréer l’œuvre comme si c’était la toute première fois qu’on l’entendait. Avec mon orchestre, je dois convaincre le public que c’est la plus belle chose qu’on ait jamais composée. À ce moment-là, plus rien ne compte. Les musiciens doivent devenir une courroie de transmission parfaitement lisse entre le compositeur et l’auditoire.»

Le travail de sa mère est également une source d’inspiration pour son enseignement et son œuvre auprès des enfants. Depuis son premier cours de maître, il a donné des cours un peu partout, notamment à Sarrebruck où il a été nommé professeur à 26 ans seulement. Voué corps et âme à l’enseignement, il lui arrivait de réduire des deux tiers son calendrier de concerts. Professeur invité à l’Académie royale de musique depuis 2005, il y occupe la chaire Menuhin de musique depuis février 2012. Mais ses cordes sensibles vibrent particulièrement lorsqu’il se consacre aux enfants du monde. Vengerov a été le premier musicien classique à être nommé ambassadeur de l’UNICEF, et il soutient également MIGDAL et MIAGI, deux programmes similaires.

«J’ai eu la chance d’aller dans des endroits où personne n’avait jamais entendu une symphonie, raconte-t-il. J’ai visité les tribus des collines de la Thaïlande et Chiang Mai. Là-bas, on n’a jamais vu un orchestre, mais on a de la très belle musique. J’ai vu leurs instruments artisanaux. Nous avons dansé et joué en­semble. Ce qui m’a frappé, c’est qu’au début, quand j’entrais dans une classe, mettons en Ouganda où les enfants ont été traumatisés par la guerre, personne n’avait envie de me parler. Mais la musique ouvre les cœurs et permet de communiquer. Il est vrai que la musique ne connaît pas les frontières. Lorsque les mots ne veulent plus rien dire, c’est la musique qui parle.» En 2007, Vengerov a reçu un prix Cristal du Forum économique mondial pour avoir mis son art au service de l’amélioration de l’état du monde.

Abattre les barrières

Maxim Vengerov veut également abattre les barrières au sein de la musique. «Chacune de mes expériences dans la musique et dans la vie sera bénéfique pour ma profession, dit-il. Je n’ai jamais voulu m’enfermer, et j’ai toujours voulu explorer de nouveaux territoires.» Longtemps avant ses problèmes à l’épaule et son recyclage en tant que chef, il aimait faire des incursions hors du champ de la musique classique. Vers la fin des années 1990, il a commencé à jouer du violon baroque, allant même jusqu’à demander que son violon de jeunesse – un Landolfi, en fait – soit modifié pour redevenir le violon baroque qu’il était. En 2000, il a fait une tournée européenne avec le claveciniste Trevor Pinnock en inversant les rôles, puisque Vengerov jouait du violon baroque et Pinnock, du piano moderne. En 2002, le violoniste s’est mis à l’alto afin de jouer le concerto que William Walton a composé pour cet instrument. Lors de la création de l’œuvre de Benjamin Ysupov Viola Tango Rock Concerto, Vengerov a joué de l’alto et du violon électrique et fait quelques pas de tango.

Pour Vengerov, donc, reprendre le violon ne signifie pas forcément revenir à un amour exclusif, même si c’est ce que son public réclame haut et fort. Compte tenu de sa myriade de projets et d’intérêts divers, de l’enseignement, des programmes de diffusion internationale et de son mariage, en novembre 2011, à Olga Gringolts (sœur du violoniste Ilya Gringolts), le violon n’est plus qu’un aspect parmi tant d’autres de son travail.

Le premier conseil du musicien de 37 ans? Garder l’esprit ouvert.

«Ne cessez jamais d’apprendre, mais restez fidèle à vous-même. Quant à moi, je n’ai jamais fait le choix de la facilité. J’aurais pu continuer sur la même voie comme violoniste, mais j’ai décidé de faire quelque chose de nouveau. Apprendre, c’est parfois plus difficile que de faire ce qu’on connaît déjà – dans mon cas, le violon, qui est comme ma langue maternelle. Mais en y mettant de la passion, on peut apprendre quelque chose d’autre, et c’est encore plus enrichissant.»


Maxim Vengerov joue à Montréal le 14 mai à la Maison symphonique
www.smcm.ca

English Version...

(c) La Scena Musicale 2002